lundi 31 juillet 2006

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La fin et les moyens (4/4)

Philippe Van Roey, responsable des relations presse du WWF:

«C’est déplorable d’aller chercher la petite bête!»

«Rock Werchter nous offre la possibilité de toucher 300.000 personnes. Les sponsors de l’événement? Ce n’est pas nos affaires. Si nous voulons survivre, trouver des fonds, il faut qu’on joue dans la logique commerciale. Si on se contente d’essayer de toucher le public de façon "archaïque", sans utiliser Internet, les grands médias ou les événements grands public, on peut fermer boutique dans quelques mois.
La question de l’exploitation de notre image par les organisateurs sur le site Internet du festival est hors de propos. Ils mettent un stand gratuitement à notre disposition pour que nous puissions, avec un budget très réduit, toucher un maximum de gens. Ca m’a l’air évident comme collaboration. On peut toujours aller chercher la petite bête dans n’importe quelle démarche. Je trouve ça assez déplorable. C’est souvent le cas avec les journalistes, malheureusement. Au lieu d’être constructifs et de voir le bon côté des choses, il y a toujours des gens pour voir le côté un peu obscur.
On est dans un monde où tout le monde se rend bien compte qu’il faut agir au niveau écologique. Y compris les grandes multinationales. Nous nous inscrivons dans un dialogue, une relation constructive. Nous avons par exemple un partenariat avec Lafarge, le leader mondial des matériaux de construction. Comme ils polluent énormément, nous leur fournissons des recommandations pour qu’ils limitent leurs rejets de CO2.»

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vendredi 28 juillet 2006

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La fin et les moyens (3/4)

Claire Pierson, responsable des campagnes chez Oxfam-Solidarité:

«On en débattra l’an prochain»

«Nous sommes présents depuis 2001 dans la plupart des grands festivals d’été pour toucher un nouveau public. Si nous allons à Rock Werchter, c’est parce que c’est un très grand festival où il y a très peu d’ONG. Nous recevons 4 places par jour, pour les bénévoles qui tiennent les stands.
Cela dit, nous nous investissons beaucoup plus dans le festival Esperanzah, dont nous sommes partenaires (ce n’est pas le cas d’Amnesty et du WWF, NDLR) et que nous préparons activement. Parfois, il est peut-être bon aussi de participer à de grands événements comme Rock Werchter, pour mettre des grains de sable dans les rouages. Nous faisons donc les deux : soutenir de vraies alternatives, comme Esperanzah!, et rencontrer le grand public de Rock Werchter. En étant sur place, on peut faire changer les choses. Aujourd’hui, Bacardi ne sponsorise plus Couleur Café... A Werchter, l’an dernier, des jeunes nous ont interpellés parce que nous buvions des cartons de jus d’orange Minute Maid: "Pourquoi ne buvez-vous pas du jus d’oranges Oxfam?" Cette année, il y en avait dans le stand d’Oxfam-Magasins du monde Flandre, qui a vendu également des produits "épicerie" du commerce équitable. Il y a donc eu des alternatives sur place.
Pourquoi a-t-on réagi à la présence de Bacardi à Couleur Café et pas à celle de Coca-Cola à Werchter? Peut-être parce que sur le dossier Bacardi, on est très forts. Nous avons un spécialiste de Cuba qui connaît très bien le dossier. Cela dit, le problème de l’eau en Inde, c’est quelque chose que nous suivons aussi de près… Les femmes du Kérala, on les soutient.
Mais il est vrai qu’il faudrait se poser la question de savoir si l’on va ou pas à Werchter. Mettre dans la balance le nombre de gens qu’on peut toucher et ce que cela peut coûter symboliquement parce que c’est organisé par Clear Channel et sponsorisé par Coca-Cola. Je proposerai que l’on en débatte l’an prochain.»

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jeudi 27 juillet 2006

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La fin et les moyens (2/4)

Jan Brocatus, directeur d’Amnesty International Vlaanderen:

«Une question de perceptions»

«Les organisateurs de Rock Werchter mettent un emplacement à notre disposition. Nous y déployons un stand lié à notre campagne "Contrôlez les armes". Mais nous ne souhaitons pas être "partenaires" du festival et nous engager. Nous y sommes présents au même titre que dans d’autres festivals. A Werchter, nous devons payer les tickets d’entrée des bénévoles.
Je crois qu’il est impossible d’organiser un événement de grande ampleur sans sponsors. Si Triodos avait les moyens de faire du sponsoring, nous serions évidemment ravis. Le problème des banques éthiques, c’est qu’elles n’ont pas d’argent… Cela dit, ce n’est pas parce que Coca-Cola participe à un événement que l’on devrait s’interdire d’y aller. Nous n’avons pas d’opinion sur le fait que Coca-Cola soit sponsor du festival. Cela n’a pas d’influence sur notre collaboration avec Live Nation.
J’ignorais que Live Nation avait placé notre logo sur son site Internet. Ça ne nous dérange pas. Notre présence au festival ne donne en aucun cas un label de qualité à Rock Werchter, même s’il est vrai qu’afficher notre logo sur leur site Internet est sans doute une bonne chose pour l’image de l’organisateur. C’est une question de perceptions.
Enfin, nous n’appelons pas au boycott d’entreprises, sauf pour celles qui fabriquent des armes de guerre. Pour le reste, ce n’est pas une tactique qu’Amnesty poursuit.»

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mercredi 26 juillet 2006

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La fin et les moyens (1/4)

Quand Amnesty, Oxfam et le WWF «flirtent» avec Clear Channel et Coca-Cola


Est-il cohérent, pour une ONG, de participer à un événement dont l’organisateur et un des principaux sponsors sentent le soufre? Vaste débat, qui pose l’éternelle question de la fin et des moyens utilisés par la société civile pour changer les mentalités...


Alléchés par les 300.000 festivaliers annoncés, trois poids lourds de la galaxie ONG – Amnesty, Oxfam et le WWF – étaient une fois de plus présents au festival Rock Werchter, qui a eu lieu le premier week-end de juillet.

Dans le petit milieu «alter» belge, ce festival est pourtant loin d’être en odeur de sainteté. On se souvient qu’en 2004 il avait fait l’objet d’une campagne de boycott parce que la multinationale étasunienne Clear Channel, organisatrice de l’événement, était accusée pêle-mêle de soutenir Bush Jr. et sa politique «coloniale», de contrôler pratiquement toute la filière des concerts en Belgique, d’être à l’origine du boom des prix des tickets et de représenter une menace pour la diversité culturelle – accusations que Clear Channel réfute plus ou moins laborieusement.

En 2006, le boycott est toujours relayé par Attac Wallonie-Bruxelles sur son site Internet, même si l’«ennemi» à changé de nom. Est-ce pour tenter d’échapper aux lois antitrust en vigueur de part et d’autre de l’Atlantique? Toujours est-il que fin 2005, le département «divertissement» de Clear Channel s’est détaché des autres divisions du groupe et a été rebaptisé Live Nation.

Mais dans les faits et sur le terrain, rien n’a fondamentalement changé. Live Nation a été créé pour gérer le «contenu» (management d’artistes, concerts), laissant ainsi les «tuyaux» (radios, télés, panneaux publicitaires) à la maison mère Clear Channel Communications (CCC). Mais la nouvelle «indépendance» de Live Nation vis-à-vis de CCC est toute relative: le fondateur de CCC, Lowry Mays, ainsi que ses deux fils, Mark et Randall, se retrouvent à la fois dans l’équipe de direction de CCC et dans le conseil d’administration de Live Nation.

Par ailleurs, un des principaux sponsors de Rock Werchter est Coca-Cola. En Colombie, des sous-traitants de la multinationale sont accusés par le syndicat des travailleurs de l’industrie alimentaire, le SINALTRAINAL, d’être complices de l’assassinat de plusieurs syndicalistes par des milices paramilitaires – ce que réfute évidemment Coca-Cola.

Ces dernières années, Amnesty International a tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme pour tenter de faire stopper les violences et intimidations dont sont victimes de nombreux syndicalistes du SINALTRAINAL travaillant dans des usines d’embouteillage sous contrat avec le géant d’Atlanta. En 2001, le syndicat a déposé plainte aux Etats-Unis contre la firme et ses sous-traitants colombiens. Le procès est en cours à Miami. En attendant le verdict, une vingtaine d’universités nord-américaines ont récemment annulé ou suspendu leur contrat avec la compagnie. Un mouvement qui commence à faire débat, voire tache d’huile, en Europe.

Le géant d’Atlanta est également très contesté en Inde, notamment au Kerala et dans l’Uttar Pradesh, où il est accusé d’assécher de nombreuses nappes phréatiques, privant ainsi les populations locales d’eau potable. Ses usines rejettent également plusieurs types de déchets toxiques qui menacent l’environnement et la santé. Oxfam soutient activement les femmes du Kerala, qui organisent régulièrement des sit-in de protestation devant les grilles de la compagnie. En tant qu’organisation internationale de protection de l’environnement, le WWF n’est sans doute pas insensible à la pollution des écosystèmes occasionnée en Inde par Coca-Cola.

D’où cette question: ces trois ONG – Amnesty, Oxfam et le WWF – ne pourraient-elles pas faire pression sur l’organisateur Live Nation pour qu’il arrête de recourir au sponsoring de Coca-Cola? Saugrenu? Pas du tout: Oxfam et Amnesty ont déjà effectué une telle démarche vis-à-vis des organisateurs du festival Couleur Café, un événement parrainé à plusieurs reprises par la multinationale Bacardi, bien connue pour son hostilité farouche à Cuba. Proche des milieux réactionnaires étasuniens, Bacardi s’est en effet beaucoup activé en coulisses pour obtenir des renforcements de l’embargo contre Cuba afin de protéger son marché de son rival cubain Havana Club. Après deux ans de palabres, les pressions d’Amnesty et d’Oxfam ont finalement porté leurs fruits: cette année, pour la première fois, c’est du rhum Havana Club qui a été servi aux festivaliers de Couleur Café.

Par ailleurs, Live Nation lui-même tire profit de l’image «éthique» des trois ONG en affichant leurs logos sur le site Internet du festival… à un clic de souris du logo Coca-Cola. Est-il donc bien cohérent que ces ONG participent à la grand-messe de Rock Werchter et qu’elles «cautionnent» en quelque sorte, de facto, son organisateur et ses sponsors? Bacardi, Coca-Cola: deux poids, deux mesures? C’est ce que nous avons demandé aux ONG concernées. Leurs réponses seront publiées sur ce blog ces prochains jours.

Cela dit, ces questions pourraient également s’adresser aux artistes «engagés», qu’il s’agisse de Bono ou de Manu Chao. Ce dernier, grand pourfendeur du capitalisme néolibéral et chouchou des altermondialistes, était présent cette année à Werchter. Il n’a jamais figuré sur l’affiche d’Esperanzah!, malgré plusieurs sollicitations.

David Leloup

Ce texte a été initialement publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

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lundi 24 juillet 2006

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Esperanzah, l’anti-Werchter?


Un cadre splendide, une ambiance hyper-conviviale, un rassemblement musical autour de valeurs humanistes: Esperanzah!, c’est du vendredi 4 au dimanche 6 août à l’abbaye de Floreffe (Namur). Un secret jalousement gardé par quelque 20.000 festivaliers...
Cette année, le petit poucet des festivals estivaux souffle ses cinq bougies. L’occasion de faire le point sur l’alter-événement de l’été, son public et les nouveautés de l’édition 2006.
Pour ceux qui ne connaissent pas, «Le monde est un village» vous proposera de revivre l’édition 2005 ces mercredi 26 et jeudi 27 juillet, à 19h00 sur La Première, avec un florilège d’invités et d’extraits de concerts récoltés sur place.


Photo: François Schreuer/Creative Commons BY

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vendredi 21 juillet 2006

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Le pronétariat en PDF

Depuis trois semaines déjà, le dernier et excellent ouvrage de Joël de Rosnay (rédigé avec la participation de Carlo Revelli), est disponible en téléchargement gratuit, en version texte (PDF) et audio (MP3). Ainsi, après une poignée d’auteurs dont Florent Latrive et Philippe Aigrain, c’est au tour d’un auteur scientifique de passer un accord avec son éditeur (Fayard) pour distribuer son livre sous licence Creative Commons. En l’occurrence une licence «BY-NC-ND».
Si le monde de l’édition semble s’ouvrir (timidement) à ce principe, pour le moment, aucun CD musical issu d’une major «infocapitaliste» (comme de Rosnay les appelle), n’a été publié sous contrat Creative Commons. Pourquoi? Sans doute parce que le téléchargement de musique et de vidéo est hypergénéralisé et dopé de surcroît ces derniers trimestres par le tsunami iPod qui ravage la planète (4.700.000 baladeurs numériques vendus en 2005 contre moins de 1.600.000 en 2004, selon Le Monde, cité par Wikipédia). Le copyright étant dès lors incapable de se faire respecter, il est impensable pour les majors de lâcher du lest symbolique en promouvant des licences libertaires issues de l’univers des logiciels libres. Et il faudrait en premier lieu que la demande provienne des artistes eux-mêmes. Or, si une revue US «branchée» ne les pousse pas dans le dos, ils ne semblent guère demandeurs.
Par ailleurs, la portabilité du «livre électronique» n’est actuellement pas suffisamment développée pour qu’elle constitue une éventuelle menace pour les ventes «papier». Diffuser gratuitement un PDF fait plutôt office de teaser. Si l’on accroche au premier chapitre, il y a de fortes chances qu’on file droit à la librairie du coin se procurer l’ouvrage en bon vieux papier. Car il n’y a encore rien de mieux dans le train ou sur la plage. Plage que les prolétaires, avec «L» cette fois, ont le droit de fouler depuis 70 ans cette année lors de leurs congés payés.
Prolétaires à la plage, pronétaires à la page...

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mercredi 19 juillet 2006

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100 alternatives

Qui a dit que les altermondialistes n’avaient rien à proposer? Onze habitués des Forums sociaux ont «couvert» pour vous les débats qui se sont tenus à Porto Alegre en 2005. Ils livrent ici toute la richesse des points de vue qui s’y confrontent, se complètent ou se nuancent ainsi que les propositions concrètes issues des onze espaces thématiques de débat. Un gros travail de synthèse qu’aucun média n’a jamais pris le temps de réaliser et qui ressemble, in fine, au programme politique menant à cet «autre monde possible» que les altermondialistes appellent de leurs voeux et dans lequel règnerait enfin la justice sociale.

100 propositions du Forum social mondial, Collectif, Charles Léopold Mayer, 2006, 272 p.

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mercredi 12 juillet 2006

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Les trois CC

Ce livre réjouissant, car le premier du genre en français, raconte en détail l’histoire de la révolution techno-culturelle underground, celle «des trois CC»: contre-culture (années 60 et 70), cyberculture (1980-2000) et culture du chaos (depuis le 11-Septembre). Un trip passionnant aux frontières de la science et de la philosophie, au cours duquel on croise Marshall McLuhan, Gregory Bateson, Timothy Leary sur son lit de mort, et toutes les «utopies post-humaines» des visionnaires plus ou moins déjantés de ces 50 dernières années. Un livre de rattrapage pour le grand public. Le missel des techno-mutants du 21e siècle.

Les utopies post-humaines, Rémi Sussan, OmniScience, 2005.


Extraits et interview de l’auteur disponibles sur le site de l’éditeur.

A découvrir également, Le temps du post-humain, un des blogs de Rémi Sussan.

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mardi 11 juillet 2006

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Roger Keith Barrett est mort

Mieux connu sous le nom de Syd Barrett, le musicien et compositeur britannique, cofondateur et premier chanteur de Pink Floyd, s’est éteint dimanche à l’âge de 60 ans, à Cambridge.
Barrett était le cerveau créatif du génial premier album du Floyd, The Piper at the Gates of Dawn, sorti en 1967. Il en signe tous les titres, sauf un. L’année suivante, sur A Saucerful of Secrets, second album du groupe, Barrett est déjà en partance (il ne signe qu’un seul titre, Jugband Blues, qui clôt le disque). Eh oui, l’excès de LSD nuit gravement à la santé mentale... et, a fortiori, aux relations qu’il entretient avec les autres membres du groupe.
En 1997, Ian Barrett, neveu de Syd, évoquait son tonton en ces termes: «Une conversation avec Roger n'est pas identique à une conversation avec la plupart des gens. Il a effectivement une façon étrange et fragmentée de parler. Les sujets quotidiens prennent quelquefois un tour un peu abstrait, mais il a sa propre logique interne et c'est juste sa façon de s'exprimer. Si les gens s'imaginent qu'il est toujours le fou sauvage qu'il est supposé avoir été dans les années soixante – et je pense que ce n'était que pure invention pour l'essentiel –, pourquoi pas. Mais je pense que ce n'est que le desservir en tant qu'artiste, et que c'est une façon paresseuse et simpliste de présenter les choses. Ce qui me fâche dans les portraits que les médias dressent à son sujet, c'est qu'il est toujours présenté comme un 'cinglé', un génie du rock 'totalement halluciné', ce qui évite de se poser des questions au sujet des souffrances qu'il a endurées dans les années qui ont suivi les premiers succès du groupe. Je suis convaincu que les gens ne sont pas prêts à entendre vraiment parler de sa dépression et des pressions auxquelles il a été soumis.»
Après quelques albums solos inégaux, Barrett vécut reclus dans sa chambre chez sa mère, dans la banlieue de Cambridge. Après le décès de celle-ci il y a une dizaine d’années, il a poursuivi une existence paisible dans la solitude, s’adonnant notamment à la peinture.
La photo ci-dessus provient de La Syd Barrett Page. Elle daterait de 1990.
RIP.

UPDATE : Selon le site Internet du Nouvel Observateur, Barrett aurait passé l’arme à gauche dimanche 9 juillet et la cause de son décès ne serait pas connue. Pour le fan et responsable du site Internet The Syd Barrett Archives, la mort du «diamant fou» remonterait au vendredi 7 juillet et serait due à des complications médicales liées au diabète dont Barrett souffrait depuis des années.

Et une vidéo pour la route, le séminal See Emily play (1967), signé Barrett, le second single du groupe sorti deux mois avant le premier album et ne figurant pas sur celui-ci. A l’époque on était généreux dans le show-bizz. J’aime beaucoup le jeu du batteur Nick Mason:



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lundi 10 juillet 2006

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Les dessous de l’or vert


L’Europe les a voulus, les voici! Les biocarburants, ces carburants renouvelables issus de la biomasse, ont récemment débarqué en Belgique. Sous la forme d’huile végétale pure, pour l’instant. Sous celle de bioéthanol et de biodiesel dilués dans les carburants classiques prochainement.
Pour les agriculteurs, c’est une aubaine. Les aides européennes à la production de betterave passeront bientôt à la trappe. «Concurrence déloyale vis-à-vis des producteurs du Sud!», a tranché l’OMC. A juste titre. Les biocarburants constituent donc un vrai débouché pour les betteraviers (bioéthanol) et une réelle opportunité pour les producteurs de colza (huile et biodiesel). Au printemps 2007, la Wallonie risque ainsi d’apparaître bien jaune vue du ciel...
Pour le climat aussi, c’est un bon plan. Les biocarburants, tels qu’ils seront produits chez nous, présentent un bulletin environnemental bien meilleur que celui des carburants fossiles. Problème: ils risquent de coûter très cher au contribuable pour des réductions de CO2 dérisoires. Selon l’Institut pour un développement durable (IDD), le centre d’étude des Amis de la Terre Belgique, l’introduction des biocarburants telle qu’elle est prévue chez nous ne permettra même pas d’éponger l’augmentation des émissions de CO2 dues à la croissance «naturelle» du trafic routier (1).

Manque d’ambition et d’anticipation

Plus fondamentalement, la stratégie belge et européenne en matière de biocarburants manque cruellement d’ambition et d’anticipation. Manque d’ambition, parce que les biocarburants ne sont qu’une façon de valoriser la biomasse. Il en existe d’autres, bien plus «rentables» pour l’environnement et le combat contre l’effet de serre. Le bois-énergie, par exemple. Il a des rendements nets à l’hectare trois fois plus élevés que le colza ou la betterave. Investir dans cette filière pour se chauffer au bois et produire de l’électricité dans des centrales à cogénération aurait donc permis d’économiser trois fois plus de CO2 qu’avec les biocarburants (2).
Manque d’anticipation, parce les filières industrielles qui se développent actuellement chez nous appartiendront bientôt au passé. Tant qu’à se lancer dans les biocarburants, mieux aurait valu investir dans ceux «de deuxième génération», les filières BTL (Biomass-To-Liquids), aux rendements nettement supérieurs. Voire dans l’utilisation de la biomasse pour produire des «vecteurs énergétiques» liquides riches en hydrogène destinés à alimenter la future filière «pile à combustible» (3). Car tôt ou tard, le Brésil forcera les portes de l’OMC et exportera en Europe son bioéthanol… trois fois moins cher que le nôtre. Et nos agriculteurs se retrouveront dans de beaux draps.
D’autant que Lula, le président brésilien, a des ambitions pour le Sud. Courtisé par les investisseurs internationaux, il compte booster ses filières mais aussi faire des émules. Son objectif: créer un grand marché pour les biocarburants. Et pas seulement pour le bioéthanol. «Le biodiesel est un projet que nous voulons pour l’Amérique latine et l’Afrique», a-t-il récemment déclaré (4). Et pour mener ce projet à bien, «le Brésil est prêt à partager sa technologie».

Pour des biocarburants «bio»

Grâce aux rendements exceptionnels de la canne à sucre et à la faible quantité d’engrais nécessaire à sa culture, le bioéthanol brésilien est bien plus écologique que les biocarburants produits en Europe. Au cours de son cycle de vie, il génère de 2 à 13 fois moins de CO2 (1). Pour autant, bien sûr, que la culture de la canne à sucre ne se fasse pas au détriment de surfaces protégées ou de puits de carbone permanents!
Dès lors, le Fonds mondial pour la nature (WWF) réclame au plus vite une écocertification obligatoire pour tous les biocarburants utilisés en Europe. Produits ici ou importés. A l’heure actuelle déjà, des millions d’hectares de forêts tropicales ont été détruits pour faire place à des plantations de palmiers à huile, de soja ou de canne à sucre (5), ce qui réduit la biodiversité. L’utilisation d’OGM et de pesticides dans de telles plantations est elle aussi néfaste pour la diversité biologique.
David Leloup

(1) «Impacts environnementaux des biocarburants», Benoît Lussi, IDD, 2005.
(2) Le potentiel des biocombustibles est énorme. Selon une étude du WWF et de l’Association européenne pour la biomasse, les émissions de CO2 des pays de l’OCDE pourraient être réduites d’environ un milliard de tonnes par an (soit les émissions annuelles du Canada et de l’Italie réunies) s’ils utilisaient des biocombustibles au lieu de charbon pour produire leur électricité.
(3) «Données et enjeux économiques du dossier des biocarburants», Philippe Defeyt, IDD, 2005.
(4) «Champion de l’éthanol, le Brésil veut faire des émules dans le monde», AFP, 8 avril 2006.
(5) «Forests paying the price for biofuels», New Scientist, 22 novembre 2005.



Ce texte a été initialement publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

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