vendredi 24 février 2006

Le charme discret de la propagande

Les éditions Agone, basées à Marseille, ne font pas que publier des essayistes qui dérangent (Noam Chomsky, Howard Zinn, Serge Halimi, Jean-Pierre Berlan, etc.). Elles éditent également une volumineuse revue semestrielle éponyme, dont la dernière livraison est consacrée aux multiples facettes de la propagande contemporaine dans les champs culturel, médiatique, politique, écologique et syndical.
L’artiste Bendy Glu revient ainsi en détail sur l’instrumentalisation politique, et surtout économique, de l’événement «Lille 2004, capitale européenne de la culture», la manifestation «la plus sponsorisée de toute l’histoire des politiques culturelles». Noam Chomsky se penche lui sur la propagande entrepreneuriale véhiculée par l’industrie des relations publiques aux Etats-Unis, créée par et pour le monde des affaires en vue de «contrôler l’esprit des gens» pour maintenir l’ordre social. Serge Halimi et Arnaud Rindel enchaînent bien à propos en décrivant combien il est difficile, voire impossible, de faire entendre une analyse critique de la structure et du fonctionnement institutionnels des médias: rapidement, ceux qui s’y essaient –Chomsky, Bourdieu et leurs rejetons– sont taxés de partisans de la «théorie du complot», quand bien même ils ont tout fait pour désamorcer ce genre de reproche. L’étiquette de «conspirationniste», avec toute la charge symbolique qu’elle véhicule, serait ainsi devenue, par commodité ou par défaut, l’«arme de décrédibilisation massive» de toute critique vraiment dérangeante pour les pouvoirs en place, lesquels ont toujours considéré l’ordre du monde comme «naturel» et «automatique».
Au menu également: une critique du concept galvaudé de «développement durable», cette «pollution mentale au service de l’industrie»; une analyse sociologique décapante de la nouvelle stratégie de com’ de la Commission européenne; un article sur la colonisation de l’ONU par les lobbies industriels; une réflexion sur l’engagement intellectuel de George Orwell (La ferme des animaux, 1984…); un texte du philosophe sardon Jacques Bouveresse sur le satiriste autrichien Karl Kraus, modèle d’une critique radicale des médias au début du 20e siècle; etc.
Riche, pertinent et salvateur.
D.L.

Revue Agone, n°34, 2005, 266 p.

Ce texte a été publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

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