samedi 25 juin 2011

Luciano D’Onofrio aurait blanchi des fonds occultes lors du sauvetage du Standard

Photo: DR

L’ancien vice-président du Standard de Liège, Luciano D’Onofrio, a investi près de 3,6 millions d’euros pour sauver le club il y a dix ans. Selon la justice liégeoise, il s’agirait d’argent noir provenant notamment de commissions occultes perçues lors des transferts de Dugarry, Ravanelli et Baia en 1997.

Après plus de sept ans d’enquête, des perquisitions dans les plus grands clubs de la planète, des dizaines d’heures d’auditions de joueurs et dirigeants de clubs, Luciano D’Onofrio a finalement été inculpé, mercredi, pour faux, usage de faux et blanchiment d’argent, par le juge d’instruction liégeois Philippe Richard.

Les enquêteurs ont désormais la conviction que Luciano D’Onofrio a investi de l’argent noir dans la SA Standard de Liège, lors du sauvetage du matricule 16 il y a une dizaine d’années. Ces fonds proviendraient de commissions occultes versées lors de transferts de joueurs dont D’Onofrio était l’agent, ou un intermédiaire, dans les années 90.

Entre 1991 et 2004, l’ex-homme fort du Standard a été l’agent des plus grands joueurs de la planète foot: Zidane, Trézeguet, Desailly, Baia, Deschamps... Les opérations de blanchiment présumées en bord de Meuse ont quant à elles été réalisées entre 1999 et 2002.

En 1998, le Standard est financièrement exsangue. Robert Louis-Dreyfus, homme d’affaires suisse et principal actionnaire de l’Olympique de Marseille, entre au capital du club à la demande de son ami Luciano D’Onofrio. Les deux hommes sauveront le club de la faillite en y injectant pas moins de 35,6 millions d’euros.

Le sauvetage s’est effectué lors de quatre augmentations de capital en avril 1999, janvier 2000, décembre 2000, et juin 2002, selon les informations disponibles aux greffes du tribunal de commerce de Liège. Lors de chaque recapitalisation, 90% des fonds injectés provenaient de Robert Louis-Dreyfus, les 10% restant de Luciano D’Onofrio. Au total, l’ex-vice-président du Standard a injecté près de 3,6 millions d’euros.

Mais à l’époque, il avance masqué. D’Onofrio opère via Kick International Agency BV, une société boite-aux-lettres gérée par le géant de l’audit KPMG à Amsterdam. Le Soir a consulté les données de Kick International enregistrées au registre hollandais des sociétés: le nom de D’Onofrio ne figure nulle part.

Seul son ami Maurizio Delmenico, agent fiduciaire basé à Lugano, apparaît publiquement comme directeur. Delmenico, qui était encore l’an dernier agent de joueurs agréé par la FIFA, a représenté Kick International au conseil d’administration du Standard de 1998 à février 2005.


La société boite-aux-lettres Kick International Agency BV, derrière laquelle Luciano D'Onofrio s'est abrité pour investir 3,6 millions d'euros dans le Standard de Liège il y a dix ans, est domiciliée dans cet immeuble du géant de l'audit KPMG, dans la banlieue d’Amsterdam. Photo (c) Google
Le registre hollandais indique par ailleurs que Kick International est une filiale à 100% de International Agency for Marketing Ltd. (IAM), une sulfureuse société offshore du Liechtenstein dont la justice française a percé le voile d’opacité et mis à jour le bénéficiaire économique: Luciano D’Onofrio.

Fin des années 1980, cette coquille enregistrée à Vaduz apparaît dans l’affaire de la caisse noire du Sporting Club de Toulon. Dans son réquisitoire, en 1995, le procureur général de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qualifiera Luciano D’Onofrio de «spécialiste de fourniture en fausses factures» émises par IAM.

A l’époque, D’Onofrio fournit ces faux en écriture à Rolland Courbis, alors entraîneur de Toulon, «pour détourner des fonds» du club et rémunérer des joueurs au noir. Au passage, l’intermédiaire D’Onofrio prend sa commission. «De plus, selon le procureur, il avait été mis en examen dans l’affaire des Girondins de Bordeaux pour des faits similaires.»

Dans l’affaire du SC Toulon, D’Onofrio sera condamné en novembre 1995 par le tribunal correctionnel de Marseille à un an de prison avec sursis et 50.000 francs (7.622 euros) d’amende pour faux, usage de faux et abus de confiance.

A Bordeaux, il écopera d’une amende de 300.000 francs (46.000 euros) pour abus de confiance et recel liés à son rôle d’intermédiaire dans les comptes occultes des Girondins. Il bénéficiera par la suite d’une grâce présidentielle.

Luciano D’Onofrio et sa société IAM apparaissent également dans le scandale des transferts frauduleux à l’Olympique de Marseille, fin des années 1990. En particulier dans les transactions liées aux transferts, en 1997, de l’attaquant français du FC Barcelone, Christophe Dugarry, et du centre-avant italien de Middlesborough, Fabrizio Ravanelli.

En novembre 2007, D’Onofrio sera condamné par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à deux ans de prison dont 6 mois fermes (18 mois avec sursis), 200.000 euros d’amende, et 2 ans d’interdiction d’activité liée au football sur le territoire français. Un jugement confirmé en cassation.

Selon ce jugement, que Le Soir s’est procuré, les transferts de Dugarry et Ravanelli ont donné lieu à une «majoration frauduleuse» de leur montant destinée à être reversée aux joueurs, dans le but de minorer les salaires à leur payer. Ces majorations se sont traduites par des commissions respectives de 3,6 et 5,3 millions de francs (549.000 et 808.000 euros) à la société IAM «dont le montant devait faire l’objet de rétrocessions occultes».

Fin 2003, soit après la recapitalisation du Standard, les enquêteurs liégeois commencent à soupçonner Luciano D’Onofrio d’avoir blanchi ces commissions occultes en les injectant dans le club liégeois. Le juge d’instruction financier Philippe Richard est saisi de l’affaire le 24 avril 2004.

Les limiers de la cité ardente creusent le sillon français. Et après Sclessin, perquisitionnent dans les plus grands clubs: Barcelone, Madrid, Porto, Lisbonne, Hambourg... Ils recherchent d’autres transferts suspects dans lesquels Luciano D’Onofrio est intervenu comme intermédiaire.

Ils en trouveront au moins deux: celui du gardien portugais du FC Porto, Vitor Baia, transféré du FC Porto au FC Barcelone en 1996, et celui de Sergio Conceiçao, transféré de l’Inter de Milan à la Lazio de Rome à l'été 2003.

Dans ce dernier cas, des commissions occultes auraient transité par Corporate Press Limited, une coquille britannique créée en juillet 2002, à Londres, à quelques encablures de la City. Cette offshore vient tout juste d’être dissoute et sera définitivement rayée du registre britannique ce mardi.

David Leloup


Enquête menée avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Communauté française, publiée dans Le Soir du samedi 25 juin 2011 (PDF)


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