Qui sait encore que Rudolf Diesel, quand il a présenté son fameux moteur en 1900 à l’Exposition universelle de Paris, le faisait tourner à l’huile végétale brute (HVB) d’arachide? Baptisé «moteur à l’huile», il ne sera renommé «moteur Diesel» que plus tard, lorsque le carburant diesel, moins cher, supplanta les huiles végétales. Aujourd’hui encore, sous réserve de modifications mineures du moteur (préchauffage de l’huile pour la liquéfier, notamment), l’HVB peut être utilisée à 100% dans tous les véhicules diesel. Sans aucun réglage du moteur, on peut la mélanger à du diesel classique à hauteur de 30% sur tous les véhicules, et jusqu’à 50% dans certains cas.
Ecologique et économique
Rouler à l’huile (colza, tournesol, etc.) est en fait excellent pour le moteur, l’environnement et le portefeuille. En effet, l’huile va décalaminer progressivement le moteur (1), ce qui améliore légèrement son rendement.
Côté rejets, il est vrai que vous laisserez derrière vous une odeur de frite ou de loempia... Mais c’est d’une certaine manière le prix à payer pour Kyoto. Car le CO2 issu de la combustion d’huile végétale n’augmentera pas l’effet de serre: il sera en effet recapté par les nouvelles cultures de colza ou de tournesol. Quand on brûle du carburant fossile, par contre, on rajoute sans cesse, sous forme de CO2, de nouveaux atomes issus du sous-sol dans le cycle atmosphérique du carbone. Les autres rejets polluants sont par contre similaires à ceux du diesel (2). Il est donc important d’équiper votre véhicule d’un filtre à particules pour limiter les dégâts.
Côté portefeuille, à plus d’un euro le litre de diesel à la pompe, le calcul est vite fait. Certains dévalisent les rayons «huile» des grands magasins (dès 0,75 €/l), les plus motivés récupèrent et filtrent les huiles usagées des friteries (0,00 €/l), d’autres encore se fournissent directement chez un producteur (dès 0,58 €/l). Plusieurs coordonnées (y compris en Belgique) circulent sur le forum d’Oliomobile.org, carrefour virtuel où les «huileux» s’échangent tous leurs trucs et astuces pour «trafiquer» les moteurs, installer un kit de bicarburation, trouver de l’huile bon marché ou découvrir le bon mélange en hiver. Sur d’autres sites, on trouve même des petits films pédagogiques montrant comment adapter son moteur soi-même...
L’HVB, panacée dans la lutte contre le réchauffement climatique? Non, car les surfaces cultivables libres en Europe sont bien trop petites pour alimenter en HVB tout le parc des véhicules diesel. Mais elle pourrait être une partie de la solution. D’ailleurs, la directive européenne 2003/30/CE, transposée en droit belge en mars dernier, reconnaît explicitement que «l’huile végétale pure provenant des plantes oléagineuses (…) peut être utilisée comme biocarburant dans certains cas particuliers où son utilisation est compatible avec le type de moteur et les exigences correspondantes en matière d’émissions». Il est donc parfaitement légal de rouler à l’HVB en Belgique… à condition de le déclarer (formulaire ACC4 disponible dans les bureaux régionaux des douanes et accises) et de payer environ 0,33 € de taxes par litre d’HVB utilisé.
Industrie contre paysans
Les pétroliers cherchent évidemment à contrôler les nouvelles filières de biocarburants. Et c’est le bras de fer avec les agriculteurs. «Cultiver du colza et le vendre aux raffineries qui en feront du biodiesel ne nous rapportera rien, explique Jean-Pierre De Leener du Vlaams Agrarish Centrum, le syndicat flamand de défense des paysans. Nous voulons cultiver, presser et commercialiser nous-mêmes notre huile (3).» Car en Belgique, comme dans de nombreux pays européens, les biocarburants constituent un extraordinaire débouché pour une agriculture en crise… De plus, face aux filières industrielles de bioéthanol et de biodiesel, la filière HVB «présente le meilleur rendement énergétique net (4)».
En France, les agriculteurs sont les seuls à pouvoir légalement rouler (sur leurs terres seulement!) avec de l’HVB. Ce qui n’empêche pas plusieurs milliers de particuliers de braver la loi pour des raisons écologiques ou économiques – version «verte» et sociale de la désobéissance civique. En Allemagne par contre, l’huile végétale est autorisée, défiscalisée et vendue dans certaines pompes. Ce qui peut fournir aux «huileux» frontaliers un alibi bien utile en cas de contrôle…
D.L.
(1) La calamine est un résidu charbonneux issu de la combustion du diesel ou de l’essence et qui encrasse le moteur.
(2) Les résultats d’un test effectué sur une Volkswagen Bora convertie pour rouler avec 100% d’huile sont disponibles ici (leur valeur n’est qu’indicative). Les données avancées pages 92 à 94 de ce mémoire d’ingénieur industriel sur l’huile de palme réalisé en 2004 sont du même accabit (inscription gratuite à Econologie.com nécessaire).
(3) «Le cadre juridique des biocarburants», DroitBelge.be, 13 octobre 2005.
(4) «Les biocarburants d’origine agricole», Paul Lannoye et Daniel Comblin, GRAPPE, octobre 2005.
En savoir +
Oliomobile.org
Roulemafleur.free.fr
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samedi 18 février 2006
L’huile végétale, le biocarburant «oublié»
Publié par David Leloup à 17:05
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