mercredi 22 août 2012

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H1N1: Comment GSK a profité du paradis fiscal belge



En 2009 et 2010, la pandémie de grippe A/H1N1 a permis au groupe britannique GlaxoSmithKline (GSK) de vendre 300 millions de doses de son vaccin Pandemrix dans le monde entier. Soit un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros, dont un milliard est revenu sous forme de royalties à sa filiale belge, GSK Biologicals, basée à Rixensart (Brabant wallon).

Or, en raison de deux mesures fiscales belges controversées – la déduction sur les revenus de brevets et les intérêts notionnels –, ce pactole n’a au mieux été taxé qu’à 3%. Ce qui revient à dire que l’Etat Belge a «perdu» l’équivalent de 320 millions d’euros. Sur les seules ventes du Pandemrix, donc.

Sur l’ensemble de ses revenus imposables enregistrés entre 2008 et 2011, l'addition grimpe à 891,6 millions d’euros d’impôts non perçus par la Belgique. Deux mesures fiscales qui coûtent décidément cher au budget de l'Etat...

L’enquête du Vif/L’Express, publiée ce jeudi, a duré plusieurs mois. Nous avons épluché les comptes annuels de plusieurs filiales du groupe GSK, afin de retracer une partie des flux financiers liés aux ventes du Pandemrix.

Nous révélons également que deux employés belges de GSK, dont le directeur financier et administrateur de GSK Biologicals, Denis Dubru, apparaissent dans un montage fiscal utilisé par le groupe GSK au Luxembourg en vue de minimiser l'impôt au Royaume-Uni sur une partie des revenus du Pandemrix. Un montage jugé abusif par le fisc britannique et démantelé par celui-ci l’an dernier.



Enquête et infographie réalisées avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Communauté française


Le Vif/L'Express, 24 août 2012 - Lire le PDF

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mercredi 8 août 2012

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Fadila Laanan doit «retirer les aides à la presse à Sudpresse», estime le syndicat des journalistes


La une de La Meuse (Sudpresse) que vous ne verrez jamais. En Belgique, quatre pigistes sur 10 gagnent moins de 2.000 € bruts par mois et 13% vivent avec moins de 1.000 €, selon l’AJP (cliquer sur l’image pour l’agrandir). Image: (cc) Mediattitudes.info

Fadila Laanan (PS), ministre en charge de l’aide à la presse à la Fédération Wallonie-Bruxelles, estime qu’il est «sans doute trop tôt pour sanctionner» le groupe Rossel, accusé de bafouer le droit d’auteur de certains journalistes pigistes en republiant leurs productions pour Sudpresse dans Le Soir (et vice versa), sans rémunération complémentaire. Pour l’Association des journalistes professionnels (AJP), la ministre doit «prendre ses responsabilités» et immédiatement «retirer les aides à la presse à Sudpresse» pour stopper ce «pillage», comme le prévoient le décret du 31 mars 2004 sur les aides à la presse et la législation sur le droit d’auteur.


En mars dernier, je rendais publique, via Twitter, la fameuse lettre envoyée par la direction de Sudpresse (La Meuse, La Capitale,…) à ses journalistes pigistes. Une lettre qui en a scandalisé plus d’un: elle exigeait unilatéralement que les journalistes indépendants de Sudpresse cèdent gratuitement leurs droits d’auteurs au cas où leurs articles seraient également publiés dans Le Soir, autre quotidien du groupe Rossel propriétaire de Sudpresse.



La direction n’y allait pas avec le dos de la cuiller: «Ce courrier a pour objectif de vous informer de cette évolution et de veiller à ce que vous ne vous y opposerez pas.» Les collaborateurs qui ne seraient pas d’accord peuvent le faire savoir, «mais nous serons alors au regret de devoir mettre un terme à toute collaboration». Les «synergies» du groupe Rossel, destinées à raboter les budgets «piges» et réaliser des économies d’échelle, justifiées par la direction par un contexte de crise, démarraient sur les chapeaux de roues...

Le 22 juin, le collectif des indépendants du groupe Rossel publiait une «carte noire» pour informer le public de cette situation et réaffirmer ses droits. La soixantaine de pigistes cosignataires rappelait au passage les tarifs pratiqués par Sudpresse: de 0,010 à 0,012 € le signe, «soit environ 25 € l’article “standard”. Celui qui travaille au bureau une journée entière (10h) sera rétribué 100 €. Tous ces tarifs s’entendent brut, cela va sans dire.»

Des journalistes qui bossent pour 10 euros bruts de l’heure? C’est trois fois moins que ce qu’un plombier débutant gagne, cinq fois moins qu’un graphiste, et sept à quinze fois moins qu’un avocat… Un tabou que l’Association des journalistes professionnels (AJP) tente de faire sauter avec sa campagne «Pigiste, pas pigeon», lancée en 2006.


Source: AJP.

Dans son texte, le collectif avance une piste: il demande au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qu’il «s’interroge sur la pertinence des aides directes qu’il accorde à la presse (1,3 million € pour Le Soir et 1,6 million € pour Sudpresse par an) alors que ces deux titres bafouent délibérément leurs obligations, comme celle de respecter la législation sur le droit d’auteur».

Dans la foulée, j’interpelle Fadila Laanan, la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, puisque c’est elle qui a l’aide à la presse dans ses compétences:



Quatre jours plus tard, après une relance, la ministre socialiste réagit:





Dans sa réponse, Fadila Laanan se dit «évidemment préoccupée par le statut des personnels, dont les journalistes, sans lesquels les titres de presse ne joueraient pas leur rôle dans une société démocratique». Et souligne un enjeu important à ses yeux: «Créer des situations précaires, c’est mettre les journalistes à la merci de personnes qui pourraient tenter de les influencer en échange d’avantages économiques.»

Mais sur la question des sanctions à appliquer aux éditeurs qui bafouent le droit d’auteur des journalistes, et qui donc contribuent précisément à créer ces «situations précaires» que Fadila Laanan dénonce, la ministre nous adresse une réponse pour le moins… surprenante: «Le décret “aide à la presse” ne soumet pas l’attribution des aides au paiement effectif des droits d’auteur au personnel journalistique.»

Ce que dément… le décret lui-même: «Pour qu’une entreprise de presse puisse percevoir […] des aides […] l’entreprise de presse doit […] respecter la législation sur les droits d’auteur» (cliquer sur l’image ci-dessous pour l'agrandir).



Fadila Laanan ajoute que la question du respect des droits d’auteur par les éditeurs a été abordée lors des Etats généraux des médias d’information (EGMI) initiés par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et qu’il conviendrait d’«attendre le suivi qui sera donné aux EGMI». Conclusion ministérielle: «Il est sans doute trop tôt pour sanctionner [Sudpresse].»

«Il n’est pas "trop tôt" pour sanctionner, il est grand temps!», rétorque Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP. «Le décret du 31 mars 2004 sur les aides à la presse prévoit (art. 7 §1er, 2°) que pour percevoir des aides, les entreprises de presse doivent notamment “respecter la législation sur les droits d’auteur”. Il est évident que Sudpresse ne respecte en rien cette législation. Il n’y a pas en effet dans cette loi de permission de reproduction sauvage de contenus pour les éditeurs. Il y a au contraire l’obligation d’obtenir l’accord de l’auteur pour chaque exploitation.»

Quant aux débats initiés aux EGMI, c’est une autre histoire: «La question précise du pillage par les éditeurs des productions des journalistes a bien été abordée aux Etats généraux, mais la législation sur le droit d’auteur comme celle sur les aides à la presse suffisent amplement à prendre déjà ses responsabilités et à retirer les aides à la presse à Sudpresse.»

Et Martine Simonis de conclure: «Pourquoi faudrait-il attendre une hypothétique réforme de la loi sur les droits d’auteur avant de sanctionner ses violations actuelles?»

David Leloup

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