mardi 28 septembre 2010

Quand Eric de Sérigny, ami de Sarkozy, était «prête-nom» au Panama


Eric Le Moyne de Sérigny, discret conseiller d’Eric Woerth «pour les relations avec le monde économique», ami de Nicolas Sarkozy depuis plus de 20 ans et courroie de transmission entre le monde des affaires et l’UMP, a été administrateur, à la fin des années 80, d’au moins onze sociétés panaméennes détenues par des trusts aux Bahamas, Iles Caïmans, Iles Vierges Britanniques ou Jersey, selon des documents officiels et le témoignage d’un ex-banquier luxembourgeois. Sérigny, qui dément, serait toujours administrateur de trois off-shore aujourd’hui.

Eric Le Moyne de Sérigny, le discret conseiller d’Eric Woerth «pour les relations avec le monde économique», l’«ami» de Nicolas Sarkozy et courroie de transmission entre le monde des affaires et l’UMP, serait actuellement directeur de trois obscures sociétés panaméennes créées il y a plus de vingt ans par la Chase Bank and Trust Ltd. à Jersey — une filiale de la Chase Manhattan Bank (aujourd’hui JP Morgan Chase) spécialisée dans la création et la gestion de trusts et sociétés off-shore pour une clientèle privée étrangère fortunée.

C’est en tout cas ce qu’indique le registre officiel des compagnies du Panama.

Sociétés anonymes au capital de 10.000 dollars et aux statuts identiques, les triplées Lorcha Overseas Inc., Magma Enterprises Inc. et Caliban Holdings Inc. ont été créées le 5 août 1987 devant notaire à Panama City, et sont toujours «vigente» (vivantes) aujourd’hui, selon le registre.

Dans leurs statuts (voir ceux de Lorcha Inc., par exemple), le domicile attribué à l’administrateur Eric de Sérigny est la Chase House, Grenville Street, Saint-Hélier, Jersey — soit l’adresse, à l’époque, de la Chase Bank and Trust Ltd.

En 1987, pourtant, Eric de Sérigny n’était pas en poste sur l’île anglo-normande: entre 1984 et 1988, il fut vice-président et country manager de la Chase à Paris, au 41 rue Cambon.


Plainte pour usage de faux

Le conseiller du ministre du Travail affirme aujourd’hui que ces documents officiels, dont nous lui avons transmis copie à sa demande, sont des faux. Il déclare, dans un e-mail du 2 septembre, n’avoir «aucun lien» avec l’une ou l’autre de ces sociétés, «ignorant même leur existence», et considère que ces documents «mettent gravement en cause [s]on honneur et [s]on honnêteté».

Pourtant, administrer une société au Panama est tout à fait légal. Si, par contre, le bénéficiaire économique d’une compagnie étrangère ne déclare pas au fisc les éventuels revenus générés par celle-ci, cela constitue une infraction au code général des impôts et est passible de poursuites pénales (sanctions pénales en cas de fraude fiscale et, si le contribuable est français, le capital doit en outre être déclaré au titre de l’impôt sur la fortune).

De même, les éventuels complices de fraude fiscale, en servant de prête-nom par exemple, sont passibles d’amendes ou de peines d’emprisonnement. Mais Eric de Sérigny est formel: «Je n’ai jamais dirigé ni en droit ni en fait ces sociétés, et ni en qualité de prête-nom ou nominee», nous écrit-il.

Son avocat, Me Baratelli, nous a indiqué par courrier que son client, «à la suite de l’apparition usurpée de son nom dans différents documents que vous avez bien voulu lui transmettre», venait de déposer une plainte pénale contre X auprès du parquet de Paris. Cette plainte vise des qualifications de «faux et usage de faux, faux commis dans une écriture publique ou authentique, et usurpation d’identité», selon l’avocat.


Rabatteur de fonds pour Madoff

D’après leurs statuts, ces off-shore comptent deux autres directeurs: Keith R. Bish et Jean-Claude Schaeffer. Le premier, un Anglais domicilié aux îles Vierges britanniques, était directeur du département «trusts» de la Chase Bank and Trust Ltd. à Jersey, à l’époque où les trois panaméennes ont été créées.

Keith Bish est par ailleurs impliqué dans la faillite retentissante des fonds Kingate (Global et Euro), deux importants fonds «rabatteurs» qui, à partir de 1994, ont investi 3,5 milliards de dollars dans la société d’investissements de Bernard Madoff.

Directeur du Kingate Global Fund Ltd. de 1995 à 2002, Bish est actuellement poursuivi aux Etats-Unis dans le cadre de plusieurs procédures collectives initiées par des investisseurs floués.

Eric de Serigny (organigramme d’Athema)

Eric de Sérigny tient sa ligne. Il nous écrit:

«Je n’ai jamais rencontré et j’ignorais jusqu’à ce jour l’existence de MM. Keith R. Bish et Jean-Claude Schaeffer.»

Pourtant, un témoin clé de ses «années Chase», ainsi qu’une série de nouveaux documents que nous nous sommes procurés, mettent sérieusement à mal la ligne de défense du financier.


Un «système» quasi-industriel

Ex-numéro deux de la Chase Manhattan Bank à Luxembourg, où il officia de 1974 à 1991, Jean-Claude Schaeffer a administré plus de cinquante panaméennes pour la Chase. Dont une dizaine avec Keith Bish et Eric de Sérigny, quand ce dernier était vice-président de la Chase Manhattan Bank à Paris.

L’ex-banquier luxembourgeois dément donc le financier français et confirme que c’est bien l’actuel conseiller d’Eric Woerth, et non un éventuel homonyme, qu’il a côtoyé dans ces off-shore.

Aujourd’hui à la retraite, Schaeffer lève un coin du voile -sans violer le secret bancaire- sur le «système» d’évasion fiscale mis en place à l’époque par la banque pour sa clientèle haut de gamme. Schaeffer explique:

«Ces coquilles panaméennes ont été créées pour des clients privés très fortunés. Elles détenaient pour la plupart un portefeuille de valeurs mobilières: compte cash, actions, obligations, etc.

Leur but principal: transmettre des patrimoines en évitant les droits de succession.»

L’ex-banquier ajoute:

«Ces off-shore étaient détenues par des trusts administrés depuis Jersey. Ces trusts étaient domiciliés aux Bahamas, aux Caïmans, aux îles Vierges britanniques ou à Jersey. L’identité réelle des bénéficiaires n’était connue que de la Chase Bank and Trust Ltd. à Saint-Hélier.»


La même «famille»

Jean-Claude Schaeffer poursuit:

«La loi panaméenne exige de nommer trois administrateurs par société. Comme ces off-shore étaient pilotées en sous-main depuis Jersey, il ne fallait pas qu’il y ait plus d’une personne de Jersey au conseil d’administration. Car en cas de fuites, le fisc de Jersey aurait pu considérer ces sociétés sous sa tutelle, et les taxer comme sociétés locales [à l’époque au taux de 20% d’impôt sur le revenu des sociétés actives sur l’île (contrairement aux sociétés off-shore), ndlr].

Les administrateurs étaient donc toujours trois ressortissants fiscaux différents: M. Bish ou un collègue de Jersey, moi-même à Luxembourg, et un représentant de la Chase à Paris ou Genève.»

Et selon Schaeffer, qui confirme les documents officiels, ce représentant de la Chase Paris pour Magma, Lorcha et Caliban n’était autre qu’Eric de Sérigny, qui dirigea la filiale parisienne de la banque de 1984 à 1988:

«On se rencontrait à Luxembourg, Genève ou Paris, lors de séminaires organisés par la banque. Il était très rare qu’on se déplace spécifiquement pour des conseils d’administration de sociétés off-shore.

Je me souviens aussi avoir croisé M. de Sérigny à Boca Raton, en Floride, lors d’un symposium sur le private banking en 86 ou 87. Nous faisions partie de la même famille.»


Falloon, Bellini, Annulet et les autres…

Outre le témoignage de Jean-Claude Schaeffer, un second lot de documents notariés que nous nous sommes procurés confirment qu’Eric de Sérigny a bel et bien participé, comme administrateur «prête-nom», à ce système orchestré par la Chase à Jersey.

En sus de Lorcha, Magma et Caliban, il a administré à la fin des années 80, avec Bish et Schaeffer, pas moins de huit autres coquilles panaméennes qui portent les noms exotiques de Falloon, Harold Hill, Gavsym, Hayward, Bellini, Annulet, Highbury et Samares. D’après le registre des sociétés, seule Falloon est toujours vivante aujourd’hui.

Ces nouveaux documents sont très précis. Certains mentionnent à la fois le nom et la véritable adresse professionnelle d’Eric de Sérigny à l’époque, rue Cambon à Paris. C’est là, par exemple, qu’un conseil d’administration d’Annulet s’est tenu le 26 février 1987.

Le duc Thierry de Looz Corswarem, de la Chase Paris, démissionne de ses fonctions d’administrateur d’Annulet. Eric de Sérigny est illico nommé à sa place. Il dirigera la panaméenne jusqu’au 17 mai 1988, date à laquelle il se fait remplacer par Francis J. Vassallo, un cadre de la Chase qui officia à Luxembourg, Jersey et Madrid, et devint gouverneur de la Banque centrale de Malte en 1993.

Eric de Sérigny confirme avoir professionnellement côtoyé le duc de Looz Corswarem:

«Celui-ci a été recruté via un chasseur de têtes vers 1986 pour me seconder au sein de la Chase Bank. La banque a toutefois dû s’en séparer au bout d’un an environ pour incompatibilité professionnelle.»


Tableau récapitulatif des onze panaméennes ayant été ou étant toujours administrées par Eric de Sérigny


Réunions à la chaîne

D’autres comptes-rendus indiquent qu’Eric de Sérigny a signé des procurations à une certaine Esther Aeberli de la Chase Manhattan Private Bank à Genève, pour le représenter lors des conseils d’administration d’Annulet et Gavsym les 17 mai et 15 juillet 1988 au siège genevois de la banque. Mais le principal intéressé ne se souvient pas de son ex-collègue suisse, comme l’indique Me Baratelli:

«M. Eric de Sérigny m’indique ignorer totalement qui serait Mme Esther Aeberli, dont il entend pour la première fois prononcer [sic] le nom dans votre mail.»

Extrait du compte-rendu du conseil d’administration de Gavsym Investments Inc. du 15 juillet 1988 à Genève

Enfin, le 24 novembre 1988 au QG luxembourgeois de la Chase, Jean-Claude Schaeffer préside, à la chaîne, pas moins de cinq conseils d’administration en compagnie d’une représentante de Keith Bish. Il s’agit notamment d’entériner officiellement le fait qu’Eric de Sérigny a été administrateur de Falloon, Bellini, Harold Hill, Hayward et Highbury du 26 février 1987 au 17 mai 1988.

Reste un point à élucider: pourquoi Schaeffer, Bish et Sérigny, alors qu’ils ont tous quitté la Chase, sont-ils toujours renseignés aujourd’hui comme administrateurs de Magma, Lorcha et Caliban? Jean-Claude Schaeffer déclare l’ignorer et affirme n’avoir «rien signé pour ces sociétés depuis le 15 mai 1991», date de son départ de la banque.

Reste que les frais annuels «d’entretien» de ces trois panaméennes — 300 dollars de taxe gouvernementale et 250 dollars d’honoraires pour le cabinet d’avocats local [chiffres fournis par le cabinet d’avocats panaméen Gray & Co] — semblent bien avoir été réglés.

Car au Panama, le non-paiement de la taxe est synonyme de dissolution automatique. «Généralement, les sociétés sont radiées dans les deux ans», précise le SCF Group, un cabinet britannique d’avocats fiscalistes.

Plus de 31.000 dollars auraient ainsi été dépensés, depuis 1991, rien que pour maintenir ces trois off-shore en vie…

David Leloup



Le Panama, une oasis d’opacité

Placé sur la liste «grise» des paradis fiscaux de l’OCDE à l’issue du G20 de Londres, en avril 2009, le Panama ne semble pas être la juridiction la plus empressée de ratifier les douze accords d’échange d’informations fiscales nécessaires pour être rayé de cette liste.

En dix-sept mois, ce petit Etat de 3,3 millions d’habitants situé entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique n’a ratifié que trois accords, selon l’OCDE.

Le Panama figure en outre sur la liste noire des dix-huit «Etats et territoires non coopératifs sur le plan fiscal» publiée par Bercy le 12 février dernier, lorsqu’Eric Woerth était ministre du Budget et Eric de Sérigny son conseiller.

En octobre 2009, les banques françaises se sont engagées à fermer toutes leurs filiales et succursales dans les paradis fiscaux présents sur la liste grise de l’OCDE — dont le Panama.

Il faut dire que ce pays est considéré comme l’un des paradis fiscaux, bancaires et judiciaires les plus opaques de la planète. Son «score d’opacité financière», un indice calculé par le Tax Justice Network (réseau qui regroupe des associations luttant contre les effets négatifs de la finance offshore), atteint 92%.

Contrairement aux listes «politiques» de l’OCDE, cet indice est calculé sur la base de douze critères objectifs de non-transparence: secret bancaire en vigueur, absence d’accès public aux comptes annuels des sociétés, registre des actionnaires inexistant, possibilité de redomicilier une société rapidement, etc. D.L.




Sérigny, l’«ami» de Sarkozy et Woerth

Eric de Sérigny, 64 ans, fait office d’importante courroie de transmission entre le monde des affaires et l’UMP.

En juin 2006, dans un grand hôtel parisien, il organise une rencontre entre celui qui se prépare à devenir candidat à la présidentielle — Nicolas Sarkozy — et 70 de ses amis, grands patrons du CAC 40 ou d’importantes PME.

Ce financier qui a fait carrière dans la banque (Rothschild, Crédit commercial de France, Chase, Lloyds…) s’est constitué un très joli carnet d’adresses dont il fait en réalité profiter Nicolas Sarkozy depuis 1998: «C’est un ami, le seul homme politique que j’ai soutenu dans ma vie », déclare-t-il à Paris Match.

Durant la campagne présidentielle, M. de Sérigny donne du souffle au «Premier Cercle», cette association de grands donateurs de l’UMP créée par le trésorier du parti présidentiel, Eric Woerth.

Le financier participe à plusieurs réunions et aide Eric Woerth à développer la plateforme.

En juin 2007, Eric de Sérigny devient conseiller d’Eric Woerth en charge des «relations avec le monde économique» — une activité «complètement bénévole» qui ne lui a «jamais pris plus de deux à trois heures de [s]on temps quotidien», précise-t-il.

Conseiller de l’ombre, en tout cas: son nom n’apparaît sur aucun organigramme officiel...

M. de Sérigny a par ailleurs fondé le «W19», un club très sélect où se côtoient les mécènes et soutiens de la carrière politique du maire de Chantilly (Oise), Eric Woerth.

Homme de réseaux, Eric de Sérigny aurait proposé en mars 2007 à son vieil ami Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la milliardaire Liliane Bettencourt, de réactiver auprès d’Eric Woerth son dossier pour l’obtention de la Légion d’honneur.

Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke a par ailleurs convoqué M. de Maistre fin septembre comme témoin dans l’enquête ouverte en France sur l’escroquerie Madoff.

Le magistrat a envoyé des commissions rogatoires au Luxembourg et aux Etats-Unis, où il souhaite des investigations à la... Chase Manhattan Bank. D.L.



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