dimanche 6 juillet 2014

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UBS Belgium : des clients parlent...

(c) Belga
Nous avons pu nous entretenir avec plusieurs clients d’UBS Belgium, la banque visée par une instruction judiciaire à Bruxelles. Le témoignage de ces fortunes supérieures à 500.000 euros permet de mieux cerner leurs profils sociologiques. Et la mécanique interne de la banque.

Quand la mèche est allumée, il faut courir. Vite. Le 30 mai dernier, pièces et témoignages à l’appui, M... Belgique détaillait en exclusivité l’ouverture d’une instruction judiciaire à Bruxelles à l’encontre de la banque UBS Belgium. L’antenne belge du géant bancaire suisse est en effet soupçonnée d’avoir démarché de grosses fortunes domiciliées en Belgique pour leur proposer l’ouverture de comptes offshore non déclarés. Il fallait donc s’attendre à des perquisitions.

Elles ont eu lieu le jeudi 19 juin. Vers dix heures du matin, plusieurs dizaines de policiers ont saisi des caisses de documents au siège de la banque, avenue de Tervueren à Bruxelles, ainsi qu’au domicile de son patron, le Suisse Marcel Bruehwiler. Un client représentatif des abus présumés commis par la banque a également été perquisitionné. On ignore toujours l’ampleur exacte de la fraude, mais le parquet de Bruxelles l’estime déjà à plusieurs milliards d’euros.

Le CEO inculpé

Marcel Bruehwiler a immédiatement été privé de liberté puis entendu par les enquêteurs. Le parquet avait demandé l’inculpation et la mise sous mandat d’arrêt du patron d’UBS Belgium pour «organisation criminelle, blanchiment, fraude fiscale et exercice illégal de la profession d’intermédiaire financier en Belgique». Mais il n’obtiendra finalement du juge d’instruction Michel Claise qu’une inculpation pour ces quatre chefs. Les documents saisis sont à présent analysés et plusieurs clients entendus par les enquêteurs.

Comme nous le révélions, l’enquête s’appuie en grande partie sur les témoignages détaillés d’anciens employés de la banque: «Il s’agit de personnes qui ont été licenciées ou même qui ont démissionné parce qu’elles n’étaient pas d’accord avec la manière de fonctionner d’UBS Belgium», précise la porte-parole du parquet de Bruxelles.

Si l’identité du client perquisitionné n’a pas été dévoilée, M… Belgique a pu s’entretenir avec plusieurs clients d’UBS Belgium. Leurs témoignages permettent de mieux cerner leurs profils et la mécanique interne de la banque. Rappelons qu’UBS Belgium est une banque privée, c’est-à-dire spécialisée dans la gestion de fortune, et qu’elle n’accepte que les clients qui déposent plus de 500.000 euros.

Baby-boomers français

Président-fondateur d’un groupe industriel «actif dans la construction et les produits mécaniques», Thierry Delfosse, 67 ans, vit à Rhode-Saint-Genèse depuis 14 ans. Cet ingénieur français retraité «adore les Belges et la Belgique». Il dispose d’un compte chez UBS Belgium depuis une dizaine d’années et gère lui-même ses économies, dont le montant est inférieur à un million d’euros, dit-il. «Je suis devenu client d’UBS Belgium après avoir rencontré un sympathique chargé d’affaires sur un terrain de golf dans le nord de la France.»

Notre homme a revendu sa PME en Belgique. Mais il n’a pas souhaité qu’UBS fasse fructifier ses avoirs: «La banque m’a proposé des produits structurés [souvent risqués, NDLR], mais j’ai refusé. Je préfère gérer moi-même ma fortune. Je ne suis pas un boursicoteur mais l’économie m’intéresse. Les illettrés en économie ne vivent pas dans notre monde. Ils ne comprennent pas pourquoi la dette est un problème, pourquoi il faut de l’austérité. Donc je ne vois pas comment ils savent voter. Les médias et le gouvernement, via l’école publique, sont responsables de cette situation.»

Les contacts de Thierry Delfosse avec la banque? Quatre ou cinq appels téléphoniques par an. «En ce qui me concerne, ils ont toujours respecté les règles. On ne m’a jamais proposé de compte offshore. Il est vrai que je ne suis pas un “gros poisson”. Je suis un petit client avec un petit compte. Si je peux aider UBS à défendre son intégrité, je serais ravi de le faire. C’est une bonne banque, les interlocuteurs sont compétents, efficaces.»

Du Madoff dans les dents

Gérard B., lui, est beaucoup moins loquace. Ce client d’UBS Belgium qui réside en bordure du verdoyant parc Duden, à Forest, se crispe au quart de tour quand nous lui demandons ce qu’il pense des perquisitions réalisées au siège de sa banque: «Comment savez-vous que j’ai un compte là-bas?» Désarçonné, il nous raccroche presque au nez…

Ce qui n’est pas le cas de Guy B., fidèle à UBS Belgium depuis 2003. Il n’a pas sa langue en poche: «Les banquiers sont tous des bandits en col blanc! Quelle que soit la stratégie d’investissement qu’ils vous proposent, ils vous font tous signer au préalable une décharge les exonérant de toute responsabilité en cas de pertes.» Son gestionnaire de fortune, rencontré chez UBS, lui a fait perdre pas mal d’argent: «Je me suis pris plein de Madoff dans les dents!»

Comme Thierry Delfosse, Guy B. est un baby-boomer français. Ou plutôt l’était: «J’ai pris la nationalité belge. Je suis fan des Diables Rouges! Il y a des bonnes frites et de la bonne bière ici. La France est un pays communiste qui taxe ses citoyens comme des cochons!» Aujourd’hui retraité, Guy B. était propriétaire de plusieurs supermarchés Champion franchisés dans le sud-ouest de la France. En 2002, il s’installe à Uccle. Mais pas pour les frites: un an plus tard, il revend toutes ses affaires en empochant une belle plus-value. «En France, j’aurais été taxé à environ 25 %. En Belgique je n’ai rien payé du tout...» Comme son ex-compatriote Thierry Delfosse.

Cimenter la confiance

A l’instar de toutes les fortunes convoitées par les banques privées, Guy B. a été invité par UBS Belgium à des «événements» pas innocents, dont un concert de musique classique et un congrès de philanthropie en Suisse. «Les banquiers chouchoutent leurs clients pour les conserver et tenter d’obtenir toujours davantage de fonds à gérer. Ces événements cimentent la confiance», analyse-t-il.


Directeur exécutif de l’agence de communication Emakina, Pierre Gatz n’est pas un client d’UBS Belgium. Mais il se souvient bien avoir été courtisé par une chargée d’affaires, Anne-Sophie E., dès 2004. «J’ignore encore comment elle a obtenu mes coordonnées. Mais elle m’a envoyé des invitations pour des événements organisés par la banque. Elle m’appelait au téléphone aussi. UBS utilisait des techniques relativement agressives pour recruter de nouveaux clients. Ils s’imaginent que nous avons des coffres remplis de billets!»

David Leloup

Initialement publié dans M... Belgique du 27 juin 2014


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