samedi 11 mai 2013

Une affaire de famille

Cinq offshore créées en sept mois, de multiples fusions et remaniements: la famille Festraerts, de Saint-Trond, est hyperactive au Panama. Un bien étrange business familial.

Les noms des cinq offshores dans lesquelles trois membres de la famille Festraerts apparaissent, ou sont apparus récemment, comme administrateurs, n’évoqueront pour vous qu’un exotisme frais saupoudré de jargon anglo-hispanique. Des sociétés dont les trajectoires peuvent se révéler complexes voire carrément virevoltantes. Tout d’abord, il y a Galinsky Continental Corporation, dans laquelle la famille Festraerts fait irruption en janvier 2007. Cinq jours plus tard, le même trio surgit au conseil d’administration de Lethbridge Overseas Corporation. Après une pause de deux mois, la famille Festraerts s’empare coup sur coup de Hetar Propiedades Inmobiliarias et Obrart Commercial Company. Après ce premier semestre frénétique, le trio familial créera aux aurores de juillet 2007 une ultime coquille: Casanueva Digital.

Que cachent ces cinq panaméennes acquises en seulement sept mois? D’autant que les choses n’en sont pas restées là… En juin 2007, Obrart absorbe une panaméenne tierce, la Rudge Brothers Inc. Début 2008, c’est au tour de Casanueva Digital d’engloutir deux sociétés. En novembre 2010, cette même Casanueva absorbe Obrart et deux autres boîtes extérieures au clan familial. En novembre 2010 toujours, c’est à Hetar et Galinsky de se faire manger toutes crues par Lethbridge. La famille Festraerts revendra ensuite ses parts dans cette dernière en janvier 2012, cédant le témoin à deux Américains d’une bourgade perdue du Colorado. Vous avez suivi?

Dans les documents, la famille Festraerts prétend être domiciliée au 5e étage de l’immeuble Magna Corp, rue Manuel Icaza, à Panama City. Dans le bureau 522, plus précisément. Mais aussi parfois dans le bureau voisin ! Deux bureaux du cabinet d’avocats Araúz, l’agent local par lequel notre trio agité est passé pour créer plusieurs de ses offshores. Une adresse fictive, bien sûr: la famille Festraerts habite dans le Limbourg…

Rudi, le patriarche, officie souvent comme trésorier des offshores. Son épouse, Greta V., remplit généralement le rôle de secrétaire. Ancien mandataire de l’Open VLD, Rudi fut notamment conseiller communal à Saint-Trond et membre du conseil de police, jusqu’en 2006. A la fin de sa carrière politique, cet ancien professeur exerçait treize mandats, dont huit rémunérés. Son dada? Les carnavals. Celui de Notting Hill, à Londres, et bien sûr celui de Saint-Trond, dont il est membre du comité d’organisation. Une chose est sûre: notre homme est bien équipé en masques panaméens…

Au bout du fil, Rudi soupire: «Comme on dit en flamand, le ciel me tombe sur la tête. Hetar Propiedades et tous ces noms, ça ne me rappelle que des hôtels où je pourrais aller en vacances. Je ne suis au courant de rien.» Nos documents proviennent du Registre officiel de Panama, pourtant, rétorquons-nous. «Ça c’est quelque chose! Mon nom se retrouve là-dedans?» Long silence. Malaise. Sibyllin, il glisse: «Apparemment, ce serait une affaire entre mon fils et ma femme. Je me suis distancié de tout cela.»

Kurt, son fiston, vit semble-t-il à Londres. C’est lui qui tirerait les ficelles de ce vaudeville panaméen. Dans les sociétés, il occupe souvent le rôle de président, et certains actes notariés indiquent qu’il en est l’actionnaire à 100%. Le jeune homme possède un sérieux bagage financier: son CV affiche un DESS en gestion financière et un master de la London School of Economics. A Londres, il contrôle deux sociétés logées dans son appartement: Blue Razor Limited et White Bullet Limited.

Notre conversation téléphonique avec lui est on ne peut plus confuse. «Non, ça ne me dit rien», bafouille-t-il à propos des sociétés, avant de revenir sur ses propos: «A Panama, pour acheter un terrain, vous devez acheter une société. J’ai donc acheté des actions pour devenir propriétaire de terres là-bas.» Il s’arrête. Déclare que les sociétés n’existent plus. Il siège encore au conseil d’administration de Casanueva Digital, pourtant. «Oui, ce qui existe encore est en quelque sorte géré par ma société britannique.» Invérifiable. Pourquoi ses parents apparaissent-ils dans ces offshores? «Parce qu’il faut trois administrateurs», répond-il. Mais il demeure évasif sur ce choix familial. «Etre administrateur, ça ne veut pas dire que vous êtes actionnaire. La société, elle, ne fait rien. Elle possède le terrain. On paye des frais annuels et des taxes sur les terres.»

Agacé, il nous dit de considérer ces sociétés comme un «investissement». «Un mauvais, d’ailleurs. Les prix ont chuté.» Mais où se situent ces terrains? «Dans un... club de golf.» Kurt refusera de nous envoyer des photos de ses terres panaméennes. «Que voulez-vous faire avec ça? Vendre les terrains pour moi? Non, franchement, il n’y a rien de louche là-dedans, sinon j’aurais pris un prête-nom.» Il est vrai que certains noms de sociétés gravitant autour de ce montage renvoient à l’immobilier. Mais ceci, en plus de ne rien prouver, n’explique pas la multiplication des sociétés, leurs fusions et leurs reventes intempestives. Comme si on cherchait à brouiller les cartes.
D.L. et Q.N.

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