Par David Leloup et Quentin Noirfalisse
Marianne Belgique, 11 mai 2013 (PDF)
Second volet de notre enquête exclusive sur ces Belges qui ont craqué pour les panaméennes. Et nouvelles révélations. Cette semaine, Marianne a retrouvé des sociétés offshore administrées par un pilier historique du mouvement syndical chrétien international. Par un homme clé de RTL Group, baron de son état, et conseiller communal MR à Libramont. Par un prince descendant de Charles Quint, gérant de grosses fortunes au Luxembourg et proche des services de renseignement britanniques. Et par un autre prince condamné l’an passé à trois ans de prison avec sursis pour fraude fiscale…
Marianne, qui a bénéficié ces derniers mois d’une importante fuite de données du Panama, continue de décrypter les secrets de ce paradis fiscal d’Amérique centrale de 3,5 millions d’habitants. Il n’y a bien sûr rien d’illégal à détenir une offshore, pour autant que d’éventuels revenus générés par celle-ci soient déclarés au fisc. Or l’opacité que vend le Panama incite précisément à la fraude…
Parce qu’ils n’ont pas jugé nécessaire de dépenser 300 euros par an pour rémunérer des prête-noms, ou que le scénario d’une fuite de données était impensable à leurs yeux, ou encore que des intermédiaires peu scrupuleux n’ont pas jugé bon de masquer les noms de leurs clients dans le Registre des sociétés panaméen, plus de 160 Belges – tous présumés innocents, soulignons-le – ont été identifiés par Marianne comme administrateurs d’offshores panaméennes. C’est tout simplement la plus grosse fuite de données offshore relative à la Belgique jamais révélée par la presse belge.
EPISODE 2
L’héritage perdu de Geert van Istendael?
Auguste Vanistendael, pilier du mouvement syndical chrétien, apparaît comme trésorier d’une mystérieuse offshore toujours vivante: J.A.M.E. International Inc. Amnésique à la fin de sa vie, aurait-il oublié de transmettre ce patrimoine à ses enfants?
Des feux de l’Ommegang aux charmes discrets du Panama
Descendant de Charles Quint, le prince Bernard de Merode côtoie le milieu du renseignement. Il apparaît comme prête-nom dans 13 offshores panaméennes, visiblement pour de grosses fortunes qu’il gère depuis le Luxembourg.
Les 18 panaméennes du prince Henri de Croÿ-Solre
Le prince Henri de Croÿ-Solre apparaît comme administrateur de pas moins de 18 sociétés offshores créées entre 1978 et 1994, dont 13 sont toujours vivantes, selon le Registre panaméen des sociétés. A ses côtés, son frère Emmanuel et son épouse Maria.
Les quatre offshores du baron de Libramont
Depuis 1996, un conseiller communal de Libramont, apparenté au MR, est prête-nom dans quatre panaméennes. Des fortunes belges se cachent-elles derrière cet ancien avocat?
samedi 18 mai 2013
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Panamagate - Episode 2 |
samedi 11 mai 2013
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Le brasseur et la petite reine |
Deux frères de la région montoise. Le notaire du village aux multiples casseroles. Le cabinet d’avocats panaméen Icaza, Gonzalez-Ruiz & Aleman. Et une sombre histoire de succession?
Certains pourraient y reconnaître un verre de bière déformé, vu d’en haut, les vagues s’échouant sur le sable formant la mousse houblonnée qui s’accroche aux parois. A moins qu’il ne s’agisse d’un vélodrome pas très régulier, cerné par les flots... L’attol de Clipperton, possession française perdue dans l’océan Pacifique, a-t-il inspiré le nom de la panaméenne d’Edouard Gallée, 60 ans, brasseur hennuyer et aficionado de la petite reine?
Ceux qui fréquentent les cafés de la région montoise connaissent bien les camions de la brasserie Gallée qui fournissent fûts et casiers aux troquets du coin. Ils ne connaissent par contre pas Clippertone Inc., une discrète offshore utilisée à partir de 1981 par les frères Hector et Edouard Gallée, et que le Registre panaméen renseigne comme étant toujours en vie en 2013…
Hector fut président de la Ligue vélocipédique belge à la fin des années 1970 jusqu’à sa démission en février 1990. Quelques semaines plus tard, il décède lors d’une mystérieuse explosion qui anéantit sa maison. Une déflagration d’une ampleur telle que l’hypothèse criminelle n’est pas écartée, le Parquet de Mons désignant à l’époque un expert…
Pour créer leur offshore, les deux frères sont semble-t-il allés frapper à la porte de Jacques Haustrate, le notaire du coin. Agé aujourd’hui de 70 ans, il a été condamné en 2003 à six mois fermes pour calomnie à l’égard d’une ancienne candidate à la présidence du PSC. Dans les années 1980, il avait déjà été condamné à trois reprises à des peines de prison pour des préventions telles que fausse déclaration d’identité, escroquerie, détournement, faux et usage de faux, et recel. Radié du barreau et de la chambre des notaires, il avait été arrêté en 1988 avec un substitut du procureur du roi dans une vaste affaire d’escroquerie…
En mars 1981, un an avant sa première casserole judiciaire, Jacques Haustrate prend contact avec la filiale genevoise du bureau d’avocats panaméen Icaza, Gonzalez-Ruiz & Aleman. Objectif: acquérir une offshore pour ses clients. Hector est nommé président, Edouard trésorier et secrétaire, et Jacques Haustrate simple administrateur.
A quoi sert Clippertone Inc.? «A rien», nous répond Edouard Gallée, qui organise chaque année une course cycliste avec une ancienne gloire belge de la petite reine. «Je crois que c’était mon père qui l’avait créée et on y a mis fin tout de suite à l’époque. Ce sont des affaires de famille. Mon père est décédé en 1992.» Où cette offshore détenait-elle un compte en banque? «Elle n’en avait pas.» Possédait-elle des biens immobiliers? «Non, rien du tout.» Pourquoi dès lors créer une coquille panaméenne si elle ne détient rien? «Je ne peux rien vous dire. Cette société n’a pas vécu longtemps, six mois peut-être…» Le Registre des sociétés, lui, raconte une tout autre histoire…
D.L. et Q.N.
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Le roi du casier |
Francis Isenborghs, 66 ans, est un jeune retraité satisfait. Il laisse derrière lui une PME florissante qui conçoit et fabrique des casiers à bouteilles et des palettes en plastique pour le secteur international de la boisson. Notre ex-entrepreneur, qui habite un village croquignolet dans le Brabant wallon, a breveté plusieurs casiers ainsi qu’un procédé d’étiquetage qui font toujours le bonheur de ses anciens clients: Coca-Cola, AB InBev, Heineken, Danone, Nestlé…
Des noms bien plus connus que Capal Consulting Inc., l’offshore que Francis Isenborghs s’est créée en janvier 2007 au Panama. «C’est terminé, c’est fini tout ça…», dit-il à Marianne, comme s’il avait tourné définitivement une sombre page de sa vie. «Cette offshore me servait quand j’étais consultant. C’était pour toucher des petits montants. Mais la société n’existe plus. Ça fait plusieurs années que je n’ai plus rien payé.»
Pourtant, le Registre des sociétés la présente comme étant en vie. «Non, c’est une erreur, affirme-t-il avec l’aplomb d’un juge de paix. La société n’a duré que deux ou trois ans.» Lorsqu’on lui demande par quelle filière il est passé pour ouvrir son offshore, il se ferme comme une huître: «Non non non, c’est fini, non non, c’est terminé tout ça, je n’expliquerai plus rien. C’est du passé. Je n’ai pas envie de parler de ça. C’est terminé, au revoir monsieur.»
D.L. et Q.N.
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Une affaire de famille |
Cinq offshore créées en sept mois, de multiples fusions et remaniements: la famille Festraerts, de Saint-Trond, est hyperactive au Panama. Un bien étrange business familial.
Les noms des cinq offshores dans lesquelles trois membres de la famille Festraerts apparaissent, ou sont apparus récemment, comme administrateurs, n’évoqueront pour vous qu’un exotisme frais saupoudré de jargon anglo-hispanique. Des sociétés dont les trajectoires peuvent se révéler complexes voire carrément virevoltantes. Tout d’abord, il y a Galinsky Continental Corporation, dans laquelle la famille Festraerts fait irruption en janvier 2007. Cinq jours plus tard, le même trio surgit au conseil d’administration de Lethbridge Overseas Corporation. Après une pause de deux mois, la famille Festraerts s’empare coup sur coup de Hetar Propiedades Inmobiliarias et Obrart Commercial Company. Après ce premier semestre frénétique, le trio familial créera aux aurores de juillet 2007 une ultime coquille: Casanueva Digital.
Que cachent ces cinq panaméennes acquises en seulement sept mois? D’autant que les choses n’en sont pas restées là… En juin 2007, Obrart absorbe une panaméenne tierce, la Rudge Brothers Inc. Début 2008, c’est au tour de Casanueva Digital d’engloutir deux sociétés. En novembre 2010, cette même Casanueva absorbe Obrart et deux autres boîtes extérieures au clan familial. En novembre 2010 toujours, c’est à Hetar et Galinsky de se faire manger toutes crues par Lethbridge. La famille Festraerts revendra ensuite ses parts dans cette dernière en janvier 2012, cédant le témoin à deux Américains d’une bourgade perdue du Colorado. Vous avez suivi?
Dans les documents, la famille Festraerts prétend être domiciliée au 5e étage de l’immeuble Magna Corp, rue Manuel Icaza, à Panama City. Dans le bureau 522, plus précisément. Mais aussi parfois dans le bureau voisin ! Deux bureaux du cabinet d’avocats Araúz, l’agent local par lequel notre trio agité est passé pour créer plusieurs de ses offshores. Une adresse fictive, bien sûr: la famille Festraerts habite dans le Limbourg…
Rudi, le patriarche, officie souvent comme trésorier des offshores. Son épouse, Greta V., remplit généralement le rôle de secrétaire. Ancien mandataire de l’Open VLD, Rudi fut notamment conseiller communal à Saint-Trond et membre du conseil de police, jusqu’en 2006. A la fin de sa carrière politique, cet ancien professeur exerçait treize mandats, dont huit rémunérés. Son dada? Les carnavals. Celui de Notting Hill, à Londres, et bien sûr celui de Saint-Trond, dont il est membre du comité d’organisation. Une chose est sûre: notre homme est bien équipé en masques panaméens…
Au bout du fil, Rudi soupire: «Comme on dit en flamand, le ciel me tombe sur la tête. Hetar Propiedades et tous ces noms, ça ne me rappelle que des hôtels où je pourrais aller en vacances. Je ne suis au courant de rien.» Nos documents proviennent du Registre officiel de Panama, pourtant, rétorquons-nous. «Ça c’est quelque chose! Mon nom se retrouve là-dedans?» Long silence. Malaise. Sibyllin, il glisse: «Apparemment, ce serait une affaire entre mon fils et ma femme. Je me suis distancié de tout cela.»
Kurt, son fiston, vit semble-t-il à Londres. C’est lui qui tirerait les ficelles de ce vaudeville panaméen. Dans les sociétés, il occupe souvent le rôle de président, et certains actes notariés indiquent qu’il en est l’actionnaire à 100%. Le jeune homme possède un sérieux bagage financier: son CV affiche un DESS en gestion financière et un master de la London School of Economics. A Londres, il contrôle deux sociétés logées dans son appartement: Blue Razor Limited et White Bullet Limited.
Notre conversation téléphonique avec lui est on ne peut plus confuse. «Non, ça ne me dit rien», bafouille-t-il à propos des sociétés, avant de revenir sur ses propos: «A Panama, pour acheter un terrain, vous devez acheter une société. J’ai donc acheté des actions pour devenir propriétaire de terres là-bas.» Il s’arrête. Déclare que les sociétés n’existent plus. Il siège encore au conseil d’administration de Casanueva Digital, pourtant. «Oui, ce qui existe encore est en quelque sorte géré par ma société britannique.» Invérifiable. Pourquoi ses parents apparaissent-ils dans ces offshores? «Parce qu’il faut trois administrateurs», répond-il. Mais il demeure évasif sur ce choix familial. «Etre administrateur, ça ne veut pas dire que vous êtes actionnaire. La société, elle, ne fait rien. Elle possède le terrain. On paye des frais annuels et des taxes sur les terres.»
Agacé, il nous dit de considérer ces sociétés comme un «investissement». «Un mauvais, d’ailleurs. Les prix ont chuté.» Mais où se situent ces terrains? «Dans un... club de golf.» Kurt refusera de nous envoyer des photos de ses terres panaméennes. «Que voulez-vous faire avec ça? Vendre les terrains pour moi? Non, franchement, il n’y a rien de louche là-dedans, sinon j’aurais pris un prête-nom.» Il est vrai que certains noms de sociétés gravitant autour de ce montage renvoient à l’immobilier. Mais ceci, en plus de ne rien prouver, n’explique pas la multiplication des sociétés, leurs fusions et leurs reventes intempestives. Comme si on cherchait à brouiller les cartes.
D.L. et Q.N.
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Deux banquiers «égarés» à Panama |
Le patron de la banque Degroof et l’ex-numéro un de BNP Paribas Fortis à Pékin apparaissent comme prête-noms dans une offshore qui aurait permis, dans les années 1980, de réduire la facture fiscale d’un client. Lequel? Mystère.
Ses documents d’enregistrement reposaient depuis deux mois sur une étagère du cabinet d’avocats panaméen Durling & Durling. Une société on the shelf, comme disent les spécialistes. Une coquille vide prête à être vendue au premier client venu. Ce fut chose faite le 2 décembre 1981: un avocat new-yorkais, Peter F. DeGaetano, fait l’acquisition de Satley Investments Corp. S.A., pour la refiler quelques semaines plus tard, à deux banquiers belges alors âgés d’une petite trentaine d’années: Regnier Haegelsteen et Serge Janssens de Varebeke.
Depuis le 11 janvier 1982, date de l’entrée des deux hommes au conseil d’administration de cette offshore, de l’eau a coulé sous les ponts. Regnier Haegelsteen est aujourd’hui président du comité de direction de la banque Degroof, première banque privée et d’affaires indépendante de Belgique. Il est également administrateur de sociétés (Atenor, Etex, Schreder et Sipef) et président de la Fondation Saint-Luc de l’université catholique de Louvain. Quant à Serge Janssens, il était le représentant principal de BNP Paribas Fortis à Pékin de 1999 à sa retraite, fin 2012. Il a été fait Chevalier de l’ordre de Léopold en 2004 et est actuellement conseiller en commerce extérieur de l’ambassade de Belgique dans la capitale chinoise, où il réside.
Mais aujourd’hui, d’après le Registre des sociétés du Panama, l’offshore est toujours officiellement pilotée par les deux hommes. Regnier Haegelsteen en est le président du conseil d’administration et Serge Janssens de Varebeke, le vice-président. Un certain Vincent Stek, banquier suisse aujourd’hui retraité, cumule les fonctions de secrétaire et trésorier.
A l’instar de sa passion pour la chasse qu’il préfère ne pas évoquer «car l’on véhicule trop souvent de fausses images des chasseurs», explique-t-il dans une rare interview, M. Haegelsteen n’a pas souhaité répondre aux questions de Marianne. Cette offshore «ne lui rappelle rien du tout», nous a fait savoir Patrice de Laminne, porte-parole de la banque.
Contacté via l’ambassade belge à Pékin, Serge Janssens de Varebeke nous a vite rappelés. Satley Investments? «Jamais entendu parler.» DeGaetano? «Idem.» Vincent Stek? «Ce nom ne me dit rien. Par contre, il y a 20 ans, j’ai fait du private banking [gestion de fortune, NDLR] à la Générale de Banque, et nous avions une filiale aux Bahamas. La panaméenne pourrait venir de là...» Puis le franc tombe: «Aaaah mais attendez ! J’étais à New York de 1979 à 1983 ! J’étais à la tête du desk belge de la European American Bank, une banque consortiale qui comptait six actionnaires dont la Générale. Il n’est pas impossible qu’on ait créé une panaméenne dans le cadre d’un crédit octroyé à un client.» Puis, lorsque nous lâchons le nom du patron de la banque Degroof, l’hypothèse s’affine. «Aaah, mon bon copain Regnier ! A l’époque il était chef du desk belge chez Morgan Guaranty et on avait quelques clients communs, notamment la filiale américaine de Petrofina.»
Le lendemain, Serge Janssens nous rappelle. Il a mené sa petite enquête avec l’aide d’Haegelsteen. Stek était un collègue de ce dernier chez Morgan Guaranty, et DeGaetano l’avocat de cette banque. «Comme on est tous les trois mêlés à ça, c’était certainement une opération de nos deux banques réalisée dans le cadre de nos fonctions d’employés de banques américaines. C’était probablement un prêt “consortial” où Morgan avait la position de leader, vu que moi je ne suis “que” vice-président de l’offshore. Ma banque avait dû mettre moins d’argent sur la table.»
Le client? «Certainement une société américaine qui pourrait être une filiale d’un groupe belge ou européen. A l’époque nous nous occupions principalement d’entreprises, pas de clients privés. Regnier a appelé DeGaetano, mais ses archives ne remontent pas aussi loin.» Mais qu’aurait donc fait ce client caché en embuscade derrière une panaméenne anonyme? «C’était de l’optimisation fiscale, un montage pour payer le moins de taxes possible. Et c’était certainement une pratique tout à fait courante et acceptée par le fisc américain. Soyez-en sûr.»
D.L. et Q.N.
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Trois patrons de PME en eaux troubles |
Le patron d’une importante PME wallonne active dans le photovoltaïque apparaît dans une panaméenne. Cette offshore ne lui aurait jamais rapporté un centime, affirme-t-il. Tout en faisant l’éloge des paradis fiscaux.
C’est l’histoire de l’obscure offshore d’un entrepreneur solaire. A l’origine, CPM International Holdings, panaméenne créée en 1991. Dans ses statuts, quatre administrateurs: un certain Henri L. Pritchett, domicilié à Coral Springs (Floride) et son compatriote Mark Hopkins, habitant à l’autre bout du pays, à Seattle. Le président du conseil d’administration, Hervé Kerien, déclare résider, de manière surprenante, dans la chambre 451 de l’hôtel Jianguo, un quatre étoile de Pékin. Le quatrième annonce habiter Linkebeek (Brabant flamand). Il s’agit de Pierre Verhoogen, aujourd’hui à la tête d’une prospère PME du Brabant wallon pionnière dans le secteur photovoltaïque.
Joint par Marianne, il affirme d’abord ne pas se souvenir d’une quelconque offshore créée à Panama. Et tempère: «Dans ma vie, j’ai créé beaucoup de sociétés, vous savez...» Avant de se lancer dans le solaire, l’entrepreneur était notamment actif dans l’agroalimentaire avec son marin de frère. Il a aussi développé des affaires en Chine, au Pérou et en Tunisie.
Une veuve héritière
Au fil de la conversation, la mémoire de Pierre Verhoogen revient: «N’y aurait-il pas Henri Pritchett parmi les fondateurs?» Nous confirmons. «J’ai travaillé avec lui, en effet. Il était actif dans l’affrètement.» Les autres noms présents dans les documents renvoient également à d’anciennes relations d’affaires de l’entrepreneur belge.
Selon Pierre Verhoogen, la société aurait été mise en place par ce Pritchett pour faire de l’affrètement. Suite au décès dudit Pritchett, en 1992, cette panaméenne n’aurait jamais été réellement active, affirme-t-il. Toutefois, le Registre des sociétés de Panama est formel: elle n’a jamais été liquidée. Et la veuve de Pritchett, juste après le décès de son mari, a remplacé celui-ci au conseil d’administration en tant que secrétaire et trésorière. S’il s’agit effectivement d’une coquille vide, pourquoi la veuve en a-t-elle officiellement repris les rênes? Pourquoi ne pas l’avoir dissoute après le décès de Pritchett?
Pierre Verhoogen ne se rappelle pas avoir dû fournir un document d’identité ni une procuration permettant à Pritchett de l’enrôler comme administrateur en septembre 1991. Or pour administrer une offshore, une copie du passeport ou d’un document d’identité est en principe requise. Par ailleurs, Pierre Verhoogen ne souhaite pas particulièrement que CPM International soit dissoute, en dépit de sa supposée inactivité. «Cette société ne m’a jamais ramené un centime, je me contrefiche complètement de ce truc», nous dit-il. Et l’entrepreneur de se lancer dans une tirade sur les raisons qui font le succès de paradis fiscaux tels que le Panama. Outre les «coûts dérisoires» pour la création d’une société, Pierre Verhoogen estime que «passer par Panama permet de réduire les coûts structurels» des entreprises et donc «de continuer à les faire vivre ici», dans des Etats à l’imposition «démesurée» et incapables «d’avoir les moyens de financer leurs systèmes sociaux».
Comme des chiens sur un os
En légiférant trop vite sur les paradis fiscaux, dans la foulée des révélations de l’OffshoreLeaks, le monde politique risquerait de faire une grave erreur, estime Pierre Verhoogen. «Vous croyez que l’argent des paradis fiscaux est là-bas, dans des coffres et qu’il dort? En réalité, cet argent est dans l’économie réelle, à travers les bourses mondiales. Ça fait tourner les sociétés. Donc il faut éviter de trop vite couper le robinet.» Pour notre entrepreneur, la confiance des grandes fortunes dans les paradis fiscaux doit rester intacte. Et tant pis si ces territoires sulfureux profitent aussi aux gangsters de tout poil pour blanchir l’argent du crime. «Si les gens riches en viennent à se dire: “moi je ne mets plus mon argent dans une banque en Suisse, aux Bahamas ou aux îles Vierges, je vais reprendre mes dollars et les cacher sous mon matelas ou dans un coffre-fort chez moi, les dépenser discrètement, sans laisser de trace, comme ça personne ne m’emmerdera”, ça, c’est la mort de l’économie, parce que l’économie a besoin de cash!»
Quant au fisc belge, il ne comprendrait pas grand-chose aux montages offshore. «Je me souviens d’une affaire avec l’Algérie, une vente de médicaments à injecter qui étaient produits par Merck. Pour réaliser la transaction, Merck nous demandait de passer par sa filiale de Vaduz au Liechtenstein. Il y avait un bureau sur place, avec de vraies personnes qui y travaillaient. Lors d’un contrôle fiscal, les agents du fisc se sont jetés sur cette transaction avec le Liechtenstein comme des chiens sur un os! Ça a duré deux jours. Tout le contrôle fiscal ne s’est focalisé que là-dessus!»
David Leloup et Quentin Noirfalisse
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Gusher et Nuckol sont sur un camion… |
Un administrateur de De Lijn et lobbyiste du transport routier s’est retrouvé, entre 2007 et 2010, président du conseil d’administration de deux offshores avec un collègue suisse. Les deux hommes tombent des nues et hurlent au complot.
Paul Laeremans et Martin Marmy. Un Belge et un Suisse. Deux noms qui ne vous diront sans doute rien. Pourtant, ils figurent parmi les personnages-clés de la très puissante Union internationale des transports routiers (IRU), un discret lobby chargé de défendre les intérêts des exploitants d’autobus, d’autocars, de taxis et de camions, «dans le but d’assurer la croissance économique et la prospérité via la mobilité durable des personnes et des biens». Partout dans le monde.
L’IRU fut créée en 1948 pour favoriser la reconstruction de l’Europe en appliquant une stratégie «de facilitation du transport routier» développée par les Nations Unies. Avec 170 associations professionnelles membres, l’IRU est devenue un mastodonte qui s’étend aujourd’hui dans 73 pays et possède, outre son siège à Genève, des délégations permanentes à Bruxelles, Moscou et Istanbul. Parmi ses membres associés, on retrouve tous ceux qui prospèrent grâce au macadam: Volvo, Scania, Michelin, Iveco, Eurolines, UPS, Continental… Le tout forme ce qu’on pourrait appeler le lobby du libéralisme routier global.
Son plus grand fait d’armes? La mise en place du système «TIR» (transport international routier), un régime fiscal douanier qui permet à un camion de traverser plusieurs pays en gardant sa cargaison sous scellés: le véhicule n’est contrôlé par les douanes qu’au départ et à l’arrivée, pas en chemin. C’est l’IRU qui gère ce système sous mandat des Nations Unies. Un dispositif qui représente un milliard de dollars de garantie bancaire chaque jour... En cas de fraude, si le transporteur TIR ne peut payer (s’il est en faillite, par exemple), c’est l’IRU qui règle l’addition, l’organisation étant elle-même assurée auprès de compagnies privées.
Un «fanatique» du transport routier
Voilà pour le contexte. Et c’est un Belge – Paul Laeremans, donc – qui a présidé cette gigantesque organisation de 2002 à fin 2007. S’il y a bien une personne qui l’a marqué durant sa présidence, c’est le secrétaire-général Martin Marmy, lequel quittera bientôt son poste après «20 ans d’un règne sans partage», selon la presse spécialisée. Laeremans décrit Marmy, avec qui il a tissé des liens d’amitié, comme un «fanatique du transport routier» qui, grâce à ses «accents visionnaires», a «très vite senti venir la globalisation» et est parvenu à «mondialiser l’IRU».
Depuis qu’il a quitté la présidence, Laeremans est resté membre du comité exécutif de l’IRU. Il est aussi président du conseil d’administration de Tir Service, Viatrans et Viainvest, trois sociétés genevoises dans le giron de l’IRU pour lesquelles il a le pouvoir de signature avec Marmy. A l’échelon belge, Laeremans est administrateur délégué de la Fédération belge des exploitants d’autocars et d’autobus (FBAA) et administrateur au sein de la société de transport public De Lijn. Il est également directeur du Fonds social pour les ouvriers des entreprises d’autobus, une organisation paritaire où il représente le ban patronal.
Laeremans et Marmy ne partagent visiblement pas qu’un vif intérêt pour la défense du transport routier. Selon des documents officiels de l’Etat du Panama, les deux hommes ont été administrateurs de deux offshores entre 2007 et 2010. Les noms de ces coquilles sont, comme à l’habituée, relativement saugrenus: Nuckol Enterprises et Gusher Securities. Les deux sociétés jumelles ont été créées au lendemain du jour de l’an 2007, mais les noms de Laeremans et Marmy n’apparaissent au conseil d’administration que le 6 juillet 2007. Le premier comme président, le second comme vice-président. Un avocat panaméen, Paul E. Silva, complète le board, la loi panaméenne imposant trois administrateurs.
Détail surprenant: l’adresse de Laeremans et Marmy mentionnée sur les documents est celle de la banque Arbinter-Omnivalor à Genève. Il s’agissait à l’époque d’une filiale spécialisée en gestion de fortune de la banque privée Edmond de Rothschild. En décembre 2009, Gusher Securities est dissoute. Nuckol Enterprises suit, trois mois plus tard.
E-mail anonyme et plainte
Joints par Marianne, les deux protagonistes le crient haut et fort: ils ne connaissent pas ces sociétés. Ont-ils déjà travaillé avec Arbinter-Omnivalor ou la banque Rothschild dans le cadre de l’IRU? «Jamais», tranche Laeremans. Avant même de pouvoir formuler cette question, Martin Marmy nous coupe: «Je sais très bien pourquoi vous appelez. C’est lié à cette histoire de diffamation. Un email anonyme a circulé avant notre assemblée générale d’avril 2013. C’était à propos de moi-même, de M. Laeremans et d’autres personnes éminentes travaillant pour l’IRU. Je ne peux pas vous dire grand-chose sur le contenu, car nous avons déposé plainte. Vous savez, je suis en fin de carrière. Il y a peut-être des gens qui ont souffert de moi ou de ma manière de faire.»
Cette affaire interne, dont Marianne ignore tout, serait liée au licenciement de trois cadres d’une société satellite de l’IRU en janvier dernier, selon Laeremans. Elle n’a sans doute pas grand-chose à voir avec les deux panaméennes qui nous préoccupent. Quelles sont, dès lors, les autres hypothèses développées par Marmy et Laeremans pour expliquer la présence de leurs noms dans Gusher et Nuckol? Marmy reconnaît bien avoir un avocat à New York pour «des affaires pas du tout financières» et qui possède une étude à Panama. «Il est possible qu’il ait pris ma signature», insistant, complètement hors contexte, sur les «56.000 apparitions de son nom sur Internet».
Paul Laeremans évoque aussi l’hypothèse d’une utilisation abusive de son passeport – une copie de celui-ci est nécessaire pour entrer au CA des deux panaméennes. «Durant mes années de présidence, j’ai participé à de nombreuses ouvertures et fermetures de comptes, dans de nombreux pays où nous travaillons. Le Panama n’en fait pas partie. J’ai signé des centaines et des centaines de documents, donné plusieurs fois des copies de mon passeport. Des personnes malintentionnées ont pu tomber sur celles-ci...»
Scénario «abracadabrantesque»
En bout de course, Laeremans ajoute avoir également signé, lors de sa présidence, des papiers relatifs à l’ouverture d’un compte pour l’IRU à l’Union Bancaire Privée (UBP). «Mais ce compte a ensuite été fermé après mon départ de la présidence.» Et Laeremans d’avancer une énième hypothèse qu’il ne peut davantage étayer: «On m’a dit, à la comptabilité, que les banques, notamment suisses, font des opérations de rétrocession. Il ne serait pas impossible que les avoirs confiés à l’UBP aient été placés dans d’autres banques.» Un scénario complètement «abracadabrantesque», estime un banquier interrogé par Marianne…
Inlassablement, Laeremans et Marmy, avec lesquels nous avons longuement discuté, taillent leur route: ils sont convaincus que quelqu’un s’est servi de leurs noms. Mais si c’était pour leur nuire, pourquoi ces personnes supposées malveillantes auraient-elles dissous les deux offshores sans avoir même révélé publiquement leur existence? Ici aussi, l’explication ne tient pas la route.
La courte et très mystérieuse existence de Gusher et Nuckol pourrait-elle être éclaircie par une demande d’explications à la banque Edmond de Rothschild, qui a absorbé Arbinter-Omnivalor en 2009? Après tout, c’est bien l’adresse de cette dernière, aux abords du lac Léman, qui figure à côté des noms des deux hommes. Réponse de Laeremans: «Je ne banalise pas cette histoire, mais je ne compte pas contacter la banque Rothschild. Me donneraitelle ces informations? J’en doute. Je ne veux pas le savoir, de toute manière, j’ai trop de choses à faire.»
Alors, usage abusif des deux noms? Investissements privés réalisés par les deux lobbyistes? Placements risqués pour le compte de l’IRU? Ou s’agit-il de fonds de l’IRU «détournés» via le Panama? Voire de caisses noires mises en place pour s’acheter certaines faveurs politiques? A moins que les deux coquilles ne soient les réceptacles de «commissions» versées par des membres de l’IRU à ses dirigeants, afin que l’organisation adopte certaines priorités plutôt que d’autres? Pour l’heure, en tout cas, le mystère de Gusher et Nuckol reste entier…
D.L. et Q.N.
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Plus de 160 Belges identifiés dans des offshores au Panama |
Marianne a bénéficié d’une importante fuite de données provenant du Panama. Notre enquête permet de lever un coin du voile sur le fonctionnement opaque de ce paradis fiscal d’Amérique centrale, qui séduit des contribuables du monde entier. Dont de nombreux Belges en quête d’anonymat. Nous en avons identifié plus de 160. Après OffshoreLeaks, voici le Panamagate.
Par David Leloup et Quentin Noirfalisse
Marianne Belgique, 4 mai 2013 (PDF)
EPISODE 1
Le Panamagate ne fait que commencer...
Anonymat, montages fiscaux plus ou moins légitimes, activités légales aussi: Marianne vous emmène à la rencontre de ces Belges qui ont ouvert une société offshore au Panama. Des profils sociologiques variés, pour des usages qui le sont tout autant...
Vendre de la bière provoquerait des trous de mémoire
Trois figures de l’actionnariat familial d’AB InBev apparaissent comme administrateurs d’offshores panaméennes. Des mandats qui ne leur rappellent pas grand-chose, voire rien du tout. Seule certitude: ce ne sont pas des filiales du groupe brassicole.
Gusher et Nuckol sont sur un camion…
Un administrateur de De Lijn et lobbyiste du transport routier s’est retrouvé, entre 2007 et 2010, président du conseil d’administration de deux offshores avec un collègue suisse. Les deux hommes tombent des nues et hurlent au complot.
Deux banquiers belges égarés à Panama
Le patron de la banque Degroof et l’ex-numéro un de BNP Paribas Fortis à Pékin apparaissent comme prête-noms dans une offshore qui aurait permis, dans les années 1980, de réduire la facture fiscale d’un client. Lequel? Mystère.
Trois patrons de PME en eaux troubles
Le patron d’une importante PME wallonne active dans le photovoltaïque apparaît dans une panaméenne. Cette offshore ne lui aurait jamais rapporté un centime, affirme-t-il. Tout en faisant l’éloge des paradis fiscaux.
Une affaire de famille
Cinq offshore créées en sept mois, de multiples fusions et remaniements: la famille F., de Saint-Trond, est hyperactive au Panama. Un bien étrange business familial.
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Vendre de la bière provoquerait des trous de mémoire |
Trois figures de l’actionnariat familial d’AB InBev apparaissent comme administrateurs d’offshores panaméennes. Des mandats qui ne leur rappellent pas grand-chose, voire rien du tout. Seule certitude: ce ne sont pas des filiales du groupe brassicole.
«Je suis au moins aussi intrigué que vous par cette société et je vais continuer mes recherches, monsieur. C’est dans mon intérêt que tout cela soit éclairci, vis-à-vis de toutes les responsabilités que j’exerce.» L’homme qui s’exprime ainsi à l’autre bout du fil, le comte Arnoud de Pret Roose de Calesberg, est méconnu du grand public. Il n’en est pas moins étroitement associé à l’un des plus beaux fleurons industriels d’origine belge: AB InBev, premier brasseur mondial, qui vient tout juste d’engloutir le Mexicain Grupo Modelo, producteur de la Corona.
En effet, grâce au mariage du grandpère d’Arnoud de Pret avec Geneviève de Spoelberch, cette famille de la noblesse versée depuis quatre siècles dans le monde des affaires s’est intégrée dans l’actionnariat familial de la brasserie Artois, fusionnée en 1987 avec Piedbœuf pour devenir le géant Interbrew.
De 1990 à 2011, Arnoud de Pret, ingénieur commercial de formation, a été l’un des piliers du conseil d’administration de l’ogre brassicole, où il a représenté les actionnaires familiaux belges d’AB InBev. Arnoud de Pret conserve par ailleurs de multiples mandats d’administrateur au sein des boards de Delhaize Group, d’Umicore, de l’Union chimique belge, de Sibelco (multinationale active dans l’extraction de minerais), d’Intégrale (les assurances pension) ou encore de Lesaffre & Cie, leader mondial dans le domaine de la levure. A cela s’ajoute un autre poste, prestigieux, au sein du conseil de surveillance d’Euronext.
Une offshore nommée «syndicat»
Toutefois, s’il y a bien une casquette dont Arnoud de Pret semble vouloir se débarrasser aujourd’hui, c’est celle d’administrateur dans une société offshore nappée de mystère, la Tradeunion S.A. Enregistrée à Panama, elle possède également au sein de son conseil d’administration le grand cousin d’Arnoud de Pret, André de Spoelberch, 87 ans, ancien vice-président d’Artois, qui fut également l’administrateur-délégué d’Interbrew les tout premiers mois après la fusion.
Mais d’où sort donc cette intrigante coquille au nom bizarre pour deux grands patrons – en anglais, trade union signifie… syndicat ! – et à l’objet social si vague qu’il ne nous apprend rien sur ses activités? Flashback. Le 18 février 1982, Tradeunion est créée à Panama par le cabinet d’avocats Icaza, Gonzales-Ruiz & Aleman. Deux mois plus tard, trois administrateurs uruguayens montent à bord: Miguel Angel Volonterio, Juan Pablo Castello et Pedro Domingo Vannelli. Ils endossent respectivement les rôles de président, secrétaire et trésorier. Peu d’informations existent sur eux. Depuis les années soixante, tous trois se sont installés dans les conseils d’administration de dizaines de panaméennes.
Historiquement, cette activité uruguayenne à Panama n’a rien de surprenant. Ce petit pays coincé entre les géants argentin et brésilien a longtemps été décrit comme la Suisse de l’Amérique du Sud. Non seulement pour les liens assez étroits qu’entretiennent les deux nations, mais également grâce à l’adoption, dans les années 1950, de lois bancaires inspirées du système helvétique. Résultat: aujourd’hui encore, l’Uruguay constitue un lieu d’exil extrêmement favorable pour les capitaux, avec des taxes faibles et un système bancaire développé.
C’est sans surprise, dès lors, que l’on retrouve, en 2005, Miguel Angel Volonterio, 76 ans à l’époque, comme trésorier au sein de la Chambre de commerce helvético-uruguayenne de Montevideo. Outre une année passée à la tête de l’Association uruguayenne de football en 1986, Volonterio est également un ancien directeur général et président d’une filiale de la Société Fiduciaire Suisse établie depuis 1951 à Montevideo.
Administrateurs au 15 mai 1987
Le vice-président actuel de cette filiale est également administrateur de Tradeunion: Pedro Domingo Vannelli. Quant au troisième administrateur de notre mystérieuse offshore, Juan Pablo Castello, outre qu’il a écumé les conseils d’administration de 110 panaméennes en majorité avec Vannelli ou Volonterio, il se fait très discret.
Le 15 mai 1987, nos trois Uruguayens se réunissent pour un conseil d’administration de Tradeunion à Montevideo. Ce jour-là, Arnoud de Pret et André de Spoelberch sont nommés administrateurs. Ils s’ajoutent ainsi à Volonterio, Castello et Vannelli, qui conservent leurs fonctions initiales. Depuis, Tradeunion n’a plus jamais produit le moindre acte officiel. Mais elle demeure en vie, tel que l’atteste le Registre des sociétés panaméen.
Contacté par Marianne, Arnoud de Pret déclare d’abord qu’il s’agit «d’une société du groupe InBev qui a été liquidée depuis longtemps». Nous l’informons que le registre affirme le contraire. «Elle est peut-être en vie, mais elle est dormante et n’a plus aucun actif à ma connaissance, répond-il. Vingt-cinq ans après, je ne pourrais pas vous indiquer à quoi elle a servi, mais c’était sans objectif fiscal.» Suite à ce coup de fil, nous avons contacté InBev, leur demandant de vérifier si Tradeunion apparaissait bien dans les rapports consolidés de l’époque. Par voie électronique, la porte-parole Karen Couck nous écrit qu’«après consultation de nos bases de données, nous sommes en mesure d’affirmer que nous n’avons à ce jour aucune filiale au Panama. La société à laquelle vous faites référence était peut-être une filiale au temps des brasseries d’Artois qui n’a jamais été consolidée.»
Entretemps, Arnoud de Pret, nous assure-t-il, a consulté son entourage, dont André de Spoelberch, sans parvenir à percer le mystère: personne ne se souvient de cette prétendue filiale. Il aurait également tenté de retrouver la société fiduciaire y étant liée. Sans succès. Et aboutit à la même conclusion que chez InBev: cette offshore n’a pas été consolidée à l’époque d’Interbrew.
Karen Couck complète: «En 1986, la brasserie Artois a conclu un accord fiscal avec les autorités belges qui a mené à une révision des structures d’entreprises historiques ainsi que des processus financiers. Suite à ceci, un certain nombre de filiales avaient été analysées et/ou liquidées.» Ce grand nettoyage aurait d’ailleurs été fait à l’époque où Arnoud de Pret était commissaire aux comptes d’Artois.
Mais lors d’un autre contact téléphonique, de Pret évoque davantage une filiale dénommée Tradeunion au... Luxembourg. «C’est un nom que je connais, une société qui avait un but d’investissement et de développement là-bas et que je sais avoir fait l’objet d’un “nettoyage” important, avec d’autres structures d’Artois, pour avoir un départ clair et transparent avant de créer Interbrew.»
Pourtant, Marianne a vérifié, aucune société nommée Tradeunion de près ou de loin n’a jamais été inscrite au Registre des sociétés luxembourgeois. Ce que nous confirmera AB InBev: «Dans nos bases de données ne figure aucune société au nom de Tradeunion.»
Dans ce trou de mémoire collectif, l’Uruguay et son trio d’administrateurs n’ont guère plus de pouvoir révélateur. «Jamais Artois ni Interbrew n’ont été actifs là-bas, affirme Arnoud de Pret. Je suis très ennuyé d’être assimilé à une société dont je ne comprends pas l’existence. Mais le fait qu’on ait mis mon vrai nom, cela sonne comme une garantie pour moi. Je ne peux pas imaginer qu’on l’ait utilisé dans l’objectif d’une quelconque fraude ou pour quelque chose qui n’avait pas un but commercial légitime.»
L’ennui, c’est bien qu’il n’y a ni logique, ni normalité apparente dans le destin à peine dévoilé de cette étrange structure naviguant par-delà les frontières. Pourquoi de Pret et de Spoelberch sont-ils montés, à une époque concomitante avec la fin de la fusion d’Artois et de Piedbœuf, dans une coquille qui n’entretenait jusque-là aucun lien évident avec leur brasserie, et qui n’a jamais été dissoute malgré leur présence? Les administrateurs uruguayens servaient-ils de prête-noms dans le cadre d’un montage financier d’Artois? Ou Tradeunion détient-elle une partie de la fortune des deux hommes? Autant de questions qui restent sans réponse.
Seule certitude: Arnoud de Pret nous a fait part de sa détermination à se débarrasser de cette encombrante offshore…
D.L. et Q.N.
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Le «Panamagate» ne fait que commencer... |
Anonymat, montages fiscaux plus ou moins légitimes, activités légales aussi: Marianne vous emmène à la rencontre de ces Belges qui ont ouvert une société offshore au Panama. Des profils sociologiques variés, pour des usages qui le sont tout autant...
Après l’OffshoreLeaks, voici le Panamagate. Des hommes d’affaires, de grosses fortunes, des patrons de PME, des banquiers, des aristocrates, un syndicaliste, un sponsor du Vlaams Belang, des artistes, un galeriste, des lobbyistes, un prof, une psychologue... Tous ont en commun d’être ou d’avoir été administrateurs d’une offshore panaméenne ces dernières années.
Précisons-le d’emblée: être administrateur ou actionnaire d’une société offshore, qu’elle soit au Panama ou ailleurs, est parfaitement légal... pour autant que les éventuels revenus générés par cette offshore soient dûment déclarés au fisc du territoire où la personne réside. Or justement, le Panama est bien connu pour «vendre de l’opacité» via ses produits phares: sociétés anonymes, fondations, prête-noms professionnels. Toute une industrie s’y active. Et il est clair que le commerce de cet anonymat clé sur porte n’intéresse pas que les grands timides. Aux yeux du fisc, la simple possession d’un compte bancaire à l’étranger – détenu par une offshore ou non –, s’il n’est pas mentionné par le contribuable dans sa déclaration, est un indice de fraude fiscale. Ce seul indice suffit pour permettre l’ouverture d’une enquête administrative et lever, si besoin, le secret bancaire belge, afin de vérifier par exemple si ces fonds étrangers ne sont pas rapatriés sur notre sol par des voies détournées.
D’où sort ce «Panamagate» que nous mettons aujourd’hui sur la place publique? D’une importante fuite de données, dont a bénéficié Marianne, concernant des sociétés offshore panaméennes.
L’équivalent de 30.000 pages de texte. Soit une pile de feuilles A4 de trois mètres de haut. Pendant plusieurs mois, deux journalistes de Marianne, avec l’appui d’un chercheur universitaire, ont décrypté ces données brutes pour en extraire des informations significatives, notamment des noms d’offshores détenues par des Belges. Ces informations ont ensuite été recoupées en utilisant deux sources principales: le Registre officiel des sociétés panaméen, qui contient des actes notariés reflétant l’historique administratif de chaque offshore (statuts, nominations des administrateurs, démissions, fusion, dissolution...), et bien sûr les personnes identifiées, pour solliciter auprès d’elles des explications sur la fonction de l’offshore qu’elles administrent.
160 noms belges identifiés
Au terme de ce travail de bénédictin, plus de 160 noms belges ont été identifiés. Mais ce n’est bien sûr que l’arbre qui cache la forêt. Car les personnes en quête d’un anonymat plus poussé s’abritent évidemment derrière des prête-noms. Et empilent les couches d’opacité en emboîtant les structures offshore à l’instar de poupées russes.
Reste que beaucoup ne prennent pas cette précaution. Il y a deux semaines, Marianne révélait l’existence d’un compte luxembourgeois ouvert à la banque ING, dont les bénéficiaires étaient les descendants de l’ancien Premier ministre Paul van Zeeland, camouflés derrière une panaméenne créée par leur illustre ancêtre. Suite à ces révélations, et bien que le compte ait été régularisé en 2010, Catherine van Zeeland, petite-fille de Paul et conseillère au cabinet de la vice-Première Joëlle Milquet, a dû faire un pas de côté. Son nom apparaît en effet dans le Registre, parmi les administrateurs de cette offshore. Si Paul van Zeeland avait pris soin, lui, d’utiliser des hommes de paille, ses enfants et petits-enfants n’avaient pas souscrit à l’«assurance prête-noms» que proposent en option les banques privées et les officines commercialisant des panaméennes. Une assurance qui représente un surcoût annuel d’environ 300 euros.
Dans ce numéro et les suivants, à mille lieues d’une quelconque chasse aux sorcières aux relents populistes, Marianne vous propose une immersion au Panama à la rencontre de ces Belges qui, pour des raisons diverses, y dirigent une société offshore. Un constat s’impose: la panaméenne s’est démocratisée. On la retrouve dans tous les milieux. Cette semaine, nous nous penchons sur celles gérées par trois actionnaires familiaux du groupe brassicole AB InBev, comptant parmi les plus grosses fortunes du royaume. Sur l’offshore oubliée du patron de la banque Degroof, qui a joué les prête-noms pour un myst rieux client dans les années 1980. Sur les deux mystérieuses panaméennes administrées par un duo de lobbyistes au service de l’industrie mondiale du transport routier. Mais aussi sur les offshores de trois patrons de PME, et d’une étrange famille de Saint-Trond hyperactive au Panama…
Leurs histoires particulières constituent autant de pièces d’un vaste puzzle qui dépeint ce que l’on pourrait appeler la «planète offshore», cet univers parallèle qui a fait irruption dans le débat public à la faveur du scandale international dit de l’OffshoreLeaks. Un monde opaque constitué d’avocats discrets, d’employés consciencieux, de banquiers pragmatiques, d’intermédiaires dévoués. Un écosystème qui aspire, pompe, digère et stocke, offshore, une grande partie des richesses produites par l’homme aujourd’hui sur la planète. Selon le Tax Justice Network, un réseau d’ONG, d’économistes et d’universitaires qui font campagne pour la transparence du système financier, les grandes fortunes de la planète cachaient jusqu’à 32.000 milliards de dollars offshore à la fin de l’année 2010.
Cette industrie a développé une machinerie complexe, peu régulée, bien rodée, capable de créer des «no man’s lands juridiques» en remixant les droits romain et anglo-saxon. Elle permet de réaliser un spectre d’opérations qui vont de la simple optimisation fiscale légale à la fraude complexe et au blanchiment de l’argent du crime.
Une industrie antidémocratique
Notre propos est là. Cette industrie des services financiers offshore poursuit des objectifs antagonistes à ceux d’une démo- cratie moderne, chargée de garantir la paix sociale, via notamment une certaine redistribution des richesses. En tentant la «part du diable» qui est en chacun de nous, en «poussant au crime», cette industrie favorise la rupture du contrat social. Mieux la comprendre est nécessaire pour bien la combattre. A l’heure où nos gouvernements peinent à boucler leurs budgets, ce travail journalistique de «pédagogie offshore» nous apparaît d’un intérêt public urgent.
D.L. et Q.N.
Qu’est-ce qu’une société offshore?
Dans les pages qui suivent, une offshore recouvre une société de droit panaméen qui n’a pas d’activités domestiques au Panama, mais uniquement des activités économiques ou de gestion de patrimoine en dehors du pays. Du fait du régime fiscal légal panaméen, cette société est exemptée d’impôt local sur ses bénéfices. La loi panaméenne de 1927 sur les sociétés garantit par ailleurs l’anonymat aux actionnaires qui peuvent se cacher, d’une part, derrière des titres au porteur, d’autre part derrière des prête-noms les représentant au conseil d’administration. Très souvent, pour compliquer le travail du fisc et de la justice, les sociétés offshore situées dans un paradis fiscal détiennent leurs comptes bancaires dans un autre paradis fiscal, où le secret bancaire est bien sûr coulé dans la loi.
samedi 20 avril 2013
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L’offshore secrète des van Zeeland à Panama |
L’ex-Premier ministre Paul van Zeeland a été actionnaire d’une société offshore créée en 1946 au Panama. Sa petite-fille Catherine, membre du cabinet de Joëlle Milquet, est administratrice de cette coquille depuis 2005. Elle affirme n’en avoir tiré aucun profit. Un compte chez ING au Luxembourg a été régularisé en 2010, mais l’offshore est toujours en vie aujourd’hui...
Marianne Belgique, 13 avril 2013 (PDF)
lundi 18 mars 2013
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Comment le lobby du tabac enfume Bruxelles |
Une centaine de lobbyistes au moins s’activent dans la capitale de l’Europe pour défendre les intérêts de l’industrie du tabac. Objectif: accaparer un maximum de «temps de cerveau disponible» des législateurs européens pour leur servir des arguments «créatifs» qui convoquent notamment les Roms, la mafia ou encore... les OGM chinois.
Marianne Belgique, 9 mars 2013 (PDF)
dimanche 17 mars 2013
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D’Onofrio, la société écran, Benfica et les deux Bissau-Guinéens |
Via la société écran Robi Plus, l’ancien vice-président du Standard de Liège aurait récemment misé 500.000 euros sur deux jeunes talents africains évoluant à Benfica. Une nouvelle forme de spéculation qui n’est pas sans risques.
Ils ont 19 ans et sont originaires d’un des pays les plus pauvres au monde: la Guinée-Bissau. Luciano Teixeira (milieu) et João Mário Fernandes (avant-centre) évoluent actuellement dans le noyau B de Benfica, club de première division portugaise. En décembre, leurs «droits économiques» ont été vendus par le club lusitanien pour 500.000 euros à Robi Plus Limited, une boite aux lettres londonienne administrée par Maurizio Delmenico, bras droit et conseiller financier de Luciano D’Onofrio (cliquer sur le document pour l’agrandir).
Le propriétaire des droits économiques d’un joueur – un club dans 99% des cas – touche le montant du transfert lorsque ce joueur est revendu à un autre club. Il perçoit également les éventuels droits d’image (publicité) ou de merchandising (vente de maillots) liés à son poulain. Dès lors, pour se financer en temps de crise, les clubs du sud de l’Europe sont de plus en plus souvent tentés de revendre tout ou partie des droits économiques de certains de leurs joueurs. Un tiers des droits du Diable rouge Steven Defour, qui évolue au FC Porto, ont ainsi été vendus par le club en décembre 2011 pour 2,65 millions d’euros à Doyen Sports, un fonds spéculatif enregistré dans le paradis fiscal de Malte...
Ces investisseurs spéculent sur la valeur future de leurs poulains, espérant toucher une plus-value lorsque le joueur sera revendu à un autre club. La FIFA, qui fixe les règles du foot mondial, est perplexe. Doit-elle modifier les règles permettant aux clubs de vendre ces droits? Cette pratique est en tout cas bannie en Premier League anglaise et en Ligue 1 française. Mais elle est autorisée dans la plupart des championnats nationaux pour autant que les investisseurs n’influencent pas les transferts...
Deals opaques
Or le risque est réel, estime Gregor Reiter, président de l’Association allemande des agents de joueurs (DFVV), interrogé par l’agence Bloomberg. La plupart des deals sont opaques. Des investisseurs pourraient chercher à transférer leurs jeunes poulains contre leur gré. Et les footballeurs d’Afrique et d’Amérique du Sud sont particulièrement vulnérables à la pression, estime Reiter.
Au Portugal, on ne s’embarrasse pas de telles considérations. Là-bas, Luciano D’Onofrio à ses entrées dans tous les grands clubs. Et Robi Plus a déjà mis la main, en août 2011, sur 10% des droits économiques de Steven Defour et de l’international Espoir français Eliaquim Mangala. Deux joueurs transférés par... D’Onofrio himself du Standard au FC Porto. Les droits cédés à Robi Plus faisant office de commission.
En juin 2011, D’Onofrio et Delmenico ont été inculpés par le juge liégeois Philippe Richard pour faux, usage de faux et blanchiment d’argent, dans le cadre du sauvetage financier du Standard à la fin des années nonante. Ils risquent jusqu’à cinq ans de prison. D’où leur discrétion et leur recours systématique à des sociétés écrans dont les titres sont anonymes. L’an dernier, via un montage passant par Londres, Luxembourg et Chypre, D’Onofrio aurait acheté l’une des plus belles villas de Saint-Tropez avant de la revendre à son ami Bernard Tapie.
Contactés par Marianne, Luciano D’Onofrio et Maurizio Delmenico n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
David Leloup
Article publié dans le premier numéro de Marianne édition belge (9 mars 2013)

samedi 9 février 2013
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La face cachée du business de Franco Dragone |
Franco Dragone, l’enfant prodigue de La Louvière, est suspecté par la justice montoise d’«infractions fiscales internationales graves et organisées» et de «blanchiment d’argent». Des îles Vierges britanniques au Luxembourg, en passant par la Suisse, la Hongrie et Madère, notre enquête exclusive braque les projecteurs sur la face cachée de son lucratif business: une constellation de sociétés offshore situées dans des paradis fiscaux, qui récoltent les gigantesques profits de ses méga-shows joués à Las Vegas et Macao. Cela à mille lieues de la Belgique, où les spectacles sont pourtant imaginés, conçus, répétés. Et où les sociétés du groupe enregistrent des pertes. Année après année.
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vendredi 23 novembre 2012
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Comment GSK s’est taillé une loi fiscale à 405 millions d’euros |
C’est l’histoire d’une loi votée en 2007. Une loi qui a permis à GSK Biologicals d’éviter de payer 405 millions d’euros d’impôts, ces quatre dernières années, sur les revenus générés par ses brevets. Une loi voulue par la firme pharma, qui a orchestré une campagne de lobbying pour l’obtenir: réunions discrètes avec le top du gouvernement hors syndicats, étude confidentielle mettant la Belgique en concurrence avec six autres pays, menaces de délocalisation... Rédigée par un grand cabinet d’avocats payé notamment par GSK, la loi a été votée à la Chambre sans aucun débat de fond, noyée dans une loi-programme de 42 pages. Enquête sur cette «loi GSK» qui profite essentiellement au géant des vaccins.
«C’est une plateforme qui fonctionne de manière tout à fait informelle. Il n’existe aucune base légale, aucune description officielle, aucun budget. Il s’agit d’un lieu de contact entre le gouvernement et le secteur pharma.» C’est ainsi qu’un cadre de Pharma.be, la fédération pharmaceutique belge, décrit la «Plateforme pharma R&D» née en novembre 2005 sous le gouvernement violet de Guy Verhofstadt. Un espace de rencontre si discret que Pharma.be ne possède quasi aucun document à son sujet.
Très vite, la plateforme devient un lieu stratégique de tout premier plan pour l’industrie pharmaceutique. Qui y bénéficie d’un accès privilégié aux très hautes sphères politiques et administratives: «Le Premier ministre, les vice-Premiers, les ministres des Affaires sociales, économiques, du Budget, de la Politique scientifique, mais aussi le top de l’INAMI et de l’Agence des médicaments», poursuit notre lobbyiste, qui préfère rester anonyme.
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Un avocat du bureau Linklaters: «C’est clair, on n’a pas été payés par le cabinet Reynders...» «Linklaters était vraiment à la base de la loi. Nous avons agi pour certaines sociétés en facilitant le dialogue avec le cabinet Reynders. Il n’est pas anormal que certaines lois soient rédigées avec l’assistance de bureaux d’avocats. Le cabinet est toujours très content quand on vient avec des propositions très concrètes. Nous avons été impliqués dans la rédaction de la loi, mais aussi d’autres textes comme la “foire aux questions” disponible sur le site du SPF Finances. Après que la loi soit entrée en vigueur, nous avons continué à amener des idées pour l’améliorer. Nous avons été considérés comme un interlocuteur valable par le cabinet car nous représentions les intérêts du secteur pharma, pas ceux d’une ou deux sociétés. Mais c’est clair : on n’a pas été payés par le cabinet Reynders pour rédiger cette loi… D’autres bureaux d’avocats qui voulaient faire changer les choses ont aussi participé aux discussions, ainsi que l’AmCham, la chambre de commerce américaine. Un des gros avantages de cette loi, c’est qu’elle s’applique en cumul des autres avantages fiscaux. C’est un atout énorme. Avec les intérêts notionnels et autres mesures, le taux réel de taxation oscille entre 6,8 et 0%. Je crois que cette loi a permis d’éviter que des sociétés présentes en Belgique ne se délocalisent. Par contre, elle ne va pas assez loin pour attirer de nouvelles firmes sur le sol belge. Quand nous avons conçu la loi, nous n’étions pas sûrs de l’impact qu’elle aurait sur le budget. Si elle a trop de succès, le gouvernement devra rectifier le tir.» Propos recueillis par D.Lp |
Une enquête publiée dans Le Vif/L'Express du 23 novembre 2012, à lire intégralement en PDF.
