mercredi 29 mars 2006

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Des résultats à méditer...


«Méditez, méditez, il en restera toujours quelque chose!» Telle pourrait être la maxime commune du Dalaï-lama et des meilleurs spécialistes du cerveau. Car la pratique régulière de la méditation semble bien modifier durablement la structure et le fonctionnement de notre précieux organe...

Lentement, mais sûrement, les résultats scientifiques s’accumulent. La première étude expérimentale vraiment sérieuse à scruter la nature des états méditatifs a été publiée à l’automne 2004 dans les prestigieux Proceedings of the National Academy of Science (PNAS) (1). Téléchargé plus de 150 000 fois, l’article signé par l’équipe de Richard Davidson de l’université du Wisconsin à Madison, figurait un an plus tard à la cinquième place des articles les plus lus sur le site Internet de la revue.
«Jusque-là, les scientifiques qui s’intéressaient à ces questions étaient un peu marginaux et leurs études souvent bancales sur le plan méthodologique», explique Matthieu Ricard, docteur en biologie moléculaire, moine bouddhiste depuis 1978 et cosignataire de l’article. De plus, le type de méditation étudiée dégageait un fort parfum «New Age» pas très en odeur de sainteté auprès des éminences tant scientifiques que bouddhistes... «Aujourd’hui le vent a tourné, poursuit Matthieu Ricard. Les meilleurs spécialistes des neurosciences travaillent avec les meilleurs méditants – des lamas tibétains qui ont entre 10 000 et 50 000 heures de méditation derrière eux –, en utilisant des outils d’investigation à la pointe de la technologie.»

Ondes gamma

Ce regain d’intérêt pour l’étude scientifique des états méditatifs n’aurait sans doute pas vu le jour sans les rencontres «science et bouddhisme» organisées depuis 1987 par le Mind & Life Institute, une structure fondée par feu le neurobiologiste Francisco Varela et l’homme d’affaires Adam Engle. Très discrètes au début, rassemblant la crème des spécialistes mondiaux en neurosciences, ces rencontres ont été créées précisément pour que le Dalaï-lama puisse approfondir ses connaissances scientifiques et pour initier le dialogue avec lui. Les connaissances bouddhistes sur le fonctionnement de l’esprit, acquises par l’introspection depuis 2500 ans, se confrontent ainsi aux résultats les plus récents de la recherche sur le cerveau. Signe que les mentalités ont bel et bien changé, le chef spirituel des bouddhistes a prononcé à Washington, le 12 novembre dernier, le discours inaugural du congrès annuel de la Société étasunienne de neurosciences, où quelque 30 000 participants étaient attendus.
Dans ce contexte d’ouverture réciproque, l’étude publiée dans les PNAS n’est assurément que la première d’une longue série. Mais que révèle-t-elle au fait? Que le cerveau de méditants expérimentés émet des ondes gamma très puissantes au cours d’une méditation sur la compassion universelle. «Cet exercice mental consiste à imprégner son esprit de compassion et d’amour inconditionnels pour tous les êtres, proches, étrangers ou ennemis, humains et non humains, explique Matthieu Ricard. Il ne s’exerce pas sur un sujet précis, ce qui permet d’éviter la stimulation de la mémoire et de l’imagination.» Les oscillations gamma, détectées par un électroencéphalographe à 256 électrodes, sont des ondes de haute fréquence (25 à 42 Hz) qui témoigneraient d’une activation neuronale exceptionnelle, telle qu’on la rencontre dans des processus d’attention et de perception.

Le bonheur? Un «savoir-faire»

Les scientifiques ont en outre observé que l’activité électrique à la surface du scalp, qui reflète l’activité neuronale des méditants, indique que leurs neurones semblent vibrer en réseau et de manière plus synchronisée, contrairement à ceux des méditants novices du groupe contrôle (2). Enfin, et c’est sans doute là un des résultats les plus intéressants, les méditants qui ont la plus longue pratique de la méditation sont aussi ceux qui génèrent les plus hauts niveaux d’ondes gamma. Et cela pendant la méditation comme au repos. A l’instar de l’exercice physique qui sculpte les muscles, l’entraînement mental semble donc en mesure de façonner durablement notre matière grise... Pour Davidson et ses collaborateurs, le bonheur, la compassion ou les capacités attentionnelles seraient, tout comme les compétences sportives, des «savoir-faire» (skills) qui résulteraient de plusieurs années d’entraînement et d’apprentissage. «Les experts en méditation que nous avons étudiés pourraient avoir développé un savoir-faire particulier, à savoir celui de réguler et de transformer leurs émotions, en particulier les émotions négatives», suggère Antoine Lutz, principal auteur de l’article publié dans les PNAS.
Avant d’en avoir la certitude absolue, cependant, il faudra étudier comment le cerveau des méditants évolue sur la durée. Bref, réaliser une étude longitudinale sur plusieurs milliers de sujets pendant au moins 20 ans. «C’est le travail d’une carrière, estime Paul Ekman, un des meilleurs spécialistes mondiaux de la psychophysiologie des émotions, qui participe aux rencontres du Mind & Life Institute. Et je pense que des personnes influencées par le bouddhisme seraient plus disposées à y consacrer le temps nécessaire, car elles sont moins préoccupées par leur propre soif de gloire et de reconnaissance immédiate (3)

La compassion au scanner

Comme on ne fait pas se déplacer des lamas tibétains de leur retraite monastique pour un simple électroencéphalogramme, fût-il sophistiqué, l’équipe de Davidson a profité de leur présence pour les faire «mijoter» quelques heures au scanner. Objectif, cette fois: tenter de voir concrètement, grâce à l’imagerie par résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (IRMf), ce qui se passe à l’intérieur de leur cerveau pendant la méditation. Les résultats de ce second volet viennent d’être décryptés. Ils révèlent que l’activité cérébrale des méditants concentrés sur la compassion est particulièrement élevée dans le lobe préfrontal gauche, une région du cerveau liée aux émotions positives. De plus, la zone impliquée dans la planification des mouvements et l’amour maternel est aussi fortement stimulée. Bizarre? Pas pour Matthieu Ricard: «La compassion suscite une totale disponibilité à l’autre: celle-ci peut donc être utilisée pour agir.» Ces résultats, jamais observés jusqu’ici, ont été soumis pour publication à des revues scientifiques de tout premier plan.
Mais d’autres études sont déjà «dans le tube». A l’université de Princeton, Jonathan Cohen et Brent Field s’intéressent aux capacités attentionnelles des méditants expérimentés. Deux d’entre eux, tout juste sortis d’une retraite de trois ans, se sont révélés capables, au cours d’un test classique de vigilance, de maintenir intacte la qualité de leur attention pendant 10 minutes. Des performances exceptionnelles puisque le commun des mortels connaît lui une baisse de régime importante à ce test après 5 minutes...

Contrôler un réflexe incontrôlable

A l’université de Californie à San Francisco, Paul Ekman et Robert Levenson se sont «amusés», eux, à faire sursauter des moines tibétains. Le sursaut est un réflexe primitif déclenché chez tous les êtres humains par un bruit soudain, par exemple. Instantanément, une réaction physiologique se produit et cinq muscles faciaux se contractent, notamment autour des yeux. Le phénomène, très fugace (environ 1/3 de seconde), est incontrôlable: même des tireurs d’élite qui s’entraînent quotidiennement n’arrivent pas à l’inhiber. Matthieu Ricard, lui, y est partiellement parvenu. Dans un état méditatif de «présence éveillée» – «un état d’esprit parfaitement clair, ouvert, vaste et alerte, libre d’enchaînements de pensée et dépourvu de toute activité mentale intentionnelle» –, il a été soumis à une série de fortes détonations (coups de feu, pétards...) précédées à chaque fois d’un compte à rebours. Si ses paramètres physiologiques (pouls, sudation, pression artérielle) ont montré les pics classiquement observés lors d’un sursaut, aucun de ses muscles faciaux n’a par contre tressailli. Du jamais vu pour Ekman en 35 ans de carrière. «Ces résultats préliminaires, obtenus tant à Princeton qu’à San Francisco, n’ont cependant pas de réelle valeur scientifique, tempère Matthieu Ricard. Pour cela, ils devront être reproduits sur un plus grand nombre de sujets et résister ensuite aux critiques méthodologiques formulées par les relecteurs d’une revue scientifique.»

Après l’hôpital, l’école?

Les résultats publiés, par contre, ouvrent déjà des perspectives d’application clinique pour les problèmes de déficit d’attention, d’anxiété, voire de vieillissement neuronal. «Un programme de gestion du stress basé sur l’entraînement à l’attention est appliqué quotidiennement dans des dizaines d’hôpitaux aux Etats-Unis, explique Antoine Lutz, afin d’aider les personnes souffrant d’anxiété, de dépression ou de douleurs chroniques comme dans les phases terminales du cancer.» Car point n’est besoin d’être un lama tibétain surentraîné pour bénéficier des effets de la méditation. En 2003 déjà, le labo de Davidson avait montré un effet bénéfique de celle-ci sur le système immunitaire. Après 8 semaines de pratique régulière, 25 employés d’une société de biotechnologies de Madison avaient été vaccinés contre la grippe. Quatre mois plus tard, ils avaient développé significativement plus d’anticorps contre le virus que les sujets d’un groupe témoin.
Si tous ces résultats se confirment dans les mois et les années à venir, la méditation pourrait acquérir en Occident les lettres de noblesse dont elle jouit depuis des millénaires dans la culture bouddhiste. Validées scientifiquement et sécularisées, ces techniques ancestrales seront-elles demain inscrites au programme de nos écoles, sorte de pendant «mental» au cours d’éducation physique? En Dordogne, en tout cas, un instituteur pratique déjà l’«entraînement laïc à l’attention» avec ses élèves: 10 minutes de méditation le matin, 10 minutes en fin de journée (4). Et ce, avec la «bénédiction» des autorités éducatives. Les enfants adorent ça, paraît-il...
David Leloup

(1) «Long-term meditators self-induce high-amplitude gamma synchrony during mental practice».
(2) Qui ont reçu un cours de méditation et qui se sont entraînés chaque jour pendant une semaine.
(3) «Two sciences of mind»,
Shambhala Sun, septembre 2005.
(4) «Nouveau karma scientifique»,
Sciences & Avenir, août 2005.


En savoir +
Plaidoyer pour le bonheur, Matthieu Ricard, NiL, 2003 (en particulier le chapitre 21).
Surmonter les émotions destructrices, Daniel Goleman, Robert Laffont, 2003.
Mind & Life Institute: www.mindandlife.org (en anglais).

Légende photo:
Science et bouddhisme sur la même longueur d’ondes: Choegyal Rinpoche, 54 ans de pratique méditative, s’est déplacé du Népal pour participer aux recherches de Richie Davidson à l’université du Wisconsin. Pas moins de 256 électrodes (contre 32 habituellement) ont enregistré les ondes électromagnétiques émises par son cerveau pendant la méditation.



Ce texte a été initialement publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

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samedi 25 mars 2006

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Quand la convergence divise


En démarrant ce blog, je pensais y publier certains de mes articles rédigés pour la presse écrite en vue de leur donner une seconde vie sur la toile. Pour la première fois, c’est l’inverse qui se produit: le mensuel Journalistes, la lettre de l’Association belge des journalistes professionnels, souhaite reprendre dans ses colonnes un billet que je n’avais écrit «que» pour la toile.
L’adaptation des liens en notes de bas de page et la nécessaire mise à jour du billet ont nécessité un petit travail de recherche et de réécriture. Mais je pense qu’il fallait le faire. Le sujet est important à mes yeux car il interroge les fondements mêmes de la profession journalistique.
Sans surprise, l’expérience pilote de La Libre Belgique en matière de convergence multimédia divise la rédaction en deux camps. D’un côté, les «enthousiastes» sont séduits par l’aventure et les potentialités multimédia offertes par la toile. De l’autre, les «sceptiques» fustigent cette expérience de «convergence» qu’ils perçoivent en réalité comme une vraie divergence sur le plan des savoir-faire sollicités. Ils prônent dès lors un recentrage sur leur core business, à savoir la publication exclusivement «papier». La «fracture numérique» n’épargne pas les rédactions...
A cela, il faut ajouter l’émergence du «journalisme citoyen» qui divise également une profession dont les «barrières à l’entrée» ont baissé drastiquement avec la démocratisation de l’accès à Internet et l’avènement du Web 2.0... J’y reviendrai prochainement car le sujet me passionne.
En attendant, voici la version 1.5 de «Presse écrite: muter ou périr», telle que je l’ai envoyée avant-hier à Journalistes. Avec quelques liens html dans les notes de bas de page. Car on est quand même sur la toile.


Web 2.0
Presse écrite: muter ou périr?

La Belgique est-elle le laboratoire numérique de la presse écrite de demain? Après l’annonce par le quotidien économique flamand De Tijd du lancement en avril, en collaboration avec Philips, d’une version numérique de son journal sur «papier électronique», c’est au tour du quotidien francophone La Libre Belgique de préparer sa mutation médiatique à l’ère du Web 2.0.

Depuis le 12 février, le webmaster du site de La Libre Belgique et de La Dernière Heure (groupe IPM), qui est également journaliste, tient un blog sobrement intitulé «La presse et son Web» (1). Renaud Hermal, c’est son nom, y lève progressivement le voile sur ce que nous prépare le quotidien du boulevard Emile Jacqmain sur le front du journalisme multimédia. Car La Libre, qui n’a pas envie que son lectorat s’érode, tente activement de trouver la parade à la désertion qui frappe la presse écrite depuis des années déjà.
En France, Libération et Le Monde proposent depuis peu sur leurs sites Internet des extraits audio (parfois vidéo) d’interviews réalisées par les journalistes de la rédaction pour leurs articles du journal papier – une démarche à ne pas confondre avec les séquences vidéos proposées par Le Figaro, La Libre et Le Soir, achetées «clé sur porte» à Zoom.In, une petite société amstellodamoise qui exploite cette niche particulière (2).

Convergence multimédia

La Libre semble vouloir aller plus loin. Dans un message sur son blog (3), Renaud Hermal évoque la récente formation qu’ont suivie certains journalistes du quotidien pour apprendre à publier les mêmes informations sur différents supports (journal, Web) et en différents formats (texte, audio et vidéo), un processus qu’il est convenu d’appeler la «convergence multimédia». Ainsi, début mars, «une équipe de télévision a accompagné quelques journalistes dans leurs déplacements afin de monter un sujet vidéo en complément de l’article paru dans le journal papier». Tout cela pour «approfondir encore plus ce thème de la convergence et voir concrètement comment cela peut s’organiser sur le terrain et dans le futur», écrit Renaud Hermal. Car le rêve de beaucoup de patrons de presse, rappelle-t-il sans les désigner explicitement, «est que le journaliste puisse écrire, filmer, prendre une photo et enregistrer son interview». Reste à voir comment les journalistes eux-mêmes – et les syndicats qui les défendent – réagiront face à une telle ambition que leur prêtent leurs employeurs...
Réaliste, le journaliste-webmaster-blogueur souligne la difficulté concrète de l’exercice, et la créativité formelle qu’il va falloir mettre en œuvre pour ne pas faire «en moins bien» ce que les professionnels de la radio et de la télé font tous les jours (4). Il insiste également sur la nécessaire révolution interne des structures de fonctionnement des mass médias traditionnels pour réussir cette mutation technologique: «revoir le fonctionnement des rédactions, organiser un partage des connaissances et surtout être conscient que notre métier de journaliste est en train de changer fondamentalement. Ne pas vouloir l’admettre est une grave erreur...»

Convergence rédactionnelle

En effet, le développement actuel du Web 2.0, avec son cortège de blogs, vlogs, wikis, podcasts et autres flux RSS, et l’essor des «médias citoyens», à l’instar de OhMyNews.com en Corée du Sud, Bayosphere.com aux Etats-Unis ou AgoraVox.com en francophonie, sont au cœur de la révolution «pronétarienne» – et donc médiatique – en cours (5). Au défi de la convergence multimédia se superpose également celui de la convergence rédactionnelle des contenus produits par les journalistes professionnels et «amateurs». Comme le résume Dan Gillmor, journaliste étasunien et auteur de We the Media (O’Reilly, 2004), bible de ce nouveau «journalisme citoyen» en plein essor, «mes lecteurs en savent collectivement plus que moi». Tom Glocer, PDG de l’agence Reuters, l’a d’ailleurs bien compris. «Dans l’industrie de l’information, la combinaison de contenus professionnel et “amateur” génère un meilleur produit», écrivait-il récemment dans une tribune du Financial Times exhortant les «vieux médias» à collaborer avec les blogueurs et les nouveaux «journalistes citoyens» (6). Le récent rachat par Ruppert Murdoch de MySpace.com est à considérer également sous cet angle (7).
Bref, dans ce nouveau contexte, «la presse écrite quotidienne (...) n’est définitivement plus un média qui peut s’adresser à tout le monde», analyse Jeff Mignon, un consultant médias basé à New York, en commentant sur son blog (8) une récente enquête de la société californienne Outsell sur les sources d’information de 2800 Etasuniens selon leur âge (9). «La presse écrite en général (quotidiens et magazines) est la source d’informations, en priorité, des plus de 65 ans, parfois des 18-30 ans (pour les infos nationales et internationales, le cinéma et les loisirs). La télévision touche également un public de plus en plus vieux, majoritairement les plus de 65 ans. Internet est utilisé par toutes les générations, sauf les plus de 65 ans.»

Le Web, seul média «mass-market»

Comme ses lecteurs – plutôt âgés –, la presse écrite quotidienne est-elle en voie de disparition? Il est sans doute un peu naïf de le penser (elle n’a pas dit son dernier mot) et de toutes façons beaucoup trop tôt pour l’affirmer. Que révélerait en effet une telle enquête si elle était réalisée en Europe, où le taux de pénétration d’Internet dans la population est presque deux fois moindre qu’en Amérique du Nord (10)? Ce qui est clair en tout cas pour Mignon, «c’est que seul Internet est en train de devenir un média mass-market. Les autres devront faire des choix ou prendre le risque de ne satisfaire personne.»
En octobre dernier, dans un entretien accordé au Figaro, Bill Gates estimait que «dans cinq ans, on peut penser que 40 à 50% des gens liront la presse en ligne», jugeant «cruciale» pour les journaux la qualité de leur site Internet. Une prédiction qui vaut ce qu’elle vaut, bien sûr. Mais la jeune génération biberonnée à la diversité des sources (Internet), à l’expression personnelle (blogs), à la gratuité des contenus culturels (peer-to-peer), à la portabilité multimédia (podcasting) et à la «culture du temps réel» (Web, GSM) se tournera-t-elle spontanément vers le papier payant quand viendra l’âge de la pension (11)? Seuls ceux qui n’anticipent pas les changements à venir semblent encore y croire.
David Leloup

Adaptation pour Journalistes d’un billet publié le 9 mars sur David-Leloup.blogspot.com, repris le 10 sur AgoraVox.com. Diffusé sous licence Creative Commons «Paternité - Pas d’utilisation commerciale - Pas de modification».



(1) LaPresseEtSonWeb.blogs.lalibre.be.
(2) Zoom.In, en attendant l’avènement du grand marché de l’UMTS (téléphonie 3G multimédia), vend à une série de quotidiens hollandais, belges et français, ainsi qu’à une flopée de portails Internet, des news vidéo réalisées en piochant, pour l’international, dans le flux continu de l’agence Reuters et, pour l’info locale, dans la production de diverses télés régionales (TV Brussel pour
Le Soir et La Libre).
(3) «Une belle expérience», 7 mars 2006.
(4) Le premier véritable
podcast réalisé par un quotidien belge (44 minutes audio consacrées au... basket), a été mis en ligne le 21 mars par la Dernière Heure. Animé par... Renaud Hermal, il sera publié à un rythme hebdomadaire. Deux autres podcasts sont annoncés pour étoffer l’offre.
(5) Lancé par Joël de Rosnay en avril 2005, AgoraVox.com est une espèce d’Indymedia centralisé et pluraliste qui filtre, classifie et médiatise les productions personnelles des «pronétaires» (tous ceux qui sont sur et pour le Net), soit quelque 2800 blogueurs francophones. Audience annoncée: 350.000 lecteurs en février 2006 (à titre de comparaison LaLibre.be a été visitée par 580.000 internautes sur la même période).
(6) «Old media must embrace the amateur», Financial Times, 7 mars 2006.
(7) Quatrième site le plus consulté au monde derrière Yahoo!, AOL et MSN, MySpace.com est une communauté virtuelle où les membres peuvent créer leur blog, publier des photos et des créations artistiques, et communiquer entre eux via un système de messagerie interne.
(8) «Les habitudes en termes de sources d’information par génération», MediaCafe.blogspot.com, 3 mars 2006.
(9) «The Future of News», disponible sur OutsellInc.com.
(10) InternetWorldStats.com/stats.htm.
(11) En France, selon l’étude Consojunior 2006 publiée en mars par l’agence TNS Media Intelligence, les 11-19 ans déclarent notamment préférer surfer sur le Net (60,6%) que regarder la télé (57,1%) ou écouter la radio (51,2%); 12% sont abonnés à des alertes SMS sur leurs centres d’intérêt; 19% possèdent leur propre blog; 23% lisent la presse écrite gratuite...

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mercredi 15 mars 2006

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Le monde de Sophie


Depuis quelques jours, les amateurs de pop songs mélancoliques ont l’opportunité de découvrir en MP3, sur le site Internet de Sophie Galet, trois titres à paraître prochainement sur son premier album. A l’instar du foudroyant succès des jeunes Anglais d’Arctic Monkeys, qui se sont fait connaître notamment en mettant leurs morceaux en téléchargement gratuit sur la toile, la chanteuse liégeoise parie sur le podcasting et le bouche-à-oreille des blogs en réseau pour trouver son public. Saluons d’emblée la démarche, aux antipodes de la logique paranoïaco-mercantile des majors infocapitalistes de l’industrie du disque qui n’ont pas encore compris l’équation de la «nouvelle nouvelle économie», si bien formulée par Joël de Rosnay: flux + buzz = bizz. Alors que l’album n’est pas encore sorti, elle a ainsi déjà un fan à Hong Kong. Un disquaire qui veut y vendre son CD!
Mais qui diable est Sophie Galet? Une jeune trentenaire. Belge. Graphiste de jour. C’est elle qui commet notamment les très belles mises en pages dont bénéficie Imagine depuis un an. La nuit, quand elle ne blogue pas, elle peaufine le mixage et le graphisme de son premier album, autoproduit, enregistré l’été dernier au studio de la Soundstation, à Liège. Mais maintenant, tout est prêt. Elle a trouvé un distributeur – Bang! – et début avril, Cyclus sera enfin disponible dans les bacs.

Exutoire

Selon les mots de Sophie, cet album est «une sorte d’exutoire contenant l’essence de ces dix dernières années». Ecrit entre Londres (où elle fût jeune fille au pair en 1993) et Seraing (où elle vit et travaille aujourd’hui), Cyclus boucle ainsi symboliquement une décennie pour le moins mouvementée sur le plan personnel...
Les trois chansons disponibles en téléchargement, douces et intemporelles, méritent qu’on y jette une oreille. Vraiment. Et je n’écris pas ça parce que je connais Sophie depuis 15 ans.
«My vision’s gone», le single calibré FM que l’on peut entendre actuellement sur les ondes de La Première, est une pop song efficace qui se laisse fredonner facilement. Si les couplets, avec leur riff de guitare à contretemps, ont des réminiscences du «Sonnet» de The Verve (sur Urban Hymns), le refrain lorgne plutôt du côté de l’Irlande des Cranberries, avec ses jolies inflexions de voix à la Dolores O’Riordan.
Mais le spectre musical de Sophie s’élargit considérablement à l’écoute des deux autres morceaux. Avec son vent synthétique en intro, ses guitares limpides qui ricochent dans les oreilles et tournoient dans la tête comme un carrousel exhumé d’un lointain souvenir d’enfance, «Beautiful landscape» nous promène dans des paysages bucoliques, apaisés après une grosse tempête. On jurerait entendre des chants d’oiseaux. On les a rêvés. Gamine, Sophie voulait être à la fois «chanteuse» et «garde forestier»: elle a réussi son coup.
Quant à «January», jolie berceuse intimiste sobrement accompagnée par un orgue seventies entièrement au service de la voix, elle n’a mélodiquement rien à envier aux balades pianistiques d’un Scott Walker ou d’un Chris Martin. Onirique.

Nuits Botanique

L’album est produit par le félin Miam Monster Miam (oui, celui qui chante «Sophie»...), dont la patte artistique est très présente puisqu’il signe également quatre morceaux et en cosigne cinq.
Pour l’heure, Sophie répète beaucoup. Elle défendra son album sur scène dans les semaines qui viennent, avec, peut-être, l’une ou l’autre chanson en français... Au programme, notamment, une première partie le 5 mai aux Nuits Botanique à Bruxelles et une apparition radiophonique live, le samedi 25 mars à 16h00 sur La Première, dans l’émission «Quand les jeunes s’en mêlent». D’autres dates sont programmées, notamment à Liège fin mars et en avril. En attendant, offrez-vous donc une parenthèse musicale. C’est ici qu’elle s’ouvre. Parviendrez-vous à la refermer?

Téléchargez le single «My vision’s gone» en MP3.
Ecoutez les trois titres sur SophieGalet.com.
Cyclus sera dans les bacs en avril (Bang!).

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jeudi 9 mars 2006

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Presse écrite: muter ou périr?


La Belgique est-elle le laboratoire numérique de la presse écrite de demain? Après l’annonce par le quotidien économique flamand De Tijd du lancement en avril, en collaboration avec Philips, d’une version numérique de son journal sur «papier électronique», c’est au tour du quotidien francophone La Libre Belgique de préparer sa mutation médiatique à l’ère du Web 2.0.

Depuis moins d’un mois, le webmaster du site de La Libre Belgique et de La Dernière Heure (deux quotidiens appartenant au groupe de presse belge IPM), qui est également journaliste, tient un blog sobrement intitulé «La presse et son Web». Renaud Hermal, c’est son nom, y lève progressivement le voile sur ce que nous prépare le quotidien du boulevard Emile Jacqmain sur le front du journalisme multimédia. Car La Libre, qui n’a pas envie que son lectorat s’érode, tente activement de trouver la parade à la désertion qui frappe la presse écrite depuis des années déjà.

Approfondir la convergence

Dans un message sur son blog, Renaud Hermal décrit la récente formation qu’ont suivie certains journalistes du quotidien pour apprendre à publier les mêmes informations sur différents supports et selon différents formats (journal papier, site Web, audiocast et videocast). La semaine dernière, «une équipe de télévision a accompagné quelques journalistes dans leurs déplacements afin de monter un sujet vidéo en complément de l’article paru dans le journal papier», nous explique-t-il. Tout cela pour «approfondir encore plus ce thème de la convergence et voir concrètement comment cela peut s’organiser sur le terrain et dans le futur». Car le rêve de beaucoup de patrons de presse, rappelle-t-il sans les nommer, «est que le journaliste puisse écrire, filmer, prendre une photo et enregistrer son interview». Reste à voir comment les journalistes eux-mêmes – et les syndicats qui les défendent! – réagiront face à une telle ambition que certains leur prêtent...
Réaliste, le journaliste-webmaster souligne la difficulté concrète de l’exercice et la créativité formelle qu’il va falloir mettre en œuvre pour ne pas faire «en moins bien» ce que les professionnels de la radio et de la télé font tous les jours. Il insiste également sur la nécessaire révolution interne des structures de fonctionnement des médias traditionnels qu’impose l’essor et la concurrence des «médias des masses»: «Nous devons trouver l’organisation pour arriver à produire du multiple média: une organisation structurelle, revoir le fonctionnement des rédactions, organiser un partage des connaissances et surtout être conscient que notre métier de journaliste est en train de changer fondamentalement. Et il ajoute: Ne pas vouloir l’admettre est une grave erreur...»

Le papier pour les papys

Le développement actuel du Web 2.0, avec son cortège de blogs , vlogs, wikis, etc., et la création d’AgoraVox, cet espèce d’Indymedia centralisé et pluraliste dont une version anglophone verra bientôt le jour, sont au cœur de la révolution pronétarienne – et donc médiatique – en cours. «La presse écrite quotidienne (...) n’est définitivement plus un média qui peut s’adresser à tout le monde», analyse Jeff Mignon, un consultant médias basé à New York, en commentant une toute récente enquête de la société californienne Outsell sur les sources d’information de 2800 Etasuniens selon leur âge. «La presse écrite en général (quotidiens et magazines) est la source d’infos, en priorité, des plus de 65 ans, et parfois des 18-30 ans (pour les infos nationales et internationales, le cinéma et les loisirs). La télévision touche également un public de plus en plus vieux, majoritairement les plus de 65 ans. Internet est utilisé par toutes les générations, sauf les plus de 65 ans.»

Le Web, seul média «mass-market»

Comme ses lecteurs – plutôt âgés –, la presse écrite quotidienne est-elle en voie de disparition? Il est sans doute un peu naïf de le penser (elle n’a pas dit son dernier mot) et de toutes façons beaucoup trop tôt pour l’affirmer. Que révélerait en effet une telle enquête si elle était réalisée en Europe, où le taux de pénétration d’Internet dans la population est presque deux fois moindre qu’en Amérique du Nord? Ce qui est clair en tout cas pour Mignon, «c’est que seul Internet est en train de devenir un média mass-market. Les autres devront faire des choix ou prendre le risque de ne satisfaire personne.»
En octobre dernier, dans un entretien accordé au Figaro, Bill Gates estimait que «dans cinq ans, on peut penser que 40 à 50% des gens liront la presse en ligne», jugeant «cruciale» pour les journaux la qualité de leur site Internet. Une prédiction qui vaut ce qu’elle vaut, bien sûr. Mais la jeune génération, biberonnée à l’Internet, aux blogs et aux podcast se tournera-t-elle vers le papier quand viendra l’âge de la pension? Seuls ceux qui n’anticipent pas les changements à venir semblent encore y croire.

Mise à jour: cet article a été publié et est disponible en version audio sur AgoraVox. Quelques réactions également sur la même page. Lire également «Quand la convergence divise».

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lundi 6 mars 2006

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Que se passe-t-il en Afghanistan?

Quatre ans après la guerre, l’économie de l’opium (transformé en morphine et en héroïne), représente 60% du PIB de l’Afghanistan. Un record absolu. En Colombie, par comparaison, là où les Etats-Unis mènent depuis des années une guérilla anti-drogue, la cocaïne n’a jamais excédé 7% du PIB. L’Afghanistan est-il dès lors condamné à rester un éternel narco-Etat? C’est la question que pose Alain Labrousse, l’un des meilleurs experts mondiaux de la géopolitique des drogues, dans cette enquête de terrain très documentée.
A court terme en effet, la culture du pavot offre un moyen de survie à des millions de paysans. Mais à long terme, elle hypothèque complètement le développement du pays. Labrousse montre notamment que la «guerre sainte à la drogue» lancée par le président Hamid Karzaï, dont le gouvernement est miné par la corruption, n’est qu’une formule rhétorique creuse destinée à faire bonne figure vis-à-vis de la communauté internationale. Car le principal facteur qui conditionnera l’évolution du pays, estime Labrousse, c’est le rôle qu’entendent jouer les Etats-Unis sur place. Or ils tiennent à ce fameux projet de pipeline traversant l’Afghanistan pour acheminer le pétrole et le gaz de l’Asie centrale jusqu’au Golfe d’Oman, au Pakistan. Or ils tiennent à installer de nouvelles bases militaires permanentes sur le territoire afghan, véritable «tremplin» pour une implantation future en Asie centrale où opèrent déjà leurs pétroliers nationaux Unocal, Chevron et Mobil. Ces bases seraient également bien utiles en cas de conflit avec l’Iran… Mais voilà, pour réaliser ces projets géostratégiques, il est nécessaire de faire ami-ami avec les petits chefs de guerre locaux qui se livrent au trafic de drogue...
D.L.

Afghanistan. Opium de guerre, opium de paix, Alain Labrousse, Mille et Une Nuits, 2005, 398 p.

Ce texte a été publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

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vendredi 3 mars 2006

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La révolution «pronétarienne»

Surf 2.0



L’Internet a muté. La plupart des médias, des industriels et des politiques n’ont rien vu venir. Et sont désarçonnés. Dans son dernier livre, Joël de Rosnay décode magistralement cette mutation et ses implications sociétales. Et nous explique enfin pourquoi, quand on tape «Nicolas Sarkozy» dans Google, on tombe sur le film Iznogoud.


Blogs, vlogs, wikis, fil RSS, podcast, P2P, iPod, Skype, BitTorrent…: si vous êtes complètement largué(e) par le train fou du cybermonde, La révolte du pronétariat de Joël de Rosnay et Carlo Revelli est l’occasion ou jamais de rattraper votre retard, et de prendre même quelques longueurs d’avance sur l’histoire. L’ouvrage décrypte tous ces termes barbares et expose les enjeux de ces technologies à la base de ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler le Web 2.0.
Dès 1994, Jim Clarke, fondateur de Netscape, nous avait prévenus: tôt ou tard il faudrait tenir compte du «feedback» d’Internet, ce tsunami informationnel qui finirait par émaner des internautes eux-mêmes. Nous y sommes. Depuis que vous avez entamé la lecture de cet article, quatre nouveaux blogs au moins ont été créés. De qualité très inégale, il est vrai, ces blocs-notes personnels publiés sur la toile remettent néanmoins en question le pouvoir et la légitimité des médias traditionnels. L’Internet n’est plus la NTIC (nouvelle technologie de l’information et de la communication) verticale qu’il était à ses débuts. Il s’est mué en TR (technologie de la relation) horizontale. Tout cela grâce à l’universalité du langage numérique, à la démocratisation du multimédia et aux technologies imprononçables citées en début d’article.
Conséquence: les mass media détenus par les «info-capitalistes» (propriétaires des robinets, tuyaux et contenus médiatiques) sont directement «challengés» par les médias des masses aux mains des «pronétaires» (tous ceux qui sont sur et pour le Net). Munis d’un simple clavier, d’un appareil photo ou d’une caméra numérique, des milliers d’internautes peuvent désormais réaliser un travail de proximité incroyable dont aucun média classique ne pourrait jamais rêver. Et en plus, ils donnent leur avis sur tout et n’importe quoi ! A tel point qu’en France, deuxième pays de la blogosphère, un nouveau magazine entièrement dédié aux blogs, Netizen, a fait son apparition début février dans les kiosques.
Les «foules intelligentes» chères au sociologue étasunien Howard Rheingold (1) seraient-elles en train de prendre tout doucement le pouvoir ? Après avoir mis des MP3 dans les roues de l’industrie musicale, après avoir contrecarré la propagande oui-ouiste des médias dominants au référendum français sur la Constitution européenne – souvenons-nous du blog d’Etienne Chouard –, les pronétaires viennent à nouveau de court-circuiter les majors du disque en plébiscitant les jeunes Anglais d’Arctic Monkeys, premier groupe rock de l’histoire à s’être fait connaître mondialement en offrant ses chansons en téléchargement gratuit. Grâce à leur talent, mais surtout au bouche à oreille véhiculé par les blogs, le label indépendant qui les a signés a écoulé plus de 360.000 exemplaires du premier album en Grande-Bretagne la semaine de sa sortie. Un record absolu. En décembre dernier, une enquête de la revue Nature révélait que les articles scientifiques publiés par les internautes sur l’encyclopédie collaborative et gratuite Wikipédia étaient de qualité équivalente à ceux de l’encyclopédie payante Britannica. Les monopoles se fissurent. Et ce n’est que le début…
D.L.

(1) Foules intelligentes, Howard Rheingold, M2 Editions, 2005.


«La nouvelle nouvelle économie, c’est comme les soldes!»



Joël de Rosnay, vous avez cofondé AgoraVox.com en 2005, un «journal citoyen» en ligne que vous qualifiez de «premier média pronétaire». En quoi se distingue-t-il d’Indymedia, créé en 1999?
AgoraVox se distingue par son approche multidimensionnelle des sujets traités et par son ouverture en matière de thèmes et d’approches éditoriales. Près de 2000 blogueurs contribuent actuellement à AgoraVox, et nous recevons entre 50 et 60 articles par jour. Lancé en mai 2005, ce média est lu aujourd’hui par 300.000 lecteurs distincts chaque mois. Il s’agit donc d’une autre dimension que celle d’IndyMedia, que je trouve excellent par ailleurs, mais qui garde une ligne éditoriale plus spécifique que la nôtre. La publication d’AgoraVox en anglais, dans les semaines qui viennent, étendra considérablement son audience à l’échelle du globe.

Comment sélectionnez-vous les articles publiés?
Pour faire émerger la qualité, nous utilisons un modèle de «pyramide à trois niveaux». A la base: une trentaine de volontaires, les éditeurs. Des petits logiciels baptisés « agents intelligents » trient par mots-clés les différents articles que nous recevons et les envoient automatiquement à certains éditeurs, selon leurs compétences. Ceux-ci peuvent en gros avoir trois attitudes face à un article : 1° le jeter à la poubelle parce qu’il est mal écrit, pas intéressant, trop peu critique, etc.; 2° l’envoyer à des correcteurs qui vont le préciser, l’améliorer; 3° l’envoyer à la «couche» supérieure, constituée de 20 personnes. Celle-ci procède de la même façon, et ainsi de suite. Si l’article traverse les trois couches, il arrive aux fondateurs de la revue, tout en haut de la pyramide, qui décident si l’article passe ou non.

De quelle manière certains grands médias, dont Business Week, se nourrissent-ils aujourd’hui des blogs?
L’an passé, les journalistes de Business Week ont été très critiques face à l’émergence des blogs et des journaux citoyens comme Backfence.com et Bayosphere.com aux Etats-Unis, ou OhMyNews.com en Corée du Sud. Ils ont d’abord considéré que c’était du mauvais journalisme, que ce mouvement n’irait pas très loin parce que les rédacteurs ne sont pas professionnels. Ils se sont ensuite aperçu que les internautes, une fois qu’on a pu leur faire confiance, ont souvent été à la source d’informations pertinentes et originales. Certains blogs deviennent ainsi des sources parmi d’autres. AgoraVox est référencé par Google Actualités et par les news de Yahoo!, où nos articles côtoient ceux de Libé, Le Figaro, Le Monde… Ainsi, progressivement s’établit une complémentarité entre les mass media et les médias des masses alimentés par les pronétaires. Je ne crois absolument pas à une lutte qui conduirait à la disparition des uns par rapport aux autres.

Pour vous, le modèle économique de la «nouvelle nouvelle économie» se résume à une équation : flux + buzz = bizz. En français, ça veut dire quoi?
C’est très schématique évidemment, mais en gros, je dis qu’il vaut mieux gagner 0,10 euro sur 10 millions de personnes avec 90% de marge – ce qui fait 900.000 euros –, que de gagner 10 euros sur 10.000 personnes avec 30% de marge – ce qui ne fait que 30.000 euros. Le trafic sur un site Internet – le flux – offre la possibilité de personnaliser la vente de services ou de produits à bas prix à un grand nombre de gens – c’est le bizz. Mais pour attirer les internautes sur un site, il faut qu’il soit amusant et gratuit. Ainsi les gens en parlent et font votre marketing gratuitement. C’est le buzz.

Quelles sociétés aujourd’hui gagnent de l’argent grâce à ce modèle?
Le logiciel Skype, par exemple, qui permet de téléphoner d’ordinateur à un autre n’importe où dans le monde, a commencé par être totalement gratuit. Grâce au buzz, des millions de personnes l’ont téléchargé. Puis Skype a lancé Skype Out, un service qui permet d’acheter des communications à très bas prix – 1,7 centime d’euro la minute – pour appeler n’importe quel téléphone fixe ou mobile dans le monde à partir d’un PC. Ensuite Skype a ouvert une boutique en ligne avec du merchandising (T-shirts, casquettes…) pour amplifier le buzz et faire du bizz en vendant des téléphones USB et, depuis peu, des téléphones wi-fi avec le logiciel intégré à utiliser dans toutes les zones Internet sans fil.
Autre exemple: Google Earth. Ce logiciel vous permet de voir votre maison à partir d’un satellite. C’est gratuit, c’est fun: des milliers de gens le téléchargent. Ensuite, Google ouvre la licence API (Application Program Interface) qui permet de faire des pushpins et des mash-ups. En français, ça signifie qu’un agent immobilier, par exemple, va pouvoir utiliser une carte Google Earth de la région où il est actif, placer des espèces de punaises virtuelles – les pushpins – là où il y a des maisons à vendre, et créer des mash-ups, c’est-à-dire retravailler les images de Google pour permettre aux gens de zoomer sur certaines zones, de voir si la municipalité permet de construire une piscine ou pas, etc. Ainsi, le droit de personnaliser le logiciel Google Earth est vendu à un prix dérisoire par Google. Mais multiplié par les millions d’utilisateurs des API, cela génère des revenus substantiels.

C’est ce que vous appelez la «nouvelle nouvelle économie»?
Ces deux exemples montrent qu’on peut bâtir une économie du gratuit qui devient payant au fur et à mesure que les flux changent l’échelle. C’est comme les soldes : certains commerçants font le chiffre d’affaires du reste de l’année en cinq jours. Et pourtant, ils donnent l’impression de ne rien gagner parce qu’ils vendent des produits à des prix très bas. C’est précisément ce que n’ont pas compris beaucoup d’industriels et de politiques: le flux crée un changement d’échelle et ouvre la voie à de nouveaux modèles économiques.

Dans une société de l’abondance numérique et de la gratuité, comment rétribuer les producteurs de contenu autrement que par la publicité?
Il faut sortir de cette logique d’exclusion selon laquelle on paie ou on est un pirate. De nombreuses pistes, non exclusives, peuvent être envisagées. Outre la publicité, il y a la notion de shareware: les gens téléchargent un logiciel, de la musique ou de la vidéo et, via PayPal, font un don correspondant à ce qu’ils estiment être correct en regard de la satisfaction obtenue. Il y a aussi, comme l’a fait iTunes, la possibilité de standardiser l’achat d’un contenu numérique (musique, texte, vidéo) par un prix bas mais que les gens sont prêts à payer. Car contrairement à ce que croient beaucoup de majors de la musique et même beaucoup de politiques, les gens sont prêts à payer. Mais pas les prix du commerce, jugés exorbitants. Donc ils téléchargent. Ce qui ne fait pas d’eux des pirates: ce sont des gens qui demandent de nouveaux droits et de nouveaux modèles économiques. Je pense aussi que l’Etat ne devrait pas trop réagir au début de cette phase innovatrice, précisément parce que la situation actuelle crée des contacts et des relations entre les différentes parties, ce qui contribue à l’innovation.
Entretien: D.L.

La révolte du pronétariat. Des mass media aux médias des masses, Joël de Rosnay (avec Carlo Revelli), Fayard, 2006.
Blog :
Pronetariat.com.

Ce texte a été publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

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mercredi 1 mars 2006

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RSS: kezako?!?

Non, il ne manque pas un «U» devant. Un flux RSS ou fil RSS («RSS Feed» en anglais) est un protocole de syndication de contenu sur Internet, principalement utilisé par les sites Web d’actualités, les blogs et les podcasts. Il existe aujourd’hui sept formats différents de RSS, développés indépendamment les uns des autres. L’acronyme peut signifier Really Simple Syndication (syndication vraiment simple) ou Rich Site Summary (sommaire de site enrichi).
S’abonner au flux RSS d’un site permet de recevoir automatiquement les dernières mises à jour de ce site dans un lecteur de flux RSS (le logiciel de courrier électronique Thunderbird, par exemple, fonctionne très bien, mais il existe aussi des logiciels dédiés plus sophistiqués). C’est très pratique, car ça évite de devoir se connecter au site en question pour voir s’il a été mis à jour.
Bref, derrière un nom barbare se cache un simple système d’alertes électroniques qui permet de voir «à travers» un site, en quelque sorte. A la lumière de cette métaphore, on comprend mieux l’image ci-dessus, tirée du site HitRSS.com.
Et syndication, ça veut dire quoi? Wikipédia nous apprend que c’est un mot étasunien. Concrètement, la syndication consiste à vendre à plusieurs diffuseurs le droit de reproduire un contenu ou de diffuser un programme. Ce système a été développé par la presse écrite US, les syndicates (syndicats de distribution) vendant les mêmes productions (chroniques, reportages, comic-strips, etc.) à plusieurs journaux locaux répartis un peu partout sur le territoire.

S’abonner à un blog avec Thunderbird

Pour recevoir automatiquement les mises à jour du blog que vous êtes en train de lire, par exemple, il suffit de cliquer sur le petit bouton RSS vert en forme de cœur situé en dessous de la colonne de droite. Il faut ensuite copier-coller le lien qui s’ouvre (à savoir: http://feeds.feedburner.com/david-leloup) dans un lecteur de flux RSS. Dans Thunderbird, que j’utilise, il suffit d’aller dans le menu «Outils», choisir «Paramètres des comptes», cliquer sur «Ajouter un compte», choisir «Nouvelles RSS et blogs», cliquer deux fois sur «Suivant» puis une fois sur «Terminer». Un nouveau compte «Nouvelles et Blogs» apparaît alors dans la colonne à gauche de la fenêtre «Paramètres des comptes». Cliquer une fois dessus, puis sur le bouton «Gérer les abonnements» qui apparaît sur la droite. Cliquer ensuite sur «Ajouter», coller le lien dans le champ «URL du fil», cliquer sur «OK»... et le tour est joué!
D.L.

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