lundi 30 mai 2011

La double casquette du procureur général de Genève

Le quartier des affaires de Panama City. Photo: Martin Garrido - Creative Commons

Le patron du pouvoir judiciaire genevois, Daniel Zappelli, apparaît comme administrateur de deux sociétés offshore panaméennes encore actives. Il vient d’entreprendre des démarches pour liquider cet héritage encombrant de ses années d’avocat.

Peut-on être à la fois gestionnaire d’entités opaques dans les paradis fiscaux et magistrat chargé de traquer la fraude et le blanchiment? Neuf ans après son élection au poste de procureur général du canton, Daniel Zappelli apparaît toujours au registre des sociétés panaméen comme gérant de deux sociétés ­offshore: Astromar Investments SA, créée en juin 1987, et Zigma Marine Services SA, fondée trois ans plus tard.

D’après les actes notariés que Le Temps s’est procurés, Daniel Zappelli a été nommé administrateur et trésorier d’Astromar en décembre 1993 avec pouvoir de signature individuelle, ce qui signifie qu’il peut engager légalement la société seul. Quant à Zigma, il en est devenu administrateur et secrétaire dès sa création, en juin 1990.

Daniel Zappelli a en outre administré deux autres offshore, Gems Distribution International SA et Precious Stones International SA, également avec pouvoir de signature individuelle, de mars 1993 à leur dissolution en 1995 et 1996. Lorsqu’il a pris ces fonctions, Daniel Zappelli était jeune avocat collaborateur au sein de l’étude de Me Enrico Monfrini, qui administre également ces offshore depuis Genève.

Créées devant notaire par le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, sorte de grossiste spécialisé dans la vente en masse de structures offshore, les quatre sociétés sont dotées d’un capital de 10.000 dollars réparti en 100 actions au porteur. Leur objet social est tellement large qu’elles peuvent exercer à peu près n’importe quelle activité. Elles peuvent aussi «agir en tant qu’initiateur ou bénéficiaire de trusts en République de Panama ou à l’étranger», et donc potentiellement servir de véhicules opaques dans des montages visant à masquer l’identité de leurs ayants droit économiques.

D’autant qu’à ce jour, le Panama n’a toujours pas quitté la liste grise de l’OCDE des paradis fiscaux non coopératifs, ni la liste noire établie par la France. Son «score d’opacité financière», un indice calculé en 2009 par le Tax Justice Network sur la base de douze critères objectifs, atteint 92%.

Ironie de la situation, Me Monfrini se bat aujourd’hui pour restituer au peuple haïtien les millions d’une fondation liechtensteinoise créée par une offshore panaméenne similaire, elle-même contrôlée par des prête-noms vraisemblablement aux ordres du clan de l’ex-dictateur haïtien Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier. Seule certitude: les actionnaires de cette panaméenne n’ont jamais été identifiés.

Sollicité à de multiples reprises, Daniel Zappelli n’a pas souhaité répondre directement à nos questions. Selon son porte-parole Christophe Tournier, le procureur général a été «extrêmement surpris» d’apprendre que son nom figure toujours parmi les administrateurs d’Astromar et Zigma, alors qu’«il n’aurait plus dû l’être depuis le 31 mai 1996, date de son départ de l’étude de Me Monfrini et de son entrée dans la magistrature».

Quant à Me Monfrini, il indique que c’est lui, à l’époque, qui a demandé à son employé d’alors de siéger au conseil d’administration de ces offshore. Et il précise que Daniel Zappelli n’était «ni actionnaire, ni propriétaire économique de ces sociétés, et n’a pas reçu de rémunération quelconque pour ces mandats, hors son salaire de collaborateur».

Me Monfrini ajoute que son étude a été «dessaisie» du dossier Astromar le 27 février 1996. Il ne fournit aucune date concernant le dessaisissement de Zigma. «Mes dossiers concernant ces sociétés ont été détruits 10 ans après la fin de mon mandat», justifie l’avocat.

Concernant le fait que le registre des sociétés panaméen annonce Astromar et Zigma en vie, Me Monfrini avance l’explication suivante: «Le représentant local à Panama, Mossack Fonseca, m’avait assuré que ces sociétés avaient été radiées avant le départ de M. Zappelli de mon cabinet et que les frais relatifs à ces off­shore n’avaient plus été payés, ce qui conduisait à leur radiation automatique. Cette information m’a encore été confirmée il y a quelques jours, de sorte que la source de l’erreur est manifestement imputable à Mossack Fonseca.»

Dans ce cas, qui a payé les frais annuels de ces deux coquilles pour les maintenir en vie – soit quelque 300 dollars de taxe gouvernementale et 250 dollars d’honoraires pour l’agent résident? Car effectivement, le non-paiement de la taxe signe l’arrêt de mort d’une offshore panaméenne: «En général, les sociétés sont radiées dans les deux ans», précise le cabinet d’avocats britannique SCF Group.

Autre question: pour quel type de clients Daniel Zappelli a-t-il été «prête-nom» au sein de ces quatre offshore? Et quel était l’objet de ces sociétés? Me Monfrini se retranche derrière le secret professionnel auquel il est astreint, et rappelle que le procureur général, en tant qu’ancien avocat, y est également soumis «même après avoir quitté le barreau».

L’existence de ces sociétés est susceptible de mettre Daniel Zappelli dans une position délicate, en particulier dans l’affaire Abacha, où il représente le Ministère public et Enrico Monfrini la partie civile.

L’avocat reconnaît qu’il est administrateur d’environ 80 sociétés, fondations et trusts, et rappelle qu’il s’agit d’activités parfaitement légales et contrôlées en Suisse. «Les offshore que j’administre ne sont pas toutes des sociétés qui ont pour but d’échapper au fisc des pays dont mes clients sont ressortissants. Mais certaines le sont», concède-t-il. «Je trouve inadmissible, comme certains de mes clients, que le fisc “tonde le mouton” pour plus de la moitié de ses revenus.»

Au nom du secret professionnel, Me Monfrini refuse d’indiquer si Astromar, Zigma, Gems Distribution et Precious Stones avaient pour vocation de flouer des autorités fiscales étrangères. Il précise juste qu’à la demande de Daniel Zappelli, il vient d’entreprendre des démarches pour liquider Astromar et Zigma.

D’après la loi sur l’organisation judiciaire, les magistrats ne peuvent en aucun cas exercer une autre activité lucrative ou «susceptible de nuire à leur indépendance, à la dignité de leur fonction ou à l’accomplissement de leur charge».

David Leloup


Version longue d’une enquête publiée dans le quotidien suisse Le Temps du lundi 30 mai 2011 (PDF)



1 commentaire:

Anonyme a dit...

LE PARQUET DE GENEVE COMPOSED EX AVOCATS VOYOUS EST LE PLUS POURRI D EUROPE