dimanche 15 décembre 2013

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Le dangereux coup de foudre de Frédérique Ries pour l’e-cigarette

La directive «tabac», dont on serre les derniers boulons à Bruxelles, va-t-elle partir en fumée à cause d’un clash sur la cigarette électronique? La pugnacité de Frédérique Ries, chantre de l’e-cigarette et négociatrice pour le Parlement, pourrait tout faire capoter…

«Impasse totale des discussions. Conseil et Commission parlent d’interdire les cigarettes électroniques au-delà de 5 mg de nicotine/ml.» Le tweet de l’eurodéputée libérale Frédérique Ries, envoyé 20 minutes seulement après le début du troisième «trilogue» sur la directive tabac, mardi passé, laisse présager le pire. Les trilogues, en novlangue européenne, sont des réunions confidentielles regroupant une poignée de représentants de chacune des trois institutions (Parlement, Commission et Conseil) afin de trouver des compromis pour accélérer l’adoption de nouvelles législations. Et à lire l’élue belge, l’heure serait grave.

Invitée surprise du débat, la cigarette électronique polarise les points de vue et divise les co-législateurs. Il ne reste à présent que deux trilogues – les 11 et 16 décembre – pour qu’un compromis se dégage sur l’«e-cig» (prononcer «issigue»), qui n’est pourtant qu’un sujet secondaire de la directive sur les produits tabac. Celle-ci vise avant tout à ce que 65% de la surface des paquets soient recouverts de messages de prévention, et à interdire les arômes ajoutés au tabac pour séduire les plus jeunes.

Tout reprendre à zéro

Si elle n’est pas approuvée par le Parlement en séance plénière à Strasbourg d’ici mars 2014, la révision de cette directive de 2001 sur les produits du tabac, en préparation depuis 2008, entrera dans l’histoire comme le fiasco le plus retentissant de cette législature. Il faudrait en effet tout reprendre à zéro après les élections européennes de mai prochain. Un scénario de rêve pour l’industrie du tabac.

L’ancienne présentatrice du 19h de RTL-TVi fait donc partie des quatre eurodéputés qui participent aux trilogues. Elle y défend la position du Parlement, votée le 8 octobre, mais surtout celle de son groupe politique, l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE), sur l’e-cigarette. «Frédérique Ries est débordée sur sa droite par les libéraux britanniques, qui voient dans la cigarette électronique une solution fondée sur le marché susceptible de régler en partie la question du tabagisme, analyse une lobbyiste anti-tabac. C’est une vision un peu naïve.»

Et notre interlocutrice de rappeler que la cigarette est le seul produit légal qui, utilisé correctement, tue un de ses utilisateurs sur deux. Soit quelque 700.000 personnes chaque année dans l’Union européenne. Un fléau qui ne se règlera pas en un coup de cigarette électronique… On objectera que la directive n’a (malheureusement) pas cette ambition: elle ne vise «que» une réduction du nombre de fumeurs dans l’UE de 2,4 millions, soit 2% au cours des cinq prochaines années.

Inefficace sous 20 mg/ml

Et là, l’e-cig a clairement un rôle à jouer, estime le Pr. Bertrand Dautzenberg, président de l’Office français de prévention du tabagisme et auteur d’un rapport sur la cigarette électronique pour le gouvernement Ayrault. Cet expert considère qu’en-dessous de 20 mg/ml, le taux de nicotine dans les e-cigarettes est trop faible pour que les gros fumeurs basculent vers ce produit de substitution… dont l’efficacité «n’est toujours pas prouvée» face aux gommes et aux patchs, insiste le Conseil supérieur de la santé (CSS) dans un rapport cinglant qui vient de sortir.

Le sujet est complexe. Et pose de multiples questions en matière de sécurité, d’étiquetage, de publicité… La nicotine liquide est très toxique par inhalation, par contact avec la peau et par ingestion. Convient-il dès lors d’interdire les atomiseurs rechargeables manuellement au profit de cartouches scellées jetables? Faut-il assimiler l’e-cigarette à un médicament à vendre uniquement en pharmacie, ou à un «produit du tabac» commercialisable par les buralistes et les boutiques spécialisées? La voie «pharma», défendue par la Commission européenne et le CSS, vise à limiter son usage aux gros fumeurs souhaitant se défaire de leur addiction. L’option «buraliste», défendue par Frédérique Ries (elle a personnellement déposé cet amendement voté par le Parlement), vise au contraire à diffuser l’e-cig auprès du plus grand nombre.

Au risque de louper sa cible – les gros fumeurs – et de rendre le tabac de nouveau attractif chez les jeunes? Selon une enquête Ipsos du 2 décembre, 21% des Français âgés de 18 ans et plus déclarent avoir essayé la cigarette électronique. Mais chez les 18-25 ans, la proportion grimpe à 40%. Une partie d’entre eux se tournera-t-elle ensuite vers le tabac? Une seule étude a «blanchi» l’e-cigarette de cette accusation. Il est donc beaucoup trop tôt pour conclure. Mais le risque existe. En attendant, en l’absence de toute réglementation, le marketing des fabricants de cigarettes électroniques envers les jeunes prolifère et atteint des sommets (lire encadré ci-dessous).

A l’écoute des «vapoteurs»

Très à l’écoute du lobby des «vapoteurs» (utilisateurs de l’e-cig), Frédérique Ries défend ses engagements: «Restreindre l’accès à la cigarette électronique aux pharmacies, c’est verrouiller une alternative et faire le jeu du lobby du tabac, estime-t-elle. La soumettre à la procédure d’autorisation de mise sur le marché des médicaments aurait pris deux ans et tué le marché, en plein boom.»

Mais dans les rangs des anti-tabac, chez les Verts et de nombreux socialistes, l’eurodéputée agace. Sa conférence de presse avec le Pr. Dautzenberg, organisée mardi dernier dans la foulée du trilogue, a été extrêmement mal accueillie. On lui reproche de surfer sur la vague médiatique de l’e-cig à quelques mois des élections. Mais, surtout, de focaliser le débat sur ce seul aspect qui risque de faire couler la directive tout entière.

«Avec ses tweets erronés envoyés pendant des réunions confidentielles, ses messages sur Facebook qui répètent ses fausses infos et ses conférences de presse sur la cigarette électronique, Frédérique Ries représente aujourd’hui le plus grand danger pour la directive tabac en Europe, tonne Luk Joossens de l’Association européenne des ligues nationales contre le cancer (ECL). C’est hallucinant! Elle est en train de tout saboter.» Joossens, qui suit ce dossier depuis des années, précise que quelques Etats membres seulement, dont l’Allemagne, souhaitent un taux maximum de 5 mg de nicotine/ml dans les e-cigarettes. «Mais ce n’est en aucun cas une position commune du Conseil qui conduirait à une “impasse totale des discussions”, comme le tweet de Frédérique Ries l’affirme!»


Réunion cruciale le 10 décembre

Tapie dans l’ombre, l’industrie du tabac observe de loin le lobbying des fabricants d’e-cigarettes. D’ici 2017, elle aura absorbé 75% d’entre eux, selon les prévisions de la banque Wells Fargo. Cette année-là, la directive entrera en vigueur et le marché mondial de la cigarette électronique devrait franchir la barre des 10 milliards de dollars.

Pour l’heure, les cigarettiers ont recentré leur lobbying au niveau national. Leur cible: le Conseil des ministres européens de la Santé, qui se réunit mardi 10 décembre à Bruxelles. Une réunion cruciale: si les industriels du tabac parviennent à radicaliser la position du Conseil via leurs alliés déclarés (Pologne, Roumanie, Bulgarie, République Tchèque) et la douzaine d’Etats membres qui tergiversent sur la directive, le clash qu’ils appellent de leurs vœux sur l’e-cig pourrait survenir très prochainement.

Dans ce contexte, la détermination sans faille de Frédérique Ries dans son combat pour l’e-cigarette pourrait leur donner un fameux coup de pouce. Car ce n’est plus un tabou: l’ALDE et une partie du PPE (centre-droit) sont prêts à rejeter le compromis issu du trilogue si leurs exigences sur l’e-cigarette ne sont pas entendues…

David Leloup


L’ABC de l’e-cig


La cigarette électronique ou e-cigarette est un dispositif électronique générant, à partir d’un liquide, et sans la moindre combustion de tabac, une «vapeur» destinée à être inhalée. Cette vapeur peut être aromatisée (tabac blond ou brun, fruits, épices, café, etc.) et contenir ou non de la nicotine. Le risque d’attraper un cancer du poumon en utilisant ce dispositif est proche de zéro. Mais celui de devenir «accro» à la nicotine est bien réel si l’e-cigarette en délivre. Les cigarettes électroniques, qu’elles soient d’ancienne (en haut) ou de nouvelle génération (en bas), comportent généralement quatre éléments: un indicateur lumineux de fonctionnement (A), un accu (souvent rechargeable via un port USB) associé à des circuits électroniques (B), un atomiseur couplé à une résistance (C) pour chauffer la cartouche de liquide fichée dans l’embout (D). D.Lp


«La Pravda de Laurette»

«La presse belge était invitée [à ma conférence de presse au Parlement européen]. Seul Marianne est venu. Je crains que la Pravda de Laurette Onkelinx ait fait des ravages. Pour le Ministère de la Santé, la cigarette électronique est un poison, pas un outil fantastique de réduction des risques», écrivait Frédérique Ries sur sa page Facebook mercredi 4 décembre. Son mépris cinglant pour nos confrères du Soir, qu’elle étrille ici injustement et avec «finesse», aura sans doute été renforcé à la lecture, jeudi dernier, du résumé de l’avis du Conseil supérieur de la santé sur l’e-cigarette publié par le quotidien. Ces experts réunis par le SPF Santé publique, jusqu’à preuve du contraire indépendants, refusent de voir l’e-cigarette nicotinique vendue ailleurs qu’en pharmacie et estiment qu’il n’est pas prouvé qu’elle aide les fumeurs à arrêter. D.Lp


Un marketing agressif qui cible les jeunes

Célébrités qui posent une e-cigarette au bec, applications pour téléphones mobiles, concours sur internet, bons de réduction… L’analyse d’un corpus de près de 1000 éléments de marketing récoltés durant 13 mois au Royaume-Uni révèle une longue liste de techniques destinées à attirer les jeunes vers l’e-cigarette. L’étude, réalisée par des chercheurs de l’université de Stirling (Ecosse), vient d’être publiée par l’association caritative Cancer Research UK. Elle enjoint les autorités publiques à réglementer d’urgence la pub pour ce nouveau produit très «tendance». «Des centaines d’enfants commencent à fumer tous les jours et nous ne voulons pas que le marketing des e-cigarettes brouille le message que de la cigarette tue», explique l’association. L’étude s’inquiète également de l’exploitation des e-cigarettes par l’industrie du tabac pour accéder aux politiciens, et donc regagner de l’influence et de la respectabilité… D.Lp

Article publié dans Marianne Belgique du samedi 7 décembre 2013.

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samedi 23 novembre 2013

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L’encombrant Monsieur Mehta

Anobli par Albert II en 2006, Dilip Mehta sert à la Belgique d’«ambassadeur économique» en Inde. (Photo: Belga)
Le diamantaire belge Dilip Mehta a créé en 1986 deux opaques fondations au Liechtenstein pour y loger sa fortune et celle de ses deux frères, selon des documents bancaires que Marianne s’est procurés. A l’instar de la plupart des diamantaires anversois, le patron de Rosy Blue jongle avec les offshores pour faire la nique au fisc. L’homme est néanmoins un habitué des missions princières et jouera un rôle clé lors de la prochaine mission en Inde fin novembre.

Marianne Belgique, 19 octobre 2013 (PDF)

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lundi 11 novembre 2013

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Triodos au cœur de la planète offshore


Via des investissements «exotiques» minoritaires, la banque Triodos se retrouve active dans des hauts lieux de la finance offshore. Cette présence au cœur du système brouille l’image de la banque éthique.

Marianne Belgique, 27 avril 2013 (PDF)

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Triodos aussi transite par les paradis fiscaux


Pour financer certains projets, Triodos a créé des structures offshore au Luxembourg et au Panama. La banque citoyenne a aussi investi 8,4 millions d’euros dans six fonds domiciliés aux îles Caïmans, au Delaware et à Maurice. Des placements éthiques et durables, vraiment?

Pour les uns, ce sera un choc. Pour les autres, une demi-surprise. On ne peut certes pas mettre Triodos dans le même panier que la Deutsche Bank (974 entités offshore), BNP Paribas (283), KBC (163), ING (27) ou Belfius (16), dont la «culture offshore» est bien plus ancrée. N’empêche, pour une banque qui calibre depuis des années sa communication en surfant sur l’éthique et le «durable», cela fait mauvais genre...

Depuis 2002, plus ou moins discrètement, la petite banque batave a recours, elle aussi, aux paradis fiscaux pour réaliser certains investissements. Marianne a identifié 13 fonds ou sociétés offshore enregistrés au Luxembourg, au Panama, au Delaware, aux îles Caïmans ou à Maurice, pilotés en tout ou en partie par Triodos, quand la banque n’y investit pas elle-même du capital (voir liste ci-dessous).

Sulfureux, ces territoires? Le Grand-Duché, les îles Caïmans et le Panama ont été épinglés en 2009 par l’OCDE sur sa liste grise des paradis fiscaux non-coopératifs – une liste aujourd’hui quasi vide... Outre qu'elles sont très prisées par les grandes fortunes mondiales pour leurs trusts, qui facilitent la fraude fiscale, les îles Caïmans constituent aussi un terrain de choix pour la criminalité financière et les coups tordus: il y a quelques années, un banquier suisse y a été mystérieusement retrouvé calciné dans son 4x4.

L’île Maurice? Qualifiée de «trou noir de la finance» par le juge français Renaud Van Ruymbeke en 2009, car «Maurice protège les titulaires de comptes bancaires et assure leur anonymat, même face à des investigations judiciaires». Idem au Delaware, paradis fiscal et terre d'opacité financière au cœur même des Etats-Unis, où Viktor Bout, le trafiquant d’armes russe surnommé le «marchand de mort» utilisait deux boites aux lettres anonymes pour ses trafics...

Au Luxembourg, qui a toujours bloqué toute initiative européenne d'échange automatique d'informations fiscales (avant d'annoncer un assouplissement il y a dix jours), Triodos a créé pas moins de six fonds d’investissement «durables» logés au sein de deux sociétés d’investissement à capital variable (sicav). Le Triodos Sustainable Bond Fund, par exemple, spécule sur le géant de l’intérim Adecco, le constructeur BMW, une usine grecque d’embouteillage de Coca-Cola, ou encore l’alcoolier Diageo (Johnnie Walker, Smirnoff, J&B...).

Ces fonds grand-ducaux ont en tout cas le vent en poupe: il y a quelques semaines, le Triodos Sustainable Pioneer Fund s’est vu décerner le prix La Libre Belgique-De Standaard du meilleur fonds d’investissement socialement responsable, et le Triodos Sustainable Mixed Fund celui du meilleur fonds «mixte modéré euro» attribué par la société Morningstar.

Investissement calamiteux

Au Panama, les choses sont plus troubles. Via son fonds Hivos-Triodos spécialisé dans le financement du microcrédit dans les pays en développement, Triodos a créé, avec d’autres, Banex International Capital Corp (BICC) en novembre 2008. Détenue à 12,1% par la banque éthique, cette coquille offshore a été créée pour détenir les titres de la banque Banex au Nicaragua. Objectif: étendre, via ce QG panaméen, les activités de cette banque à d’autres pays d’Amérique centrale, dont le Honduras. Le choix du Panama? Dicté par la «situation politique volatile du Nicaragua en 2008», selon Gera van Wijk, porte-parole de Triodos aux Pays-Bas...

Cet investissement s’est en tout cas révélé calamiteux: le gendarme bancaire du Nicaragua a sifflé la fin de la récré à l’été 2010 et a définitivement liquidé Banex en août 2012. «Banex a été en mesure de rembourser intégralement les dépôts de ses épargnants locaux», précise toutefois Gera van Wijk. Qui ajoute que ProÉxito, autre institution contrôlée depuis le Panama par BICC, «a également arrêté ses opérations, son portefeuille de prêts ayant été repris par une autre institution financière au Honduras». Quant à BICC, elle a été officiellement dissoute le 24 mars dernier.

A Maurice, au Delaware et aux îles Caïmans, c’est un peu différent. Là-bas, Triodos ne gère pas personnellement des fonds offshore, mais y place du capital. Six fonds en profitent. «Triodos détient une participation minoritaire dans tous ces fonds et n’est souvent même pas représentée au conseil d’administration, précise la porte-parole de la banque. Au total, la banque a investi 8,4 millions d’euros dans ces six fonds offshore.»

Que font ces structures? L’EcoEnterprises Fund II investit, depuis le Delaware, dans des PME en Amérique Latine «qui visent à sauvegarder la biodiversité». Le BRAC Africa Loan Fund, domicilié aux îles Caïmans, investit dans des institutions de microfinance en Afrique de l’Est. L’India Financial Inclusion Fund fait pareil en Inde. Pourquoi est-il enregistré à l’île Maurice plutôt qu’à Mumbai ou Calcutta? «A cause de restrictions dans la législation indienne relative à ce type de fonds, répond Gera van Wijk. En Inde, il faut qu’au moins 25 % du capital d’un fonds provienne d’investisseurs indiens. Un critère difficile à respecter. A Maurice, où le secteur des services financiers est très développé, ce quota n’existe pas.»

Aux Pays-Bas, siège central de Triodos, non plus. Même si ces activités offshore ne représentent qu'une petite fraction des investissements de Triodos, en recourant à ces territoires opaques et criminogènes, la banque éthique ne leur donne-t-elle pas de la légitimité? En y payant des taxes gouvernementales et en rémunérant des intermédiaires locaux qui y administrent les fonds, ne les renforce-t-elle pas économiquement?

David Leloup


Les 13 structures offshore gérées ou investies par Triodos

Îles Caïmans
BRAC Africa Loan Fund (2009)

Delaware
MFX Solutions LLC (2009)
EcoEnterprises Fund II (2012)

Maurice
Africap Microfinance Investment Company (2002)
India Financial Inclusion Fund (2008)
Leapfrog Financial Inclusion Fund (2008)

Luxembourg
Triodos Renewables Europe Fund (2006)
Triodos Sustainable Bond Fund (2007)
Triodos Sustainable Equity Fund (2007)
Triodos Microfinance Fund (2009)
Triodos Sustainable Mixed Fund (2010)
Triodos Sustainable Pioneer Fund (2010)

Panama
Banex International Capital Corp (2008-2013)


Une version courte de cette enquête (mentionnant 10 structures offshore au lieu de 13) est parue dans Marianne le samedi 20 avril 2013.

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dimanche 22 septembre 2013

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Fortis: des achats de subprimes accablants pour les ex-dirigeants

(c) Belga
En gardant le silence, en avril 2007, sur l’exposition de Fortis Banque aux subprimes, le responsable de la division Merchant Bank, Filip Dierckx (photo), a permis l’achat d’ABN Amro par Fortis Holding. Or la banque était déjà exposée aux subprimes à hauteur d’au moins 8,5 milliards de dollars, selon des documents judiciaires américains. L’attentisme du responsable des risques à l’époque, Karel De Boeck, qui a attendu près de cinq mois avant d’organiser une réunion sur les subprimes, aurait lui coûté au moins 3,4 milliards de dollars à la banque.

Des plaintes récemment déposées aux Etats-Unis contre onze grandes banques d’investissement qui ont vendu à Fortis Banque des titres contaminés aux subprimes rendent public, pour la première fois, le spectaculaire appétit de l’ex-première banque belge pour ces produits financiers à haut risque.

Elles révèlent comment la banque a investi plus de 10,6 milliards de dollars (environ 8 milliards d’euros) au cours de 578 acquisitions de titres réalisées entre le 10 décembre 2004 et le 31 octobre 2007. Elles dévoilent aussi que ces achats spéculatifs ont été effectués à 54,1% via quatre entités offshore domiciliées à Jersey, Dublin, Grand Cayman et au Delaware, échappant ainsi au contrôle d’un auditeur et d’un régulateur uniques, et bien sûr au fisc belge.

Les 10,6 milliards de dollars mentionnés dans les plaintes ne représenteraient que 38% de l’ensemble des crédits toxiques acquis par Fortis Banque. En effet, la valeur faciale de ce funeste portefeuille lors de sa cession à la «bad bank» Royal Park Investments en mai 2009 atteignait 20,5 milliards d’euros (27,9 milliards de dollars au taux de change de l’époque), selon les rapports annuels d’Ageas (ex-Fortis Holding).



Vendeurs
Actifs achetés par Fortis Banque ($)
JP Morgan
3 156 105 881
Bank of America
1 747 850 000
Royal Bank of Scotland
1 668 175 000
Morgan Stanley
706 379 000
Goldman Sachs
643 195 000
Deutsche Bank
575 214 100
Merrill Lynch
525 668 767
UBS
475 947 000
Citigroup
438 744 500
Credit Suisse
402 947 000
Barclays
302 378 000
TOTAL
10 642 604 248

Montants dépensés par Fortis Banque entre décembre 2004 et octobre 2007 pour acquérir des titres adossés à des crédits subprimes auprès de 11 grandes banques d’investissement.



Ces dépenses folles ont conduit Fortis Holding, l’actionnaire de Fortis Banque, à sa perte en septembre 2008. Ce qui a coûté à l’époque 9,4 milliards d’euros aux contribuables belges, lors du sauvetage de la banque. Tous ces achats de titres ont été réalisés par la division Merchant and Private Banking de Fortis Banque, alors dirigée par Filip Dierckx, l’actuel numéro deux de BNP Paribas Fortis et président de Febelfin, le lobby bancaire belge.

Comme le montre le graphique ci-dessous, lorsqu’en 2007 l’indice des prix des logements aux Etats-Unis poursuit, mois après mois, sa dégringolade, Fortis Banque continue d’acheter, à tour de bras, des titres adossés à des crédits hypothécaires subprimes. Ces achats explosent même à partir de février 2007, atteignant 807 millions de dollars contre 414 en janvier, avant d’atteindre le record absolu de 882 millions en avril. Les achats mensuels réalisés de février à juin 2007 sont en fait les cinq plus importants de tous ceux effectués par Fortis Banque depuis ses premières emplettes sur ce marché en décembre 2004: en cinq mois, Fortis dépense 3,5 milliards de dollars.



Investissements mensuels de Fortis Banque dans des titres exposés aux subprimes, entre décembre 2004 et octobre 2007 (bâtonnets bleus). Les cinq plus gros achats de titres ont lieu de février à juin 2007, alors que la bulle immobilière a déjà éclaté, comme le montre l’indice composite des prix des logements américains (courbe rouge) qui chute depuis juin 2006, après 15 années de croissance continue. (Cliquer sur l’image pour l'agrandir.)


Or c’est précisément durant ces mois décisifs que l’idée de racheter ABN Amro – qui sera fatale pour Fortis Holding et ses actionnaires – a mûri et s’est concrétisée. Le 12 avril 2007, lorsque Maurice Lippens et Jean-Paul Votron, respectivement président du conseil d’administration et CEO de Fortis Holding, scellent leur alliance avec la Royal Bank of Scotland et Santander pour racheter la banque néerlandaise, Fortis Banque est déjà exposée aux subprimes à hauteur d’au moins 8,5 milliards de dollars.

«Si j’avais su que ces 8,5 milliards de dollars ou davantage avaient été aussi risqués, et allaient valoir zéro pendant une certaine période de temps, il est évident que jamais nous n’aurions décidé d’acquérir ABN Amro», déclare à Marianne un membre influent du conseil d’administration de Fortis Holding à l’époque. Une affirmation qui témoigne d’un énorme problème de gouvernance: l’information sur les investissements colossaux de Fortis Banque dans les subprimes, et les risques y afférents, n’est donc pas remontée de Fortis Banque à Fortis Holding, son actionnaire à 99,93%.

Près de cinq mois de perdus

Au printemps 2007, cinq personnalités clés de Fortis Banque occupent aussi des positions stratégiques au sein de Fortis Holding. Deux d’entre elles étaient particulièrement bien informées des risques liés aux investissements dans les subprimes: Filip Dierckx et Karel De Boeck. Le premier parce qu’il dirigeait le département qui achetait ces milliards de titres à risque. Le second parce qu’il était le responsable des risques au sein de la banque et qu’il était revenu furieux d’un voyage effectué début février à New York où il avait pris conscience des risques considérables pris par l’équipe de Fortis qui achetait mais aussi fabriquait de tels titres.

Il faudra pourtant à Karel De Boeck près de cinq mois pour réunir, le 3 juillet, le Central Credit Committee de Fortis Banque sur le dossier «subprimes». Il y sera décidé que la banque ne se présentera plus sur le marché des CDO, ni comme fabricant, ni comme investisseur. Ce long délai entre la prise de conscience de Karel De Boeck et sa décision formelle a coûté très cher à la banque: entre le 12 février et le 3 juillet 2007, plus de 3,4 milliards de dollars ont été dépensés en titres toxiques.

Par ailleurs, les plaintes américaines révèlent que cette décision prise le 3 juillet 2007 a très vite été foulée aux pieds. Dès le 6 juillet, la succursale de Fortis Banque aux îles Caïmans achète pour plus de 20 millions de dollars de titres à risque à la Royal Bank of Scotland. Le 17 juillet, la filiale du Delaware Fortis Securities LLC acquiert des titres pour 12,6 millions de dollars auprès de la Bank of America. Les achats de titres toxiques se poursuivront ainsi jusqu’au 31 octobre, soit quatre mois après la «décision» de les arrêter. Total de l’ardoise post-3 juillet: 441,8 millions de dollars.

Une sous-estimation de deux milliards

Les plaintes suggèrent aussi qu’un communiqué de Fortis Holding, daté du 8 novembre 2007, serait un faux au sens judiciaire du terme. Il chiffre officiellement, pour la toute première fois, l’exposition de Fortis Banque aux subprimes: moins de 5,3 milliards d’euros. Or à cette date Fortis Banque avait déjà acquis pour 10,6 milliards de dollars d’actifs toxiques, soit 7,3 milliards d’euros selon le taux de change en vigueur à l’époque. Soit deux milliards de plus que ce que Fortis Banque a officiellement communiqué.

Si le premier bancassureur du royaume a fait naufrage à l’automne 2008, c’est parce qu’il a racheté ABN Amro un an plus tôt, sans en avoir les moyens, et qu’il avait investi des milliards dans des titres spéculatifs qui ont perdu toute valeur suite à l’éclatement de la bulle immobilière américaine à la mi-2006. Cette importante exposition aux subprimes amputera le bénéfice net de Fortis Holding de 3 milliards d’euros en 2007, et d’un milliard en 2008.

Karel De Boeck et Filip Dierckx n’ont pas donné suite aux demandes d’interviews de Marianne. Et BNP Paribas Fortis nous a fait savoir qu’«aucune interview ne sera donnée» sur ce dossier.

David Leloup

L’enquête de 12 pages en PDF parue dans Marianne le 31 août 2013


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samedi 6 juillet 2013

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Arnaud Lagardère placardise son «suicide médiatique»

«Allez, on chante, là!»: la maman de Jade Foret et belle-mère de «Nono» lui intime l’ordre d’entonner la Marseillaise lors d’un match au stade de France.
EXCLUSIF. L’homme d’affaires français Arnaud Lagardère a racheté, via sa filiale Lagardère Thématiques, les droits de diffusion en France du reportage «La belle, le milliardaire, et la discrète». Lors de sa première diffusion, en novembre 2012 sur la RTBF, ce long sujet intimiste a été qualifié de «suicide médiatique» pour l’homme d’affaires. Avec cet achat, Lagardère neutralise toute diffusion télé en France d’un reportage compromettant pour son image et celle de son empire médiatique.

Vous vous souvenez de «La belle, le milliardaire, et la discrète», ce reportage de Tout ça (ne nous rendra pas le Congo) sur l’idylle d’Arnaud Lagardère avec le top-model belge Jade Foret? Ces 43 minutes de surréalisme narquois qui ont fait un gros buzz en novembre dernier, où la maman de la belle infantilise l’industriel français en le rebaptisant «Nono» et en se moquant gentiment de lui? Où l’on découvre que l’homme d’affaires de 52 ans, à la tête d’un groupe de 27.000 salariés, est un peu complexé par sa petite taille et s’est fait tatouer sur le tibia un cœur transpercé d’une dague avec le nom de son amoureuse de 30 ans sa cadette? Qu’il chante faux et ne connaît pas les paroles de la Marseillaise? Qu’il rate la cuisson de ses steaks hachés et, quand il prépare un feu de cheminée, Jade lui lance: «T’as de belles petites fesses… Elles sont qu’à moi.»

A l’époque, les commentateurs avaient parlé de prestation «ridicule», de «cas sans précédent dans toute l'histoire du patronat français», de «suicide médiatique» et de «coup de massue pour les actionnaires de Lagardère»… La perspective d’une diffusion de ce programme en prime-time dans l’Hexagone était donc à éliminer au plus vite pour «Nono». C’est désormais chose faite.

MCM et trois chaînes «jeunesse»

Marianne Belgique est en mesure de révéler que les droits de diffusion de la saison 2012 de Tout ça – 18 sujets dont cette petite bombe, regroupés en sept émissions – ont récemment été acquis, pour la France, par… Lagardère Thématiques, filiale du groupe éponyme. Au placard donc, le suicide médiatique de «Nono»! Car à moins que le milliardaire ne soit particulièrement masochiste ou veuille s’afficher comme le nouveau roi de l’autodérision, on a vraiment du mal à imaginer que «La belle, le milliardaire, et la discrète» soit un jour diffusé par l’une de ses chaînes de télévision. D’autant qu’elles n’ont pas vraiment le profil pour ce genre de programme: le groupe possède une chaîne musicale (MCM) et trois chaînes «jeunesse»: Gulli (familiale), Canal J (pour les 7-14 ans) et TiJi (moins de 7 ans)…

Comment s’est opérée cette «mise sous cloche» d’un reportage sapant l’image de ce grand patron du CAC40? Tout simplement. L’émission Tout ça est produite par la RTBF, mais c’est une de ses filiales, la Sonuma, qui a pour mandat de commercialiser les programmes et archives de la chaîne publique belge. En novembre 2012, un distributeur parisien, NeweN Distribution, frappe à la porte de la Sonuma pour acquérir les droits de distribution mondiaux de la saison 2012 de l’émission.

Un «sous-marin» de Lagardère?

«Ils nous ont fait une proposition intéressante, en fonctionnant avec une commission de vente et une rétribution de la Sonuma sur le reste, avec un minimum garanti – c’est-à-dire une avance sur les recettes – très important par rapport à ce que nous aurions pu toucher si on avait commercialisé nous même la saison, se souvient François-Xavier Schlesser, responsable commercial à la Sonuma. Pour ce type d’épisodes d’une durée d’une heure, ils nous ont offert des montants qui correspondent plusieurs fois au coût de la valeur d’une diffusion sur la RTBF, ou sur un territoire comme la Belgique. C’était un très beau chiffre. Chaque épisode a été valorisé», poursuit le commercial, qui se refuse à nous communiquer le montant de la transaction.

Sur la toile, le buzz avait démarré dès le 6 novembre, une semaine avant la diffusion du sujet sur la RTBF. Selon nos informations, le deal entre NeweN et la Sonuma a été signé le 13 novembre 2012, la veille de la diffusion. Cette coïncidence de dates est-elle le signe que NeweN agissait en «sous-marin» pour Lagardère? Rien ne l’indique, et NeweN dément ce scénario: «Une fois que nous avons acquis les droits de distribution pour le monde entier, nous l’avons fait savoir à nos clients», explique Laetitia Recayte, directrice générale de NeweN. Tous ses clients ont été informés en même temps de cette opportunité d’achat, affirme-t-elle.

Vendu au plus offrant

Invoquant le secret commercial, Laetitia Recayte refuse de confirmer avoir vendu ces droits de diffusion au groupe Lagardère: «On ne se bousculait pas au portillon pour acquérir ces droits. Je peux juste vous dire que nous les avons vendus au plus offrant.» Une offre de France 3, partenaire historique de la RTBF pour la production et la diffusion de l’émission Strip-Tease (l’ancêtre de Tout ça), aurait été supplantée largement par l’offre de Lagardère.

NeweN aurait assuré la Sonuma que le programme a été acheté pour être diffusé. Mais en réalité, aucune garantie contractuelle n’existe sur ce plan, ce que la Sonuma confirme: «Malheureusement non. Mais j’espère que la série sera diffusée, et que NeweN a pris toutes les précautions pour s’en assurer», commente François-Xavier Schlesser, qui envisage à l’avenir d’ajouter une clause dans les contrats afin qu’en cas de non-diffusion d’un programme vendu, les auteurs soient rétribués par le distributeur pour compenser la perte financière liée à cette non-diffusion.

Aucune garantie de diffusion selon le contrat

Car la RTBF, qui a produit et réalisé la série, est également rétribuée (plus modestement) lors de chaque diffusion d’un programme vendu, rappelle-t-on à la Sonuma: «N’oubliez pas que ceux qui produisent des programmes touchent des droits lors de la vente des droits de diffusion, mais aussi lors de la diffusion même, au travers des filières droits d’auteur et autres. Pour un auteur, un producteur, la vente des droits n’est pas une fin en soi. L’objectif est que le programme soit vu.» Notamment pour que le robinet à euros coule une seconde fois.

Bref, une mise au placard par Lagardère de la saison 2012 de Tout ça serait synonyme de pertes de rentrées pour la RTBF et les réalisateurs des 18 reportages concernés. Laetitia Recayte confirme en effet que lorsque NeweN vend des droits de diffusion, cela n’implique «aucune garantie de diffusion». Le distributeur vend au plus offrant pour son client. Point.

Placard à durée indéterminée

Reste une question: combien de temps le reportage «La belle, le milliardaire, et la discrète» va-t-il rester bloqué dans un tiroir chez Lagardère? La durée d’exploitation des droits de diffusion d’un programme peut varier «de quelques semaines à quelques années», répond Laetitia Recayte en théorie. Et à expiration des droits, rien n’empêcherait Lagardère de les acheter à nouveau pour maintenir le verrou sur une diffusion hexagonale.

Sur la toile, le sujet n’est pas disponible sur Dailymotion, la plateforme française de partage de vidéos, mais bien sur YouTube. Où il n’a été vu que 6.500 fois. Bien moins que les centaines de milliers voire les millions de vues auxquelles il pourrait prétendre en cas de diffusion télé en prime-time en France.

Contacté, le groupe Lagardère n’a pas donné suite à nos questions.

David Leloup

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jeudi 4 juillet 2013

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Le Prince Bernard de Merode prête-nom au Panama


Descendant de Charles Quint, le prince Bernard de Merode côtoie le milieu du renseignement économique. Il apparaît comme prête-nom dans 13 offshores panaméennes, visiblement pour de grosses fortunes qu’il gère depuis le Luxembourg.

Par David Leloup et Quentin Noirfalisse

Marianne Belgique, 11 mai 2013 (PDF)

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mardi 2 juillet 2013

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Roland Duchâtelet: «Ça devient dangereux pour moi»


Crachats, jets d’œufs, voiture secouée… Des supporters du Standard hostiles à Roland Duchâtelet, le président du club, ont dérapé. Ils n’encaissent pas que l’homme d’affaires flamand décaisse 20 millions du club liégeois.

Marianne Belgique, 8 juin 2013 (PDF)

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samedi 18 mai 2013

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Les 18 panaméennes du prince Henri de Croÿ-Solre


Son procès en appel se tient à Bruxelles depuis le 15 avril. L’an dernier, le prince Henri de Croÿ-Solre a été condamné, au pénal, à trois ans de prison avec sursis pour une fraude fiscale estimée à 75 millions d’euros. Il a par ailleurs fait l’objet de poursuites au civil par l’Etat belge, auquel il doit rembourser 4,4 millions d’euros (solidairement avec deux autres condamnés pour fraude fiscale).

De quoi s’agit-il? D’un des serpents de mer de la lutte antifraude en Belgique: le système dit des sociétés de liquidités (cash companies). Ce montage fiscal visait à diminuer la base imposable d’une société en la vidant fictivement de ses richesses. Les faits remontent à 1995. Le prince est accusé d’avoir organisé un vaste réseau frauduleux en exploitant ce mécanisme de manière quasi industrielle. Pour l’Etat belge, c’est clair: il en est la «tête pensante» et le «bénéficiaire économique». La défense du prince, elle, parle plutôt d’une technique d’ingénierie fiscale permettant d’emprunter légalement la voie la moins imposée.

Ce précepte semble en tout cas inscrit dans l’ADN du prince: les documents panaméens obtenus par Marianne révèlent que Henri de Croÿ-Solre apparaît comme administrateur de pas moins de 18 sociétés offshores créées entre 1978 et 1994, dont 13 sont toujours vivantes, selon le Registre des sociétés. Dans l’une d’elles, Aquacalda Inc., créée en 1987, il apparaît avec son épouse Maria et son frère aîné Emmanuel. Ce dernier l’accompagne d’ailleurs dans 17 des 18 offshores identifiées.
A quoi servent ces coquilles panaméennes? Vraisemblablement aux activités de gestion de fortune des deux frères, Henri ayant été formé au métier de family office par la banque MeesPierson à Hong-Kong, et «aux techniques anglo-saxonnes de défiscalisation» par la filiale londonienne de la… Générale de Banque.
D.L. et Q.N.


Mise à jour:
Dans son arrêt rendu le 21 octobre 2013, la Cour d’appel de Bruxelles a déclaré irrecevables les poursuites à l’égard du prince Henri de Croÿ-Solre et des autres prévenus car les droits de la défense auraient été violés en cours d’instruction (vice de procédure). La Cour d’appel ne s’est donc pas prononcée sur la matérialité des faits reprochés. Cet arrêt, véritable gifle pour l’Etat belge, a fait l’objet d’un recours devant la Cour de cassation, qui, le 30 avril 2014, a cassé le jugement de la Cour d’appel de Bruxelles et ordonné un nouveau procès. Le dossier de Croÿ sera rejugé au fond devant la Cour d’appel de Liège.

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Des feux de l’Ommegang aux charmes discrets du Panama


Descendant de Charles Quint, le prince Bernard de Merode côtoie le milieu du renseignement. Il apparaît comme prête-nom dans 13 offshores panaméennes, visiblement pour de grosses fortunes qu’il gère depuis le Luxembourg.

49 secondes, à peine le temps de poser une question. En vain: «Vous inventez… Vous avez peut-être trouvé mon nom, mais de toute façon je n’ai pas l’intention de parler de ce genre de choses.» Et René Bardiaux de nous raccrocher au nez. Un appel aussi bref qu’éclairant par le malaise qu’il suscite. Dans nos documents, le nom de ce Linkebeekois apparaît pourtant bien en août 1992 comme trésorier d’une offshore au nom saugrenu: The Finest S.A. («Le plus beau S.A.», en français).

Le président du CA n’est autre qu’un avocat d’Ixelles, Jean-Jacques van den Corput, peu loquace sur cette panaméenne: «Je suis prête-nom dans ce truc-là, c’est tout. J’interviens là-dedans pour faire plaisir à un ami qui n’est pas le bénéficiaire économique des comptes gérés par cette société. Il exerce des activités tout à fait légales de gestion de patrimoine pour des gens qui, pour autant que je sache, ne sont pas Belges.» René Bardiaux? «Je ne connais pas cette personne.»

Maître van den Corput ne nous en dira pas plus. Après plus de 20 ans à la tête de cette coquille, il affirme ignorer dans quelles banques se trouvent les comptes de cette société, et qui en est le bénéficiaire final...

Une information qu’Arias, Fabrega & Fabrega, le cabinet d’avocats panaméen qui gère l’offshore semble également ignorer. En janvier 2013, il a démissionné de sa fonction d’agent résident en vertu d’une loi de février 2011 votée sous la pression des Etats-Unis et du G20. Une loi qui l’oblige à connaître le bénéficiaire économique d’une offshore afin de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme…

Un «family office» à Luxembourg

Dans The Finest, on ne retrouve pas seulement René Bardiaux et notre avocat ixellois. Le 20 novembre 2006, c’est au tour du prince Bernard de Merode d’apparaître comme administrateur et trésorier de la société. Tous les deux ans, ce membre des hautes sphères aristocratiques belges interprète l’empereur Charles Quint, son ancêtre, lors de l’Ommegang sur la Grand-Place de Bruxelles.

Quand il ne prépare pas cette reconstitution historique de la venue, en 1549, de Charles Quint à Bruxelles, Bernard de Merode, 64 ans, s’affaire dans le secteur de la finance. L’homme cultive une discrétion quasi absolue. Son diplôme de droit financier sous le bras, il travaille dans le secteur bancaire belge, avant de bifurquer vers Londres, où une grande banque suisse l’emploie pendant dix ans. En 1995, il pose ses valises au Luxembourg, afin d’y lancer TNN Trust and Management S.A., un family office, c’est-à-dire une sorte de petite banque privée qui gère la fortune de richissimes familles «en vue de constituer, préserver et transmettre efficacement leur patrimoine aux générations suivantes», comme l’explique TNN sur son site.

Dans ses bureaux luxembourgeois, de Merode compte parmi ses collègues Philippe de Patoul, un vieux briscard de la finance. Né en 1947, ce Belge a travaillé en Irlande avant d’émigrer au Luxembourg dans les années 1990. Virtuellement en tout cas, les deux hommes sont bien présents au Panama. Le prince de Merode apparaît comme administrateur dans 13 offshores, dont 11 encore actives selon le registre panaméen. Pour les deux plus récentes, Taratosa Inc. et Kayado S.A., créées en 2007, de Merode annonce être domicilié dans sa résidence londonienne du quartier huppé de Chelsea. Dans 11 offshores sur 13, il siège avec de Patoul. Si la création de ces sociétés s’étale de 1983 à 2007, de Merode n’y apparaît pour la plupart qu’en novembre 2006.

Dans cette valse panaméenne, un troisième acteur apparaît de façon récurrente aux côtés du duo Merode-Patoul: le Britannique Michael Morrice. Il accompagne le tandem aristocratique dans six panaméennes. Tantôt domicilié à Londres, tantôt à Dublin, Morrice, 68 ans, a occupé près de 300 sièges d’administrateur dans des offshores anglaises et irlandaises. Un palmarès alléchant qui le consolera sûrement de n’apparaître «que» dans neuf panaméennes sur treize…

Détournement de fonds européens

En 1998, Morrice et de Patoul sont cités dans l’«affaire Echo», un scandale de corruption et de détournements de fonds humanitaires européens via de faux contrats de sous-traitance avec la Commission, le tout orchestré par le Français Claude Perry. Dans la presse de l’époque, de Patoul est présenté comme un «homme clé» servant de relais à Dublin pour les montages financiers offshore de Perry.

De son côté, de Merode est aussi actif, depuis 2001, dans une société méconnue: Risk Analysis. Implantée en Angleterre mais bénéficiant d’un bureau à Luxembourg en charge du Benelux, Risk Analysis s’active dans le renseignement financier. La société est sortie de l’ombre en 2004 quand le gouvernement anglais de Tony Blair l’a engagée afin d’identifier une taupe qui avait fait fuiter des documents sensibles à la presse. Son tarif? 6.000 euros par jour, selon le Sunday Times. Risk Analysis effectue également de la due diligence, c’est-à-dire des enquêtes poussées sur la solvabilité et la réputation d’individus ou d’entreprises. Son fondateur, Christopher Davy est un ancien des services britanniques de renseignement intérieur, le fameux MI5, de même que son directeur exécutif Martin Flint.

Bien que Risk Analysis et TNN partagent la même adresse luxembourgeoise, a priori rien ne lierait les activités de renseignement du prince à sa présence dans 13 panaméennes. Les sociétés offshore les plus anciennes cacheraient-elles des fortunes qui furent gérées par de Patoul en Irlande, puis reprises par TNN au Luxembourg après sa création? Quant aux offshores récentes, dont deux ont été dissoutes en mai 2012 et avril 2013, sont-elles liées au family office? Ont-elles servi pour des investissements ou de l’optimisation fiscale de clients belges?

Marianne a tenté, à de nombreuses reprises, de joindre Bernard de Merode ces deux dernières semaines. Des messages ont été laissés à son attention. Jamais il ne nous a rappelés. Quant à Philippe de Patoul, il a immédiatement raccroché lorsque nous avons prononcé les mots «sociétés offshore». Depuis, son téléphone ne répond plus…
D.L. et Q.N.

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