samedi 11 mai 2013

Trois patrons de PME en eaux troubles

Le patron d’une importante PME wallonne active dans le photovoltaïque apparaît dans une panaméenne. Cette offshore ne lui aurait jamais rapporté un centime, affirme-t-il. Tout en faisant l’éloge des paradis fiscaux.

C’est l’histoire de l’obscure offshore d’un entrepreneur solaire. A l’origine, CPM International Holdings, panaméenne créée en 1991. Dans ses statuts, quatre administrateurs: un certain Henri L. Pritchett, domicilié à Coral Springs (Floride) et son compatriote Mark Hopkins, habitant à l’autre bout du pays, à Seattle. Le président du conseil d’administration, Hervé Kerien, déclare résider, de manière surprenante, dans la chambre 451 de l’hôtel Jianguo, un quatre étoile de Pékin. Le quatrième annonce habiter Linkebeek (Brabant flamand). Il s’agit de Pierre Verhoogen, aujourd’hui à la tête d’une prospère PME du Brabant wallon pionnière dans le secteur photovoltaïque.

Joint par Marianne, il affirme d’abord ne pas se souvenir d’une quelconque offshore créée à Panama. Et tempère: «Dans ma vie, j’ai créé beaucoup de sociétés, vous savez...» Avant de se lancer dans le solaire, l’entrepreneur était notamment actif dans l’agroalimentaire avec son marin de frère. Il a aussi développé des affaires en Chine, au Pérou et en Tunisie.

Une veuve héritière

Au fil de la conversation, la mémoire de Pierre Verhoogen revient: «N’y aurait-il pas Henri Pritchett parmi les fondateurs?» Nous confirmons. «J’ai travaillé avec lui, en effet. Il était actif dans l’affrètement.» Les autres noms présents dans les documents renvoient également à d’anciennes relations d’affaires de l’entrepreneur belge.

Selon Pierre Verhoogen, la société aurait été mise en place par ce Pritchett pour faire de l’affrètement. Suite au décès dudit Pritchett, en 1992, cette panaméenne n’aurait jamais été réellement active, affirme-t-il. Toutefois, le Registre des sociétés de Panama est formel: elle n’a jamais été liquidée. Et la veuve de Pritchett, juste après le décès de son mari, a remplacé celui-ci au conseil d’administration en tant que secrétaire et trésorière. S’il s’agit effectivement d’une coquille vide, pourquoi la veuve en a-t-elle officiellement repris les rênes? Pourquoi ne pas l’avoir dissoute après le décès de Pritchett?

Pierre Verhoogen ne se rappelle pas avoir dû fournir un document d’identité ni une procuration permettant à Pritchett de l’enrôler comme administrateur en septembre 1991. Or pour administrer une offshore, une copie du passeport ou d’un document d’identité est en principe requise. Par ailleurs, Pierre Verhoogen ne souhaite pas particulièrement que CPM International soit dissoute, en dépit de sa supposée inactivité. «Cette société ne m’a jamais ramené un centime, je me contrefiche complètement de ce truc», nous dit-il. Et l’entrepreneur de se lancer dans une tirade sur les raisons qui font le succès de paradis fiscaux tels que le Panama. Outre les «coûts dérisoires» pour la création d’une société, Pierre Verhoogen estime que «passer par Panama permet de réduire les coûts structurels» des entreprises et donc «de continuer à les faire vivre ici», dans des Etats à l’imposition «démesurée» et incapables «d’avoir les moyens de financer leurs systèmes sociaux».

Comme des chiens sur un os

En légiférant trop vite sur les paradis fiscaux, dans la foulée des révélations de l’OffshoreLeaks, le monde politique risquerait de faire une grave erreur, estime Pierre Verhoogen. «Vous croyez que l’argent des paradis fiscaux est là-bas, dans des coffres et qu’il dort? En réalité, cet argent est dans l’économie réelle, à travers les bourses mondiales. Ça fait tourner les sociétés. Donc il faut éviter de trop vite couper le robinet.» Pour notre entrepreneur, la confiance des grandes fortunes dans les paradis fiscaux doit rester intacte. Et tant pis si ces territoires sulfureux profitent aussi aux gangsters de tout poil pour blanchir l’argent du crime. «Si les gens riches en viennent à se dire: “moi je ne mets plus mon argent dans une banque en Suisse, aux Bahamas ou aux îles Vierges, je vais reprendre mes dollars et les cacher sous mon matelas ou dans un coffre-fort chez moi, les dépenser discrètement, sans laisser de trace, comme ça personne ne m’emmerdera”, ça, c’est la mort de l’économie, parce que l’économie a besoin de cash!»

Quant au fisc belge, il ne comprendrait pas grand-chose aux montages offshore. «Je me souviens d’une affaire avec l’Algérie, une vente de médicaments à injecter qui étaient produits par Merck. Pour réaliser la transaction, Merck nous demandait de passer par sa filiale de Vaduz au Liechtenstein. Il y avait un bureau sur place, avec de vraies personnes qui y travaillaient. Lors d’un contrôle fiscal, les agents du fisc se sont jetés sur cette transaction avec le Liechtenstein comme des chiens sur un os! Ça a duré deux jours. Tout le contrôle fiscal ne s’est focalisé que là-dessus!»
David Leloup et Quentin Noirfalisse

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