mardi 11 mai 2010

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Vaccin H1N1: le contrat secret de l’Etat belge avec GSK

Photo: Pharma Marketing Blog
Nous nous sommes procurés une copie du contrat confidentiel entre GlaxoSmithKline (GSK) et l’Etat belge concernant l’achat de 12,6 millions de doses de Pandemrix, le vaccin contre la grippe A/H1N1. Un contrat signé dans l’urgence, fin juillet 2009, par la ministre fédérale de la Santé Laurette Onkelinx, sans appel d’offre public, et pour lequel la firme pharmaceutique, en position de force (dizaines de gouvernements au portillon, 7.000 emplois en Belgique et 2 milliards d’investissements prévus…), s’est taillée la part du lion. C’est du moins ce qui ressort de la lecture attentive des 62 pages de la «convention» rédigée par les avocats britanniques de GSK et déposée sur la table du gouvernement peu après le 11 juin 2009 – date à laquelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’état de pandémie grippale.

Une des clauses controversées de ce contrat stipule qu’en l’absence de défaut de fabrication, GSK rejette toute la responsabilité sur le gouvernement en cas de décès et d’effets secondaires graves liés à son vaccin expérimental. C’est donc l’Etat qui serait chargé d’indemniser les éventuelles victimes du produit. Or au moment de la signature du contrat, le vaccin n’avait pas encore reçu d’autorisation de mise sur le marché européen. Plusieurs études cliniques étaient en cours, mais aucun résultat n’était encore connu. L’Agence européenne des médicaments (EMA) n’a d’ailleurs donné son feu vert définitif au vaccin que le 23 avril 2010. Il y a 15 jours, donc.

Le Pandemrix contient du AS03, un adjuvant controversé à base de squalène (huile extraite du foie des requins) et de thiomersal (un conservateur au mercure). Avant les campagnes de vaccination contre la grippe A/H1N1, l’AS03 n’avait jamais été testé à grande échelle sur des publics à risque. En raison des incertitudes planant sur ce produit, la Suisse a interdit le Pandemrix aux femmes enceintes et aux personnes de plus de 60 ans. D’autres pays, comme la France, l’Espagne ou le Canada, ont choisi de commander des vaccins non adjuvantés précisément pour offrir aux femmes enceintes une alternative au Pandemrix. La Belgique n’a pas fait ce choix.

La Pologne, elle, a carrément refusé de signer le texte proposé par GSK. «Notre département juridique a trouvé au moins vingt points douteux dans le contrat», déclarait en novembre dernier devant le parlement la ministre polonaise de la santé Ewa Kopacz – qui est médecin et a pratiqué la médecine durant 20 ans. «Nous savons que les sociétés qui offrent les vaccins contre la grippe H1N1 ne veulent pas prendre la responsabilité des effets secondaires», avait renchérit le premier ministre Donald Tusk, justifiant ainsi le refus de la Pologne d’acquérir le moindre vaccin.

Moins de morts en Pologne sans vaccin qu’en France avec vaccin

Varsovie a-t-elle eu tort? Selon les chiffres officiels les plus récents, 181 personnes sont décédées à cause du virus A/H1N1 en Pologne (38,5 millions d’habitants), contre 312 en France métropolitaine (62,2 millions d’habitants). Or les taux de mortalité sont quasi identiques. Et même légèrement à l’avantage de la Pologne: 4,7 décès par million d’habitant contre 5 en France. Où 5,5 millions de personnes se sont pourtant faites vacciner alors que Varsovie s’est contentée de mesures de prévention classiques (se laver les mains, porter un masque, etc.).

En exclusivité, Le Soir publie sur son site internet le contrat intégral, dont il n’existe que quatre exemplaires signés. Afin de préserver le secret des sources, les paraphes, signatures et autres traces manuscrites ont été effacées.

Selon les estimations de GSK, la firme a assuré plus de 50% des commandes mondiales de vaccins dans 60 pays, et plus des deux tiers des commandes en Europe. De la Suède au Portugal en passant par l’Algérie et le Canada, 60 gouvernements ont signé avec le géant britannique des contrats pour l’essentiel identiques au contrat belge. L’article 11.5 de ce contrat précise d’ailleurs que tous les clients ayant déjà signé avec GSK «ont été traités de façon équivalente» en ce qui concerne le prix des vaccins, la limitation de la responsabilité de GSK et l’indemnisation de la firme par l’acheteur en cas de décès ou de préjudice physique suite à l’administration du vaccin.

La grippe H1N1 a généré 1 milliard d’euros pour GSK Biologicals en 2009, et le groupe prévoit de réaliser à nouveau 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2010 grâce aux ventes de Pandemrix.

Nous avons analysé le contrat et sollicité les réactions d’un juriste et d’une parlementaire. Le premier, Me Philippe Vanlangendonck, est expert en droit de la santé. Il a travaillé au ministère de la Santé de 1998 à 2004. Aujourd’hui avocat au barreau de Bruxelles, il a défendu en novembre dernier plusieurs femmes enceintes qui avaient assigné l’Etat belge en référé pour obtenir un vaccin sans adjuvant. La seconde, Thérèse Snoy (Ecolo), est la présidente de la commission Santé de la chambre. La ministre de la Santé Laurette Onkelinx, qui a signé le contrat avec GSK au nom du gouvernement, répond ensuite à nos questions.
David Leloup



1 Le prix: 110,2 millions et 9 euros la dose
Le prix d’une dose de Pandemrix se décompose comme suit: 1 euro pour l’antigène (qui immunise contre le virus) et 6 euros pour l’adjuvant (qui amplifie la réaction immunitaire). A cela il convient d’ajouter un «droit de mise à disposition» de 1,5 euros par dose pour les 10,5 premiers millions de vaccins livrés – un forfait correspondant au coût de la «réservation de capacité de production et la fourniture» des vaccins.
En ajoutant la TVA qui s’applique aux produits pharmaceutiques (6%), les vaccins utilisés en Belgique ont coûté 9,01 euros pièce, hors injection. Le montant total du contrat se chiffrerait lui, selon nos calculs, à 110.187.000 euros TVA comprise.
La valeur de ce contrat aurait été ramenée à 74,9 millions d’euros suite à la signature, fin janvier, d’un avenant réduisant sans compensation la commande à 68% du volume initial.
Le contrat est valable 5 ans, l’adjuvant est garanti 36 mois et l’antigène 18 mois. Une fois l’adjuvant périmé, l’Etat a la possibilité de le remplacer au prix de 3 euros la dose. Un droit qui ne peut être exercé qu’une seule fois.

2 Un nombre de doses non renégociable a priori
Le nombre de doses commandées (12,6 millions) se fonde sur les recommandations du Groupe consultatif stratégique d’experts (SAGE) de l’OMS. Dans l’incertitude, et par mesure de prudence, celui-ci avait préconisé deux doses par personne à l’issue de sa réunion du 7 juillet 2009 – soit deux semaines avant la signature du contrat par la ministre de la Santé. Mais le SAGE précisait toutefois que «le nombre de doses nécessaires sera ajusté à mesure que l’on disposera de nouveaux éléments».
Or il n’y a aucune clause dans le contrat signé fin juillet qui permette de revoir à la baisse la commande initiale. «Le contrat s’avère non renégociable à des conditions clairement définies en cas de nouvelles données scientifiques concernant le nombre de doses nécessaires pour immuniser correctement les patients. C’est très étrange, car ce genre de clause suspensive est tout à fait classique dans ce type de contrat», s’étonne Me Vanlangendonck. Dès septembre 2009, les premiers résultats d’études scientifiques montraient qu’une seule dose de Pandemrix provoquait une réaction immunitaire suffisante. L’OMS a pourtant attendu le 30 octobre avant d’officialiser la chose, ce qui provoqua une certaine pagaille dans les rangs des vaccinateurs.

3 Une culture du secret poussée à l’extrême
A ce jour, aucun élu n’a pu consulter le contrat en vue d’exercer son pouvoir de contrôle de l’exécutif. Suite à des demandes parlementaires et citoyennes, une version «light» du texte a finalement été publiée fin novembre sur le site web du Commissariat interministériel Influenza. En comparant cette version allégée et le contrat intégral, il apparaît que seuls 4% du texte, hors annexes, ont été rendus publics par le gouvernement (565 mots sur 13.570).
«Il est évident que ce caviardage ne se justifie pas au regard du secret commercial, mais pour des raisons purement politiques dont la légitimité me pose problème», tonne Thérèse Snoy (Ecolo), présidente de la commission Santé de la chambre. «Madame Onkelinx a toujours dit faire preuve de transparence. Mais quand je vois certaines clauses, je pense qu’elle a au contraire tout fait pour qu’elles ne soient pas révélées.»
Cette «culture du secret» transpire tout au long du texte. Comme dans l’article 13.1 où, sous couvert de propriété intellectuelle, il est stipulé que le ministère de la Santé ne peut procéder – hors contrôles de routine – à aucun test de l’adjuvant. Ou encore dans l’article 16.12, qui précise que les avocats du ministère de la Santé ne pourront transmettre à leur client des informations confidentielles que GSK leur aurait fournies.
De même, en cas de litige entre l’Etat et GSK, «aucune partie ne pourra recourir à une juridiction judiciaire, sauf pour demander des mesures conservatoires ou provisoires». Tout devra se régler «à huis clos et de manière confidentielle» devant un tribunal arbitral de la Chambre de commerce internationale, l’organisation mondiale des entreprises (article 16.13). Un scénario inimaginable si le marché avait été public. «Dans ce cas, les tribunaux belges auraient été souverains et leurs décisions publiques», souligne Me Vanlangendonck.

4 Aucune garantie de fourniture, d’efficacité et de sécurité
Le contrat permet tout simplement à GSK de ne pas fournir les vaccins commandés, sans que la firme ait à dédommager le gouvernement d’une quelconque manière pour le préjudice subi. De plus, GSK ne garantit ni l’efficacité, ni la sécurité de son vaccin pandémique. Qui, à la lumière de cette clause, n’aura jamais paru aussi expérimental.
«Il est tout simplement incroyable que le ministère ait pu accepter une telle clause. L’urgence a visiblement fait œuvre d’aveuglement», fulmine la présidente de la commission Santé de la chambre.

5 L’Etat responsable en cas de décès et complications
En cas de décès ou de complication post-vaccinale, l’Etat devra indemniser les victimes qui se retourneront contre GSK. Il devra même prendre en charge les frais d’avocat de la firme pharmaceutique pour le traitement et la contestation des plaintes. GSK n’indemnisera les victimes que «lorsqu’il est démontré que [le] décès ou [le] préjudice physique est directement causé par des défauts de fabrication» résultant soit d’une faute intentionnelle, soit du non respect par GSK des «bonnes pratiques de fabrication» imposées par la législation européenne. Resterait toutefois à l’Etat à démontrer que la complication est directement due à un défaut de fabrication. Ce qui, en pratique, est «quasi impossible», selon Me Vanlangendonck.
«Jamais je n’aurais accepté de signer une telle clause, nous confie cette experte en santé publique et chercheuse en vaccinologie souhaitant garder l’anonymat. Vu la nouveauté d’un tel vaccin et le manque de données scientifiques disponibles au moment de la signature du contrat, j’aurais négocié la coresponsabilité financière de GSK pour les éventuels effets secondaires graves.»
Même son de cloche chez la présidente de la commission Santé de la chambre: «On peut admettre que la responsabilité soit partagée entre l’Etat et GSK, dans la mesure où le vaccin a été agréé par le ministère sur base de tests de non toxicité et d’une procédure d’autorisation. Mais en aucun cas que la responsabilité incombe totalement à l’autorité publique. C’est inouï», estime Thérèse Snoy.
Outre Rhin, le tabloïd Bild avait révélé, en novembre dernier, une disposition similaire dans le contrat liant GSK et Berlin. Quelques jours plus tôt, le premier ministre polonais Donald Tusk avait dénoncé des clauses identiques dans les contrats des sociétés pharmaceutiques qui l’avaient approché, justifiant ainsi le refus de la Pologne d’acheter un vaccin expérimental pour sa population. Enfin, interpellée le 20 octobre en commission Santé de la chambre, Laurette Onkelinx avait subtilement laissé entendre que l’Etat serait finalement responsable en cas d’effets secondaires graves. Au terme d’une longue réponse sur les responsabilités en jeu dans la campagne belge de vaccination, la ministre de la Santé évoquait furtivement la possibilité, pour des victimes de «dommages exceptionnels consécutifs à des vaccinations», de réclamer des indemnités au gouvernement devant «la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat».

6 Même condamné, GSK empoche 50% du contrat
En cas de litige entre les parties, si GSK venait à être sanctionnée par un tribunal arbitral à verser des indemnités à l’Etat, celles-ci seraient «par dérogation au droit commun» plafonnées à 50% du prix du contrat. «C’est le comble de l’hérésie juridique, l’exemple type d’une clause abusive», estime Me Vanlangendonck. «Cet article limite la responsabilité de GSK même en présence d’atteinte à la loi, de faute propre ou de toute autre action – donc y compris en cas de fraude et d’escroquerie. En clair, si GSK avait livré des fioles remplies d’eau plutôt que d’antigène et d’adjuvant, que l’Etat avait porté l’affaire devant la Chambre de commerce internationale, et que celle-ci avait sanctionné GSK, la firme n’aurait dédommagé l’Etat qu’à hauteur de 50% maximum du prix du contrat.»
Cette clause s’appliquerait également en cas de condamnation de GSK au civil par d’éventuelles victimes du Pandemrix dont le préjudice subi ne serait pas dû à un défaut de fabrication du vaccin, précise encore le juriste. Une clause qui fait également s’étrangler Thérèse Snoy.

7 L’Etat juge et partie en cas d’indemnisation
Le contrat stipule que les avocats de GSK traiteront toutes les plaintes adressées à la firme par les éventuelles victimes du vaccin, factureront leurs services à GSK, laquelle redirigera immédiatement ces factures vers l’Etat. Celui-ci recevra en outre copie de chaque plainte et sera consulté avant toute décision d’indemnisation – décision nécessitant la double signature de GSK et de l’Etat.
«Il y a dans cet article 16.12 un ensemble de dispositions qui suggère une protection des intérêts mutuels de GSK et du ministère de la Santé, ce qui implique que l’éventuel réclamant – une victime d’effets secondaires par exemple – devient “l’indésirable” dont chacun se protège avec la complicité de l’autre, commente Thérèse Snoy. Dans le chef du ministère public, cela est tout simplement choquant.»
Ainsi le ministère ne peut-il rien communiquer qui aurait «un impact défavorable sur les intérêts commerciaux, la réputation de GSK ou du vaccin», dit le texte. «Que devient le devoir de l’Etat de protéger le consommateur et le citoyen? Que devient le droit à l’information, le droit à la vérité?», s’interroge la députée.
Par ailleurs, s’il peut à la fois gérer les réclamations des victimes et les indemniser, le ministère de la Santé se retrouve à la fois juge et partie, poursuit Snoy. L’Etat a-t-il intérêt à reconnaître une responsabilité qui risque de lui coûter cher ? Les effets secondaires graves des vaccins, bien que très rares, peuvent en effet concerner des maladies chroniques ou dégénératives qui engendrent des coûts à vie pour la victime (sclérose en plaques…).

8 Des cocontractants «indépendants», mais si proches...
La proximité entre l’Etat et la firme pharmaceutique transparaît à plusieurs reprises dans le texte. Derrière le devoir d’afficher une indépendance de façade, le ministère et GSK entretiennent en fait une grande proximité en coulisses. Ainsi l’Etat doit-il mettre en œuvre «ses meilleurs efforts» pour aider GSK à obtenir toutes les autorisations administratives et règlementaires nécessaires pour livrer le vaccin (articles 8.1, 10 et 11.4.3). Les parties doivent échanger «immédiatement» toute information relative à d’éventuelles menaces de retrait du vaccin par une autorité réglementaire (art. 9). En cas de désaccord sur la qualité des vaccins, les parties «s’apporteront mutuellement l’assistance nécessaire» pour faire trancher leur différend» (art. 3.1 et 3.6.1). De plus, GSK doit pouvoir relire les communiqués de presse de l’Etat avant publication, et réciproquement (annexe D.2). Pourtant, l’article 16.3 stipule noir sur blanc que chaque partie «s’abstiendra de se comporter d'une manière qui implique ou exprime une relation autre que celle d’un cocontractant indépendant» (art. 16.3).


Le dossier complet en PDF (Le Soir, 6 mai 2010)

Le contrat intégral

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