samedi 18 mai 2013

Des feux de l’Ommegang aux charmes discrets du Panama


Descendant de Charles Quint, le prince Bernard de Merode côtoie le milieu du renseignement. Il apparaît comme prête-nom dans 13 offshores panaméennes, visiblement pour de grosses fortunes qu’il gère depuis le Luxembourg.

49 secondes, à peine le temps de poser une question. En vain: «Vous inventez… Vous avez peut-être trouvé mon nom, mais de toute façon je n’ai pas l’intention de parler de ce genre de choses.» Et René Bardiaux de nous raccrocher au nez. Un appel aussi bref qu’éclairant par le malaise qu’il suscite. Dans nos documents, le nom de ce Linkebeekois apparaît pourtant bien en août 1992 comme trésorier d’une offshore au nom saugrenu: The Finest S.A. («Le plus beau S.A.», en français).

Le président du CA n’est autre qu’un avocat d’Ixelles, Jean-Jacques van den Corput, peu loquace sur cette panaméenne: «Je suis prête-nom dans ce truc-là, c’est tout. J’interviens là-dedans pour faire plaisir à un ami qui n’est pas le bénéficiaire économique des comptes gérés par cette société. Il exerce des activités tout à fait légales de gestion de patrimoine pour des gens qui, pour autant que je sache, ne sont pas Belges.» René Bardiaux? «Je ne connais pas cette personne.»

Maître van den Corput ne nous en dira pas plus. Après plus de 20 ans à la tête de cette coquille, il affirme ignorer dans quelles banques se trouvent les comptes de cette société, et qui en est le bénéficiaire final...

Une information qu’Arias, Fabrega & Fabrega, le cabinet d’avocats panaméen qui gère l’offshore semble également ignorer. En janvier 2013, il a démissionné de sa fonction d’agent résident en vertu d’une loi de février 2011 votée sous la pression des Etats-Unis et du G20. Une loi qui l’oblige à connaître le bénéficiaire économique d’une offshore afin de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme…

Un «family office» à Luxembourg

Dans The Finest, on ne retrouve pas seulement René Bardiaux et notre avocat ixellois. Le 20 novembre 2006, c’est au tour du prince Bernard de Merode d’apparaître comme administrateur et trésorier de la société. Tous les deux ans, ce membre des hautes sphères aristocratiques belges interprète l’empereur Charles Quint, son ancêtre, lors de l’Ommegang sur la Grand-Place de Bruxelles.

Quand il ne prépare pas cette reconstitution historique de la venue, en 1549, de Charles Quint à Bruxelles, Bernard de Merode, 64 ans, s’affaire dans le secteur de la finance. L’homme cultive une discrétion quasi absolue. Son diplôme de droit financier sous le bras, il travaille dans le secteur bancaire belge, avant de bifurquer vers Londres, où une grande banque suisse l’emploie pendant dix ans. En 1995, il pose ses valises au Luxembourg, afin d’y lancer TNN Trust and Management S.A., un family office, c’est-à-dire une sorte de petite banque privée qui gère la fortune de richissimes familles «en vue de constituer, préserver et transmettre efficacement leur patrimoine aux générations suivantes», comme l’explique TNN sur son site.

Dans ses bureaux luxembourgeois, de Merode compte parmi ses collègues Philippe de Patoul, un vieux briscard de la finance. Né en 1947, ce Belge a travaillé en Irlande avant d’émigrer au Luxembourg dans les années 1990. Virtuellement en tout cas, les deux hommes sont bien présents au Panama. Le prince de Merode apparaît comme administrateur dans 13 offshores, dont 11 encore actives selon le registre panaméen. Pour les deux plus récentes, Taratosa Inc. et Kayado S.A., créées en 2007, de Merode annonce être domicilié dans sa résidence londonienne du quartier huppé de Chelsea. Dans 11 offshores sur 13, il siège avec de Patoul. Si la création de ces sociétés s’étale de 1983 à 2007, de Merode n’y apparaît pour la plupart qu’en novembre 2006.

Dans cette valse panaméenne, un troisième acteur apparaît de façon récurrente aux côtés du duo Merode-Patoul: le Britannique Michael Morrice. Il accompagne le tandem aristocratique dans six panaméennes. Tantôt domicilié à Londres, tantôt à Dublin, Morrice, 68 ans, a occupé près de 300 sièges d’administrateur dans des offshores anglaises et irlandaises. Un palmarès alléchant qui le consolera sûrement de n’apparaître «que» dans neuf panaméennes sur treize…

Détournement de fonds européens

En 1998, Morrice et de Patoul sont cités dans l’«affaire Echo», un scandale de corruption et de détournements de fonds humanitaires européens via de faux contrats de sous-traitance avec la Commission, le tout orchestré par le Français Claude Perry. Dans la presse de l’époque, de Patoul est présenté comme un «homme clé» servant de relais à Dublin pour les montages financiers offshore de Perry.

De son côté, de Merode est aussi actif, depuis 2001, dans une société méconnue: Risk Analysis. Implantée en Angleterre mais bénéficiant d’un bureau à Luxembourg en charge du Benelux, Risk Analysis s’active dans le renseignement financier. La société est sortie de l’ombre en 2004 quand le gouvernement anglais de Tony Blair l’a engagée afin d’identifier une taupe qui avait fait fuiter des documents sensibles à la presse. Son tarif? 6.000 euros par jour, selon le Sunday Times. Risk Analysis effectue également de la due diligence, c’est-à-dire des enquêtes poussées sur la solvabilité et la réputation d’individus ou d’entreprises. Son fondateur, Christopher Davy est un ancien des services britanniques de renseignement intérieur, le fameux MI5, de même que son directeur exécutif Martin Flint.

Bien que Risk Analysis et TNN partagent la même adresse luxembourgeoise, a priori rien ne lierait les activités de renseignement du prince à sa présence dans 13 panaméennes. Les sociétés offshore les plus anciennes cacheraient-elles des fortunes qui furent gérées par de Patoul en Irlande, puis reprises par TNN au Luxembourg après sa création? Quant aux offshores récentes, dont deux ont été dissoutes en mai 2012 et avril 2013, sont-elles liées au family office? Ont-elles servi pour des investissements ou de l’optimisation fiscale de clients belges?

Marianne a tenté, à de nombreuses reprises, de joindre Bernard de Merode ces deux dernières semaines. Des messages ont été laissés à son attention. Jamais il ne nous a rappelés. Quant à Philippe de Patoul, il a immédiatement raccroché lorsque nous avons prononcé les mots «sociétés offshore». Depuis, son téléphone ne répond plus…
D.L. et Q.N.

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