samedi 11 mai 2013

Le «Panamagate» ne fait que commencer...

 
Anonymat, montages fiscaux plus ou moins légitimes, activités légales aussi: Marianne vous emmène à la rencontre de ces Belges qui ont ouvert une société offshore au Panama. Des profils sociologiques variés, pour des usages qui le sont tout autant...

Après l’OffshoreLeaks, voici le Panamagate. Des hommes d’affaires, de grosses fortunes, des patrons de PME, des banquiers, des aristocrates, un syndicaliste, un sponsor du Vlaams Belang, des artistes, un galeriste, des lobbyistes, un prof, une psychologue... Tous ont en commun d’être ou d’avoir été administrateurs d’une offshore panaméenne ces dernières années.

Précisons-le d’emblée: être administrateur ou actionnaire d’une société offshore, qu’elle soit au Panama ou ailleurs, est parfaitement légal... pour autant que les éventuels revenus générés par cette offshore soient dûment déclarés au fisc du territoire où la personne réside. Or justement, le Panama est bien connu pour «vendre de l’opacité» via ses produits phares: sociétés anonymes, fondations, prête-noms professionnels. Toute une industrie s’y active. Et il est clair que le commerce de cet anonymat clé sur porte n’intéresse pas que les grands timides. Aux yeux du fisc, la simple possession d’un compte bancaire à l’étranger – détenu par une offshore ou non –, s’il n’est pas mentionné par le contribuable dans sa déclaration, est un indice de fraude fiscale. Ce seul indice suffit pour permettre l’ouverture d’une enquête administrative et lever, si besoin, le secret bancaire belge, afin de vérifier par exemple si ces fonds étrangers ne sont pas rapatriés sur notre sol par des voies détournées.

D’où sort ce «Panamagate» que nous mettons aujourd’hui sur la place publique? D’une importante fuite de données, dont a bénéficié Marianne, concernant des sociétés offshore panaméennes.
L’équivalent de 30.000 pages de texte. Soit une pile de feuilles A4 de trois mètres de haut. Pendant plusieurs mois, deux journalistes de Marianne, avec l’appui d’un chercheur universitaire, ont décrypté ces données brutes pour en extraire des informations significatives, notamment des noms d’offshores détenues par des Belges. Ces informations ont ensuite été recoupées en utilisant deux sources principales: le Registre officiel des sociétés panaméen, qui contient des actes notariés reflétant l’historique administratif de chaque offshore (statuts, nominations des administrateurs, démissions, fusion, dissolution...), et bien sûr les personnes identifiées, pour solliciter auprès d’elles des explications sur la fonction de l’offshore qu’elles administrent.

160 noms belges identifiés

Au terme de ce travail de bénédictin, plus de 160 noms belges ont été identifiés. Mais ce n’est bien sûr que l’arbre qui cache la forêt. Car les personnes en quête d’un anonymat plus poussé s’abritent évidemment derrière des prête-noms. Et empilent les couches d’opacité en emboîtant les structures offshore à l’instar de poupées russes.


Reste que beaucoup ne prennent pas cette précaution. Il y a deux semaines, Marianne révélait l’existence d’un compte luxembourgeois ouvert à la banque ING, dont les bénéficiaires étaient les descendants de l’ancien Premier ministre Paul van Zeeland, camouflés derrière une panaméenne créée par leur illustre ancêtre. Suite à ces révélations, et bien que le compte ait été régularisé en 2010, Catherine van Zeeland, petite-fille de Paul et conseillère au cabinet de la vice-Première Joëlle Milquet, a dû faire un pas de côté. Son nom apparaît en effet dans le Registre, parmi les administrateurs de cette offshore. Si Paul van Zeeland avait pris soin, lui, d’utiliser des hommes de paille, ses enfants et petits-enfants n’avaient pas souscrit à l’«assurance prête-noms» que proposent en option les banques privées et les officines commercialisant des panaméennes. Une assurance qui représente un surcoût annuel d’environ 300 euros.


Dans ce numéro et les suivants, à mille lieues d’une quelconque chasse aux sorcières aux relents populistes, Marianne vous propose une immersion au Panama à la rencontre de ces Belges qui, pour des raisons diverses, y dirigent une société offshore. Un constat s’impose: la panaméenne s’est démocratisée. On la retrouve dans tous les milieux. Cette semaine, nous nous penchons sur celles gérées par trois actionnaires familiaux du groupe brassicole AB InBev, comptant parmi les plus grosses fortunes du royaume. Sur l’offshore oubliée du patron de la banque Degroof, qui a joué les prête-noms pour un myst rieux client dans les années 1980. Sur les deux mystérieuses panaméennes administrées par un duo de lobbyistes au service de l’industrie mondiale du transport routier. Mais aussi sur les offshores de trois patrons de PME, et d’une étrange famille de Saint-Trond hyperactive au Panama…


Leurs histoires particulières constituent autant de pièces d’un vaste puzzle qui dépeint ce que l’on pourrait appeler la «planète offshore», cet univers parallèle qui a fait irruption dans le débat public à la faveur du scandale international dit de l’OffshoreLeaks. Un monde opaque constitué d’avocats discrets, d’employés consciencieux, de banquiers pragmatiques, d’intermédiaires dévoués. Un écosystème qui aspire, pompe, digère et stocke, offshore, une grande partie des richesses produites par l’homme aujourd’hui sur la planète. Selon le Tax Justice Network, un réseau d’ONG, d’économistes et d’universitaires qui font campagne pour la transparence du système financier, les grandes fortunes de la planète cachaient jusqu’à 32.000 milliards de dollars offshore à la fin de l’année 2010.


Cette industrie a développé une machinerie complexe, peu régulée, bien rodée, capable de créer des «no man’s lands juridiques» en remixant les droits romain et anglo-saxon. Elle permet de réaliser un spectre d’opérations qui vont de la simple optimisation fiscale légale à la fraude complexe et au blanchiment de l’argent du crime.

Une industrie antidémocratique

Notre propos est là. Cette industrie des services financiers offshore poursuit des objectifs antagonistes à ceux d’une démo- cratie moderne, chargée de garantir la paix sociale, via notamment une certaine redistribution des richesses. En tentant la «part du diable» qui est en chacun de nous, en «poussant au crime», cette industrie favorise la rupture du contrat social. Mieux la comprendre est nécessaire pour bien la combattre. A l’heure où nos gouvernements peinent à boucler leurs budgets, ce travail journalistique de «pédagogie offshore» nous apparaît d’un intérêt public urgent.
D.L. et Q.N.





Qu’est-ce qu’une société offshore?
Dans les pages qui suivent, une offshore recouvre une société de droit panaméen qui n’a pas d’activités domestiques au Panama, mais uniquement des activités économiques ou de gestion de patrimoine en dehors du pays. Du fait du régime fiscal légal panaméen, cette société est exemptée d’impôt local sur ses bénéfices. La loi panaméenne de 1927 sur les sociétés garantit par ailleurs l’anonymat aux actionnaires qui peuvent se cacher, d’une part, derrière des titres au porteur, d’autre part derrière des prête-noms les représentant au conseil d’administration. Très souvent, pour compliquer le travail du fisc et de la justice, les sociétés offshore situées dans un paradis fiscal détiennent leurs comptes bancaires dans un autre paradis fiscal, où le secret bancaire est bien sûr coulé dans la loi.


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