samedi 11 mai 2013

Deux banquiers «égarés» à Panama

Le patron de la banque Degroof et l’ex-numéro un de BNP Paribas Fortis à Pékin apparaissent comme prête-noms dans une offshore qui aurait permis, dans les années 1980, de réduire la facture fiscale d’un client. Lequel? Mystère.

Ses documents d’enregistrement reposaient depuis deux mois sur une étagère du cabinet d’avocats panaméen Durling & Durling. Une société on the shelf, comme disent les spécialistes. Une coquille vide prête à être vendue au premier client venu. Ce fut chose faite le 2 décembre 1981: un avocat new-yorkais, Peter F. DeGaetano, fait l’acquisition de Satley Investments Corp. S.A., pour la refiler quelques semaines plus tard, à deux banquiers belges alors âgés d’une petite trentaine d’années: Regnier Haegelsteen et Serge Janssens de Varebeke.

Depuis le 11 janvier 1982, date de l’entrée des deux hommes au conseil d’administration de cette offshore, de l’eau a coulé sous les ponts. Regnier Haegelsteen est aujourd’hui président du comité de direction de la banque Degroof, première banque privée et d’affaires indépendante de Belgique. Il est également administrateur de sociétés (Atenor, Etex, Schreder et Sipef) et président de la Fondation Saint-Luc de l’université catholique de Louvain. Quant à Serge Janssens, il était le représentant principal de BNP Paribas Fortis à Pékin de 1999 à sa retraite, fin 2012. Il a été fait Chevalier de l’ordre de Léopold en 2004 et est actuellement conseiller en commerce extérieur de l’ambassade de Belgique dans la capitale chinoise, où il réside.

Mais aujourd’hui, d’après le Registre des sociétés du Panama, l’offshore est toujours officiellement pilotée par les deux hommes. Regnier Haegelsteen en est le président du conseil d’administration et Serge Janssens de Varebeke, le vice-président. Un certain Vincent Stek, banquier suisse aujourd’hui retraité, cumule les fonctions de secrétaire et trésorier.
A l’instar de sa passion pour la chasse qu’il préfère ne pas évoquer «car l’on véhicule trop souvent de fausses images des chasseurs», explique-t-il dans une rare interview, M. Haegelsteen n’a pas souhaité répondre aux questions de Marianne. Cette offshore «ne lui rappelle rien du tout», nous a fait savoir Patrice de Laminne, porte-parole de la banque.

Contacté via l’ambassade belge à Pékin, Serge Janssens de Varebeke nous a vite rappelés. Satley Investments? «Jamais entendu parler.» DeGaetano? «Idem.» Vincent Stek? «Ce nom ne me dit rien. Par contre, il y a 20 ans, j’ai fait du private banking [gestion de fortune, NDLR] à la Générale de Banque, et nous avions une filiale aux Bahamas. La panaméenne pourrait venir de là...» Puis le franc tombe: «Aaaah mais attendez ! J’étais à New York de 1979 à 1983 ! J’étais à la tête du desk belge de la European American Bank, une banque consortiale qui comptait six actionnaires dont la Générale. Il n’est pas impossible qu’on ait créé une panaméenne dans le cadre d’un crédit octroyé à un client.» Puis, lorsque nous lâchons le nom du patron de la banque Degroof, l’hypothèse s’affine. «Aaah, mon bon copain Regnier ! A l’époque il était chef du desk belge chez Morgan Guaranty et on avait quelques clients communs, notamment la filiale américaine de Petrofina.»

Le lendemain, Serge Janssens nous rappelle. Il a mené sa petite enquête avec l’aide d’Haegelsteen. Stek était un collègue de ce dernier chez Morgan Guaranty, et DeGaetano l’avocat de cette banque. «Comme on est tous les trois mêlés à ça, c’était certainement une opération de nos deux banques réalisée dans le cadre de nos fonctions d’employés de banques américaines. C’était probablement un prêt “consortial” où Morgan avait la position de leader, vu que moi je ne suis “que” vice-président de l’offshore. Ma banque avait dû mettre moins d’argent sur la table.»

Le client? «Certainement une société américaine qui pourrait être une filiale d’un groupe belge ou européen. A l’époque nous nous occupions principalement d’entreprises, pas de clients privés. Regnier a appelé DeGaetano, mais ses archives ne remontent pas aussi loin.» Mais qu’aurait donc fait ce client caché en embuscade derrière une panaméenne anonyme? «C’était de l’optimisation fiscale, un montage pour payer le moins de taxes possible. Et c’était certainement une pratique tout à fait courante et acceptée par le fisc américain. Soyez-en sûr.»
D.L. et Q.N.

0 commentaires: