Un administrateur de De Lijn et lobbyiste du transport routier s’est retrouvé, entre 2007 et 2010, président du conseil d’administration de deux offshores avec un collègue suisse. Les deux hommes tombent des nues et hurlent au complot.
Paul Laeremans et Martin Marmy. Un Belge et un Suisse. Deux noms qui ne vous diront sans doute rien. Pourtant, ils figurent parmi les personnages-clés de la très puissante Union internationale des transports routiers (IRU), un discret lobby chargé de défendre les intérêts des exploitants d’autobus, d’autocars, de taxis et de camions, «dans le but d’assurer la croissance économique et la prospérité via la mobilité durable des personnes et des biens». Partout dans le monde.
L’IRU fut créée en 1948 pour favoriser la reconstruction de l’Europe en appliquant une stratégie «de facilitation du transport routier» développée par les Nations Unies. Avec 170 associations professionnelles membres, l’IRU est devenue un mastodonte qui s’étend aujourd’hui dans 73 pays et possède, outre son siège à Genève, des délégations permanentes à Bruxelles, Moscou et Istanbul. Parmi ses membres associés, on retrouve tous ceux qui prospèrent grâce au macadam: Volvo, Scania, Michelin, Iveco, Eurolines, UPS, Continental… Le tout forme ce qu’on pourrait appeler le lobby du libéralisme routier global.
Son plus grand fait d’armes? La mise en place du système «TIR» (transport international routier), un régime fiscal douanier qui permet à un camion de traverser plusieurs pays en gardant sa cargaison sous scellés: le véhicule n’est contrôlé par les douanes qu’au départ et à l’arrivée, pas en chemin. C’est l’IRU qui gère ce système sous mandat des Nations Unies. Un dispositif qui représente un milliard de dollars de garantie bancaire chaque jour... En cas de fraude, si le transporteur TIR ne peut payer (s’il est en faillite, par exemple), c’est l’IRU qui règle l’addition, l’organisation étant elle-même assurée auprès de compagnies privées.
Un «fanatique» du transport routier
Voilà pour le contexte. Et c’est un Belge – Paul Laeremans, donc – qui a présidé cette gigantesque organisation de 2002 à fin 2007. S’il y a bien une personne qui l’a marqué durant sa présidence, c’est le secrétaire-général Martin Marmy, lequel quittera bientôt son poste après «20 ans d’un règne sans partage», selon la presse spécialisée. Laeremans décrit Marmy, avec qui il a tissé des liens d’amitié, comme un «fanatique du transport routier» qui, grâce à ses «accents visionnaires», a «très vite senti venir la globalisation» et est parvenu à «mondialiser l’IRU».
Depuis qu’il a quitté la présidence, Laeremans est resté membre du comité exécutif de l’IRU. Il est aussi président du conseil d’administration de Tir Service, Viatrans et Viainvest, trois sociétés genevoises dans le giron de l’IRU pour lesquelles il a le pouvoir de signature avec Marmy. A l’échelon belge, Laeremans est administrateur délégué de la Fédération belge des exploitants d’autocars et d’autobus (FBAA) et administrateur au sein de la société de transport public De Lijn. Il est également directeur du Fonds social pour les ouvriers des entreprises d’autobus, une organisation paritaire où il représente le ban patronal.
Laeremans et Marmy ne partagent visiblement pas qu’un vif intérêt pour la défense du transport routier. Selon des documents officiels de l’Etat du Panama, les deux hommes ont été administrateurs de deux offshores entre 2007 et 2010. Les noms de ces coquilles sont, comme à l’habituée, relativement saugrenus: Nuckol Enterprises et Gusher Securities. Les deux sociétés jumelles ont été créées au lendemain du jour de l’an 2007, mais les noms de Laeremans et Marmy n’apparaissent au conseil d’administration que le 6 juillet 2007. Le premier comme président, le second comme vice-président. Un avocat panaméen, Paul E. Silva, complète le board, la loi panaméenne imposant trois administrateurs.
Détail surprenant: l’adresse de Laeremans et Marmy mentionnée sur les documents est celle de la banque Arbinter-Omnivalor à Genève. Il s’agissait à l’époque d’une filiale spécialisée en gestion de fortune de la banque privée Edmond de Rothschild. En décembre 2009, Gusher Securities est dissoute. Nuckol Enterprises suit, trois mois plus tard.
E-mail anonyme et plainte
Joints par Marianne, les deux protagonistes le crient haut et fort: ils ne connaissent pas ces sociétés. Ont-ils déjà travaillé avec Arbinter-Omnivalor ou la banque Rothschild dans le cadre de l’IRU? «Jamais», tranche Laeremans. Avant même de pouvoir formuler cette question, Martin Marmy nous coupe: «Je sais très bien pourquoi vous appelez. C’est lié à cette histoire de diffamation. Un email anonyme a circulé avant notre assemblée générale d’avril 2013. C’était à propos de moi-même, de M. Laeremans et d’autres personnes éminentes travaillant pour l’IRU. Je ne peux pas vous dire grand-chose sur le contenu, car nous avons déposé plainte. Vous savez, je suis en fin de carrière. Il y a peut-être des gens qui ont souffert de moi ou de ma manière de faire.»
Cette affaire interne, dont Marianne ignore tout, serait liée au licenciement de trois cadres d’une société satellite de l’IRU en janvier dernier, selon Laeremans. Elle n’a sans doute pas grand-chose à voir avec les deux panaméennes qui nous préoccupent. Quelles sont, dès lors, les autres hypothèses développées par Marmy et Laeremans pour expliquer la présence de leurs noms dans Gusher et Nuckol? Marmy reconnaît bien avoir un avocat à New York pour «des affaires pas du tout financières» et qui possède une étude à Panama. «Il est possible qu’il ait pris ma signature», insistant, complètement hors contexte, sur les «56.000 apparitions de son nom sur Internet».
Paul Laeremans évoque aussi l’hypothèse d’une utilisation abusive de son passeport – une copie de celui-ci est nécessaire pour entrer au CA des deux panaméennes. «Durant mes années de présidence, j’ai participé à de nombreuses ouvertures et fermetures de comptes, dans de nombreux pays où nous travaillons. Le Panama n’en fait pas partie. J’ai signé des centaines et des centaines de documents, donné plusieurs fois des copies de mon passeport. Des personnes malintentionnées ont pu tomber sur celles-ci...»
Scénario «abracadabrantesque»
En bout de course, Laeremans ajoute avoir également signé, lors de sa présidence, des papiers relatifs à l’ouverture d’un compte pour l’IRU à l’Union Bancaire Privée (UBP). «Mais ce compte a ensuite été fermé après mon départ de la présidence.» Et Laeremans d’avancer une énième hypothèse qu’il ne peut davantage étayer: «On m’a dit, à la comptabilité, que les banques, notamment suisses, font des opérations de rétrocession. Il ne serait pas impossible que les avoirs confiés à l’UBP aient été placés dans d’autres banques.» Un scénario complètement «abracadabrantesque», estime un banquier interrogé par Marianne…
Inlassablement, Laeremans et Marmy, avec lesquels nous avons longuement discuté, taillent leur route: ils sont convaincus que quelqu’un s’est servi de leurs noms. Mais si c’était pour leur nuire, pourquoi ces personnes supposées malveillantes auraient-elles dissous les deux offshores sans avoir même révélé publiquement leur existence? Ici aussi, l’explication ne tient pas la route.
La courte et très mystérieuse existence de Gusher et Nuckol pourrait-elle être éclaircie par une demande d’explications à la banque Edmond de Rothschild, qui a absorbé Arbinter-Omnivalor en 2009? Après tout, c’est bien l’adresse de cette dernière, aux abords du lac Léman, qui figure à côté des noms des deux hommes. Réponse de Laeremans: «Je ne banalise pas cette histoire, mais je ne compte pas contacter la banque Rothschild. Me donneraitelle ces informations? J’en doute. Je ne veux pas le savoir, de toute manière, j’ai trop de choses à faire.»
Alors, usage abusif des deux noms? Investissements privés réalisés par les deux lobbyistes? Placements risqués pour le compte de l’IRU? Ou s’agit-il de fonds de l’IRU «détournés» via le Panama? Voire de caisses noires mises en place pour s’acheter certaines faveurs politiques? A moins que les deux coquilles ne soient les réceptacles de «commissions» versées par des membres de l’IRU à ses dirigeants, afin que l’organisation adopte certaines priorités plutôt que d’autres? Pour l’heure, en tout cas, le mystère de Gusher et Nuckol reste entier…
D.L. et Q.N.
samedi 11 mai 2013
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Gusher et Nuckol sont sur un camion… |
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Plus de 160 Belges identifiés dans des offshores au Panama |
Marianne a bénéficié d’une importante fuite de données provenant du Panama. Notre enquête permet de lever un coin du voile sur le fonctionnement opaque de ce paradis fiscal d’Amérique centrale, qui séduit des contribuables du monde entier. Dont de nombreux Belges en quête d’anonymat. Nous en avons identifié plus de 160. Après OffshoreLeaks, voici le Panamagate.
Par David Leloup et Quentin Noirfalisse
Marianne Belgique, 4 mai 2013 (PDF)
EPISODE 1
Le Panamagate ne fait que commencer...
Anonymat, montages fiscaux plus ou moins légitimes, activités légales aussi: Marianne vous emmène à la rencontre de ces Belges qui ont ouvert une société offshore au Panama. Des profils sociologiques variés, pour des usages qui le sont tout autant...
Vendre de la bière provoquerait des trous de mémoire
Trois figures de l’actionnariat familial d’AB InBev apparaissent comme administrateurs d’offshores panaméennes. Des mandats qui ne leur rappellent pas grand-chose, voire rien du tout. Seule certitude: ce ne sont pas des filiales du groupe brassicole.
Gusher et Nuckol sont sur un camion…
Un administrateur de De Lijn et lobbyiste du transport routier s’est retrouvé, entre 2007 et 2010, président du conseil d’administration de deux offshores avec un collègue suisse. Les deux hommes tombent des nues et hurlent au complot.
Deux banquiers belges égarés à Panama
Le patron de la banque Degroof et l’ex-numéro un de BNP Paribas Fortis à Pékin apparaissent comme prête-noms dans une offshore qui aurait permis, dans les années 1980, de réduire la facture fiscale d’un client. Lequel? Mystère.
Trois patrons de PME en eaux troubles
Le patron d’une importante PME wallonne active dans le photovoltaïque apparaît dans une panaméenne. Cette offshore ne lui aurait jamais rapporté un centime, affirme-t-il. Tout en faisant l’éloge des paradis fiscaux.
Une affaire de famille
Cinq offshore créées en sept mois, de multiples fusions et remaniements: la famille F., de Saint-Trond, est hyperactive au Panama. Un bien étrange business familial.
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Vendre de la bière provoquerait des trous de mémoire |
Trois figures de l’actionnariat familial d’AB InBev apparaissent comme administrateurs d’offshores panaméennes. Des mandats qui ne leur rappellent pas grand-chose, voire rien du tout. Seule certitude: ce ne sont pas des filiales du groupe brassicole.
«Je suis au moins aussi intrigué que vous par cette société et je vais continuer mes recherches, monsieur. C’est dans mon intérêt que tout cela soit éclairci, vis-à-vis de toutes les responsabilités que j’exerce.» L’homme qui s’exprime ainsi à l’autre bout du fil, le comte Arnoud de Pret Roose de Calesberg, est méconnu du grand public. Il n’en est pas moins étroitement associé à l’un des plus beaux fleurons industriels d’origine belge: AB InBev, premier brasseur mondial, qui vient tout juste d’engloutir le Mexicain Grupo Modelo, producteur de la Corona.
En effet, grâce au mariage du grandpère d’Arnoud de Pret avec Geneviève de Spoelberch, cette famille de la noblesse versée depuis quatre siècles dans le monde des affaires s’est intégrée dans l’actionnariat familial de la brasserie Artois, fusionnée en 1987 avec Piedbœuf pour devenir le géant Interbrew.
De 1990 à 2011, Arnoud de Pret, ingénieur commercial de formation, a été l’un des piliers du conseil d’administration de l’ogre brassicole, où il a représenté les actionnaires familiaux belges d’AB InBev. Arnoud de Pret conserve par ailleurs de multiples mandats d’administrateur au sein des boards de Delhaize Group, d’Umicore, de l’Union chimique belge, de Sibelco (multinationale active dans l’extraction de minerais), d’Intégrale (les assurances pension) ou encore de Lesaffre & Cie, leader mondial dans le domaine de la levure. A cela s’ajoute un autre poste, prestigieux, au sein du conseil de surveillance d’Euronext.
Une offshore nommée «syndicat»
Toutefois, s’il y a bien une casquette dont Arnoud de Pret semble vouloir se débarrasser aujourd’hui, c’est celle d’administrateur dans une société offshore nappée de mystère, la Tradeunion S.A. Enregistrée à Panama, elle possède également au sein de son conseil d’administration le grand cousin d’Arnoud de Pret, André de Spoelberch, 87 ans, ancien vice-président d’Artois, qui fut également l’administrateur-délégué d’Interbrew les tout premiers mois après la fusion.
Mais d’où sort donc cette intrigante coquille au nom bizarre pour deux grands patrons – en anglais, trade union signifie… syndicat ! – et à l’objet social si vague qu’il ne nous apprend rien sur ses activités? Flashback. Le 18 février 1982, Tradeunion est créée à Panama par le cabinet d’avocats Icaza, Gonzales-Ruiz & Aleman. Deux mois plus tard, trois administrateurs uruguayens montent à bord: Miguel Angel Volonterio, Juan Pablo Castello et Pedro Domingo Vannelli. Ils endossent respectivement les rôles de président, secrétaire et trésorier. Peu d’informations existent sur eux. Depuis les années soixante, tous trois se sont installés dans les conseils d’administration de dizaines de panaméennes.
Historiquement, cette activité uruguayenne à Panama n’a rien de surprenant. Ce petit pays coincé entre les géants argentin et brésilien a longtemps été décrit comme la Suisse de l’Amérique du Sud. Non seulement pour les liens assez étroits qu’entretiennent les deux nations, mais également grâce à l’adoption, dans les années 1950, de lois bancaires inspirées du système helvétique. Résultat: aujourd’hui encore, l’Uruguay constitue un lieu d’exil extrêmement favorable pour les capitaux, avec des taxes faibles et un système bancaire développé.
C’est sans surprise, dès lors, que l’on retrouve, en 2005, Miguel Angel Volonterio, 76 ans à l’époque, comme trésorier au sein de la Chambre de commerce helvético-uruguayenne de Montevideo. Outre une année passée à la tête de l’Association uruguayenne de football en 1986, Volonterio est également un ancien directeur général et président d’une filiale de la Société Fiduciaire Suisse établie depuis 1951 à Montevideo.
Administrateurs au 15 mai 1987
Le vice-président actuel de cette filiale est également administrateur de Tradeunion: Pedro Domingo Vannelli. Quant au troisième administrateur de notre mystérieuse offshore, Juan Pablo Castello, outre qu’il a écumé les conseils d’administration de 110 panaméennes en majorité avec Vannelli ou Volonterio, il se fait très discret.
Le 15 mai 1987, nos trois Uruguayens se réunissent pour un conseil d’administration de Tradeunion à Montevideo. Ce jour-là, Arnoud de Pret et André de Spoelberch sont nommés administrateurs. Ils s’ajoutent ainsi à Volonterio, Castello et Vannelli, qui conservent leurs fonctions initiales. Depuis, Tradeunion n’a plus jamais produit le moindre acte officiel. Mais elle demeure en vie, tel que l’atteste le Registre des sociétés panaméen.
Contacté par Marianne, Arnoud de Pret déclare d’abord qu’il s’agit «d’une société du groupe InBev qui a été liquidée depuis longtemps». Nous l’informons que le registre affirme le contraire. «Elle est peut-être en vie, mais elle est dormante et n’a plus aucun actif à ma connaissance, répond-il. Vingt-cinq ans après, je ne pourrais pas vous indiquer à quoi elle a servi, mais c’était sans objectif fiscal.» Suite à ce coup de fil, nous avons contacté InBev, leur demandant de vérifier si Tradeunion apparaissait bien dans les rapports consolidés de l’époque. Par voie électronique, la porte-parole Karen Couck nous écrit qu’«après consultation de nos bases de données, nous sommes en mesure d’affirmer que nous n’avons à ce jour aucune filiale au Panama. La société à laquelle vous faites référence était peut-être une filiale au temps des brasseries d’Artois qui n’a jamais été consolidée.»
Entretemps, Arnoud de Pret, nous assure-t-il, a consulté son entourage, dont André de Spoelberch, sans parvenir à percer le mystère: personne ne se souvient de cette prétendue filiale. Il aurait également tenté de retrouver la société fiduciaire y étant liée. Sans succès. Et aboutit à la même conclusion que chez InBev: cette offshore n’a pas été consolidée à l’époque d’Interbrew.
Karen Couck complète: «En 1986, la brasserie Artois a conclu un accord fiscal avec les autorités belges qui a mené à une révision des structures d’entreprises historiques ainsi que des processus financiers. Suite à ceci, un certain nombre de filiales avaient été analysées et/ou liquidées.» Ce grand nettoyage aurait d’ailleurs été fait à l’époque où Arnoud de Pret était commissaire aux comptes d’Artois.
Mais lors d’un autre contact téléphonique, de Pret évoque davantage une filiale dénommée Tradeunion au... Luxembourg. «C’est un nom que je connais, une société qui avait un but d’investissement et de développement là-bas et que je sais avoir fait l’objet d’un “nettoyage” important, avec d’autres structures d’Artois, pour avoir un départ clair et transparent avant de créer Interbrew.»
Pourtant, Marianne a vérifié, aucune société nommée Tradeunion de près ou de loin n’a jamais été inscrite au Registre des sociétés luxembourgeois. Ce que nous confirmera AB InBev: «Dans nos bases de données ne figure aucune société au nom de Tradeunion.»
Dans ce trou de mémoire collectif, l’Uruguay et son trio d’administrateurs n’ont guère plus de pouvoir révélateur. «Jamais Artois ni Interbrew n’ont été actifs là-bas, affirme Arnoud de Pret. Je suis très ennuyé d’être assimilé à une société dont je ne comprends pas l’existence. Mais le fait qu’on ait mis mon vrai nom, cela sonne comme une garantie pour moi. Je ne peux pas imaginer qu’on l’ait utilisé dans l’objectif d’une quelconque fraude ou pour quelque chose qui n’avait pas un but commercial légitime.»
L’ennui, c’est bien qu’il n’y a ni logique, ni normalité apparente dans le destin à peine dévoilé de cette étrange structure naviguant par-delà les frontières. Pourquoi de Pret et de Spoelberch sont-ils montés, à une époque concomitante avec la fin de la fusion d’Artois et de Piedbœuf, dans une coquille qui n’entretenait jusque-là aucun lien évident avec leur brasserie, et qui n’a jamais été dissoute malgré leur présence? Les administrateurs uruguayens servaient-ils de prête-noms dans le cadre d’un montage financier d’Artois? Ou Tradeunion détient-elle une partie de la fortune des deux hommes? Autant de questions qui restent sans réponse.
Seule certitude: Arnoud de Pret nous a fait part de sa détermination à se débarrasser de cette encombrante offshore…
D.L. et Q.N.
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Le «Panamagate» ne fait que commencer... |
Anonymat, montages fiscaux plus ou moins légitimes, activités légales aussi: Marianne vous emmène à la rencontre de ces Belges qui ont ouvert une société offshore au Panama. Des profils sociologiques variés, pour des usages qui le sont tout autant...
Après l’OffshoreLeaks, voici le Panamagate. Des hommes d’affaires, de grosses fortunes, des patrons de PME, des banquiers, des aristocrates, un syndicaliste, un sponsor du Vlaams Belang, des artistes, un galeriste, des lobbyistes, un prof, une psychologue... Tous ont en commun d’être ou d’avoir été administrateurs d’une offshore panaméenne ces dernières années.
Précisons-le d’emblée: être administrateur ou actionnaire d’une société offshore, qu’elle soit au Panama ou ailleurs, est parfaitement légal... pour autant que les éventuels revenus générés par cette offshore soient dûment déclarés au fisc du territoire où la personne réside. Or justement, le Panama est bien connu pour «vendre de l’opacité» via ses produits phares: sociétés anonymes, fondations, prête-noms professionnels. Toute une industrie s’y active. Et il est clair que le commerce de cet anonymat clé sur porte n’intéresse pas que les grands timides. Aux yeux du fisc, la simple possession d’un compte bancaire à l’étranger – détenu par une offshore ou non –, s’il n’est pas mentionné par le contribuable dans sa déclaration, est un indice de fraude fiscale. Ce seul indice suffit pour permettre l’ouverture d’une enquête administrative et lever, si besoin, le secret bancaire belge, afin de vérifier par exemple si ces fonds étrangers ne sont pas rapatriés sur notre sol par des voies détournées.
D’où sort ce «Panamagate» que nous mettons aujourd’hui sur la place publique? D’une importante fuite de données, dont a bénéficié Marianne, concernant des sociétés offshore panaméennes.
L’équivalent de 30.000 pages de texte. Soit une pile de feuilles A4 de trois mètres de haut. Pendant plusieurs mois, deux journalistes de Marianne, avec l’appui d’un chercheur universitaire, ont décrypté ces données brutes pour en extraire des informations significatives, notamment des noms d’offshores détenues par des Belges. Ces informations ont ensuite été recoupées en utilisant deux sources principales: le Registre officiel des sociétés panaméen, qui contient des actes notariés reflétant l’historique administratif de chaque offshore (statuts, nominations des administrateurs, démissions, fusion, dissolution...), et bien sûr les personnes identifiées, pour solliciter auprès d’elles des explications sur la fonction de l’offshore qu’elles administrent.
160 noms belges identifiés
Au terme de ce travail de bénédictin, plus de 160 noms belges ont été identifiés. Mais ce n’est bien sûr que l’arbre qui cache la forêt. Car les personnes en quête d’un anonymat plus poussé s’abritent évidemment derrière des prête-noms. Et empilent les couches d’opacité en emboîtant les structures offshore à l’instar de poupées russes.
Reste que beaucoup ne prennent pas cette précaution. Il y a deux semaines, Marianne révélait l’existence d’un compte luxembourgeois ouvert à la banque ING, dont les bénéficiaires étaient les descendants de l’ancien Premier ministre Paul van Zeeland, camouflés derrière une panaméenne créée par leur illustre ancêtre. Suite à ces révélations, et bien que le compte ait été régularisé en 2010, Catherine van Zeeland, petite-fille de Paul et conseillère au cabinet de la vice-Première Joëlle Milquet, a dû faire un pas de côté. Son nom apparaît en effet dans le Registre, parmi les administrateurs de cette offshore. Si Paul van Zeeland avait pris soin, lui, d’utiliser des hommes de paille, ses enfants et petits-enfants n’avaient pas souscrit à l’«assurance prête-noms» que proposent en option les banques privées et les officines commercialisant des panaméennes. Une assurance qui représente un surcoût annuel d’environ 300 euros.
Dans ce numéro et les suivants, à mille lieues d’une quelconque chasse aux sorcières aux relents populistes, Marianne vous propose une immersion au Panama à la rencontre de ces Belges qui, pour des raisons diverses, y dirigent une société offshore. Un constat s’impose: la panaméenne s’est démocratisée. On la retrouve dans tous les milieux. Cette semaine, nous nous penchons sur celles gérées par trois actionnaires familiaux du groupe brassicole AB InBev, comptant parmi les plus grosses fortunes du royaume. Sur l’offshore oubliée du patron de la banque Degroof, qui a joué les prête-noms pour un myst rieux client dans les années 1980. Sur les deux mystérieuses panaméennes administrées par un duo de lobbyistes au service de l’industrie mondiale du transport routier. Mais aussi sur les offshores de trois patrons de PME, et d’une étrange famille de Saint-Trond hyperactive au Panama…
Leurs histoires particulières constituent autant de pièces d’un vaste puzzle qui dépeint ce que l’on pourrait appeler la «planète offshore», cet univers parallèle qui a fait irruption dans le débat public à la faveur du scandale international dit de l’OffshoreLeaks. Un monde opaque constitué d’avocats discrets, d’employés consciencieux, de banquiers pragmatiques, d’intermédiaires dévoués. Un écosystème qui aspire, pompe, digère et stocke, offshore, une grande partie des richesses produites par l’homme aujourd’hui sur la planète. Selon le Tax Justice Network, un réseau d’ONG, d’économistes et d’universitaires qui font campagne pour la transparence du système financier, les grandes fortunes de la planète cachaient jusqu’à 32.000 milliards de dollars offshore à la fin de l’année 2010.
Cette industrie a développé une machinerie complexe, peu régulée, bien rodée, capable de créer des «no man’s lands juridiques» en remixant les droits romain et anglo-saxon. Elle permet de réaliser un spectre d’opérations qui vont de la simple optimisation fiscale légale à la fraude complexe et au blanchiment de l’argent du crime.
Une industrie antidémocratique
Notre propos est là. Cette industrie des services financiers offshore poursuit des objectifs antagonistes à ceux d’une démo- cratie moderne, chargée de garantir la paix sociale, via notamment une certaine redistribution des richesses. En tentant la «part du diable» qui est en chacun de nous, en «poussant au crime», cette industrie favorise la rupture du contrat social. Mieux la comprendre est nécessaire pour bien la combattre. A l’heure où nos gouvernements peinent à boucler leurs budgets, ce travail journalistique de «pédagogie offshore» nous apparaît d’un intérêt public urgent.
D.L. et Q.N.
Qu’est-ce qu’une société offshore?
Dans les pages qui suivent, une offshore recouvre une société de droit panaméen qui n’a pas d’activités domestiques au Panama, mais uniquement des activités économiques ou de gestion de patrimoine en dehors du pays. Du fait du régime fiscal légal panaméen, cette société est exemptée d’impôt local sur ses bénéfices. La loi panaméenne de 1927 sur les sociétés garantit par ailleurs l’anonymat aux actionnaires qui peuvent se cacher, d’une part, derrière des titres au porteur, d’autre part derrière des prête-noms les représentant au conseil d’administration. Très souvent, pour compliquer le travail du fisc et de la justice, les sociétés offshore situées dans un paradis fiscal détiennent leurs comptes bancaires dans un autre paradis fiscal, où le secret bancaire est bien sûr coulé dans la loi.
samedi 20 avril 2013
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L’offshore secrète des van Zeeland à Panama |
L’ex-Premier ministre Paul van Zeeland a été actionnaire d’une société offshore créée en 1946 au Panama. Sa petite-fille Catherine, membre du cabinet de Joëlle Milquet, est administratrice de cette coquille depuis 2005. Elle affirme n’en avoir tiré aucun profit. Un compte chez ING au Luxembourg a été régularisé en 2010, mais l’offshore est toujours en vie aujourd’hui...
Marianne Belgique, 13 avril 2013 (PDF)
lundi 18 mars 2013
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Comment le lobby du tabac enfume Bruxelles |
Une centaine de lobbyistes au moins s’activent dans la capitale de l’Europe pour défendre les intérêts de l’industrie du tabac. Objectif: accaparer un maximum de «temps de cerveau disponible» des législateurs européens pour leur servir des arguments «créatifs» qui convoquent notamment les Roms, la mafia ou encore... les OGM chinois.
Marianne Belgique, 9 mars 2013 (PDF)
dimanche 17 mars 2013
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D’Onofrio, la société écran, Benfica et les deux Bissau-Guinéens |
Via la société écran Robi Plus, l’ancien vice-président du Standard de Liège aurait récemment misé 500.000 euros sur deux jeunes talents africains évoluant à Benfica. Une nouvelle forme de spéculation qui n’est pas sans risques.
Ils ont 19 ans et sont originaires d’un des pays les plus pauvres au monde: la Guinée-Bissau. Luciano Teixeira (milieu) et João Mário Fernandes (avant-centre) évoluent actuellement dans le noyau B de Benfica, club de première division portugaise. En décembre, leurs «droits économiques» ont été vendus par le club lusitanien pour 500.000 euros à Robi Plus Limited, une boite aux lettres londonienne administrée par Maurizio Delmenico, bras droit et conseiller financier de Luciano D’Onofrio (cliquer sur le document pour l’agrandir).
Le propriétaire des droits économiques d’un joueur – un club dans 99% des cas – touche le montant du transfert lorsque ce joueur est revendu à un autre club. Il perçoit également les éventuels droits d’image (publicité) ou de merchandising (vente de maillots) liés à son poulain. Dès lors, pour se financer en temps de crise, les clubs du sud de l’Europe sont de plus en plus souvent tentés de revendre tout ou partie des droits économiques de certains de leurs joueurs. Un tiers des droits du Diable rouge Steven Defour, qui évolue au FC Porto, ont ainsi été vendus par le club en décembre 2011 pour 2,65 millions d’euros à Doyen Sports, un fonds spéculatif enregistré dans le paradis fiscal de Malte...
Ces investisseurs spéculent sur la valeur future de leurs poulains, espérant toucher une plus-value lorsque le joueur sera revendu à un autre club. La FIFA, qui fixe les règles du foot mondial, est perplexe. Doit-elle modifier les règles permettant aux clubs de vendre ces droits? Cette pratique est en tout cas bannie en Premier League anglaise et en Ligue 1 française. Mais elle est autorisée dans la plupart des championnats nationaux pour autant que les investisseurs n’influencent pas les transferts...
Deals opaques
Or le risque est réel, estime Gregor Reiter, président de l’Association allemande des agents de joueurs (DFVV), interrogé par l’agence Bloomberg. La plupart des deals sont opaques. Des investisseurs pourraient chercher à transférer leurs jeunes poulains contre leur gré. Et les footballeurs d’Afrique et d’Amérique du Sud sont particulièrement vulnérables à la pression, estime Reiter.
Au Portugal, on ne s’embarrasse pas de telles considérations. Là-bas, Luciano D’Onofrio à ses entrées dans tous les grands clubs. Et Robi Plus a déjà mis la main, en août 2011, sur 10% des droits économiques de Steven Defour et de l’international Espoir français Eliaquim Mangala. Deux joueurs transférés par... D’Onofrio himself du Standard au FC Porto. Les droits cédés à Robi Plus faisant office de commission.
En juin 2011, D’Onofrio et Delmenico ont été inculpés par le juge liégeois Philippe Richard pour faux, usage de faux et blanchiment d’argent, dans le cadre du sauvetage financier du Standard à la fin des années nonante. Ils risquent jusqu’à cinq ans de prison. D’où leur discrétion et leur recours systématique à des sociétés écrans dont les titres sont anonymes. L’an dernier, via un montage passant par Londres, Luxembourg et Chypre, D’Onofrio aurait acheté l’une des plus belles villas de Saint-Tropez avant de la revendre à son ami Bernard Tapie.
Contactés par Marianne, Luciano D’Onofrio et Maurizio Delmenico n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
David Leloup
Article publié dans le premier numéro de Marianne édition belge (9 mars 2013)

samedi 9 février 2013
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La face cachée du business de Franco Dragone |
Franco Dragone, l’enfant prodigue de La Louvière, est suspecté par la justice montoise d’«infractions fiscales internationales graves et organisées» et de «blanchiment d’argent». Des îles Vierges britanniques au Luxembourg, en passant par la Suisse, la Hongrie et Madère, notre enquête exclusive braque les projecteurs sur la face cachée de son lucratif business: une constellation de sociétés offshore situées dans des paradis fiscaux, qui récoltent les gigantesques profits de ses méga-shows joués à Las Vegas et Macao. Cela à mille lieues de la Belgique, où les spectacles sont pourtant imaginés, conçus, répétés. Et où les sociétés du groupe enregistrent des pertes. Année après année.
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vendredi 23 novembre 2012
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Comment GSK s’est taillé une loi fiscale à 405 millions d’euros |
C’est l’histoire d’une loi votée en 2007. Une loi qui a permis à GSK Biologicals d’éviter de payer 405 millions d’euros d’impôts, ces quatre dernières années, sur les revenus générés par ses brevets. Une loi voulue par la firme pharma, qui a orchestré une campagne de lobbying pour l’obtenir: réunions discrètes avec le top du gouvernement hors syndicats, étude confidentielle mettant la Belgique en concurrence avec six autres pays, menaces de délocalisation... Rédigée par un grand cabinet d’avocats payé notamment par GSK, la loi a été votée à la Chambre sans aucun débat de fond, noyée dans une loi-programme de 42 pages. Enquête sur cette «loi GSK» qui profite essentiellement au géant des vaccins.
«C’est une plateforme qui fonctionne de manière tout à fait informelle. Il n’existe aucune base légale, aucune description officielle, aucun budget. Il s’agit d’un lieu de contact entre le gouvernement et le secteur pharma.» C’est ainsi qu’un cadre de Pharma.be, la fédération pharmaceutique belge, décrit la «Plateforme pharma R&D» née en novembre 2005 sous le gouvernement violet de Guy Verhofstadt. Un espace de rencontre si discret que Pharma.be ne possède quasi aucun document à son sujet.
Très vite, la plateforme devient un lieu stratégique de tout premier plan pour l’industrie pharmaceutique. Qui y bénéficie d’un accès privilégié aux très hautes sphères politiques et administratives: «Le Premier ministre, les vice-Premiers, les ministres des Affaires sociales, économiques, du Budget, de la Politique scientifique, mais aussi le top de l’INAMI et de l’Agence des médicaments», poursuit notre lobbyiste, qui préfère rester anonyme.
(...)
Un avocat du bureau Linklaters: «C’est clair, on n’a pas été payés par le cabinet Reynders...» «Linklaters était vraiment à la base de la loi. Nous avons agi pour certaines sociétés en facilitant le dialogue avec le cabinet Reynders. Il n’est pas anormal que certaines lois soient rédigées avec l’assistance de bureaux d’avocats. Le cabinet est toujours très content quand on vient avec des propositions très concrètes. Nous avons été impliqués dans la rédaction de la loi, mais aussi d’autres textes comme la “foire aux questions” disponible sur le site du SPF Finances. Après que la loi soit entrée en vigueur, nous avons continué à amener des idées pour l’améliorer. Nous avons été considérés comme un interlocuteur valable par le cabinet car nous représentions les intérêts du secteur pharma, pas ceux d’une ou deux sociétés. Mais c’est clair : on n’a pas été payés par le cabinet Reynders pour rédiger cette loi… D’autres bureaux d’avocats qui voulaient faire changer les choses ont aussi participé aux discussions, ainsi que l’AmCham, la chambre de commerce américaine. Un des gros avantages de cette loi, c’est qu’elle s’applique en cumul des autres avantages fiscaux. C’est un atout énorme. Avec les intérêts notionnels et autres mesures, le taux réel de taxation oscille entre 6,8 et 0%. Je crois que cette loi a permis d’éviter que des sociétés présentes en Belgique ne se délocalisent. Par contre, elle ne va pas assez loin pour attirer de nouvelles firmes sur le sol belge. Quand nous avons conçu la loi, nous n’étions pas sûrs de l’impact qu’elle aurait sur le budget. Si elle a trop de succès, le gouvernement devra rectifier le tir.» Propos recueillis par D.Lp |
Une enquête publiée dans Le Vif/L'Express du 23 novembre 2012, à lire intégralement en PDF.

jeudi 25 octobre 2012
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Le Standard au cœur d’une enquête monstre |
Episode 1 - Le Standardgate
La plus grande enquête jamais menée en Belgique sur le milieu du terrain
L’instruction ouverte en 2004 concernant des malversations financières présumées au Standard est bouclée depuis un an. Luciano D’Onofrio est accusé par la justice d’avoir blanchi 1,7 million d’euros en investissant dans le Standard, l’immobilier et l’horeca. Via des fausses factures, 2,2 millions d’euros auraient par ailleurs été détournés des caisses du club entre 1999 et 2003 pour rémunérer joueurs et intermédiaires.
Le Soir, 18 octobre 2012 - Lire le PDF
Episode 2 - Les années Delahaye (1997-2000) et Costantin (2000-2002)
Le Standard passait par Chypre et la Suisse pour ses transferts
La justice reproche à l’ancien directeur général du Standard, Pierre Delahaye, d’avoir signé des contrats suspects lors de trois transferts fin 1999: Ciobotariu, Aliaj et Bilic. Près d’un million d’euros seraient sortis des caisses du Standard pour rémunérer au noir Ciobotariu via Chypre, et des intermédiaires via la Suisse et le Wyoming. Son successeur l’aurait imité et commis un faux pour... sauver le Matricule 16 de la faillite.
Le Soir, 19 octobre 2012 - Lire le PDF
Episode 3 - L’ère Pierre François (2003-2012)
Des conventions bidon pour 760.000 euros
Pierre François aurait signé quatre contrats suspects ayant pour effet l’émission de factures qui seraient des faux en écriture. En 2003 et 2004, ces factures auraient permis de sortir quelque 763.500 euros de la comptabilité du club liégeois pour rémunérer trois joueurs au noir: Ivica Dragutinovic, Miljenko Mumlek et Sambegou Bangoura. Ils auraient bénéficié d’une partie de ces fonds, qui ont transité par la Suisse et que leur auraient remis des intermédiaires: un businessman serbe, un restaurateur liégeois et un agent de joueurs français.
Le Soir, 20 octobre 2012 - Lire le PDF
jeudi 18 octobre 2012
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Standardgate: Robert Waseige a reconnu avoir touché des primes occultes |
Robert Waseige a reconnu devant les enquêteurs liégeois avoir touché des primes occultes au Luxembourg lorsqu’il coachait le Sporting Clube de Portugal, en 1996. Le montant de ces primes pourrait atteindre 300.000 dollars, selon un contrat qui liait l'ex-sélectionneur national à une société du Liechtenstein pilotée par Luciano D’Onofrio. Bien que les faits soient prescrits, c’est un nouveau grand nom du football belge qui est éclaboussé par l'enquête-fleuve de la justice liégeoise ouverte en 2004 pour des malversations présumées au Standard de Liège.
Certes, tant sur le plan pénal que fiscal, les faits mis au jour par la justice liégeoise sont bel et bien prescrits pour l’ancien sélectionneur national Robert Waseige, aujourd’hui directeur sportif au RFC Liège. Mais après les inculpations de Michel Verschueren et de Michel Preud’homme pour «faux» et «usage de faux», en juin dernier par le parquet de Liège, voici qu’un autre monument du football belge est éclaboussé par le travail des enquêteurs principautaires.
Selon nos informations, Robert Waseige (73 ans) a reconnu devant les enquêteurs de la brigade financière de Liège avoir touché des compléments de salaire occultes sur un compte non déclaré au Luxembourg. L’ex-entraîneur des Diables rouges a dit ne pas se souvenir du montant exact qu’il a perçu, mais pense qu’il s’agit de «plus de quatre millions» de francs belges (environ 100.000 euros). «Je n’ai jamais été un homme d’argent», a-t-il ajouté.
L’affaire démarre en mai 1996. Waseige est alors en fin de contrat au Standard et sous l’impulsion de son agent, Luciano D’Onofrio, il s’envole pour de nouvelles aventures footballistiques au Sporting Clube de Portugal (souvent appelé «Sporting de Lisbonne», à tort).
150.000 $ en clair, 200.000 en black
Début juillet, il signe avec le club lusitanien pour un salaire officiel de 150.000 dollars par an. A cela s’ajoute une série d’avantages: forfait pour payer son logement lisboète, véhicule du club mis à disposition, billets d’avion pour rentrer voir ses proches en Belgique, et un bonus variable selon les résultats du club en championnat ou en coupe d’Europe.
Mais le nouvel entraîneur des Lions lisboètes touchera encore davantage «en noir», selon des documents que Le Soir a pu consulter. Une convention datée de mars 1995, établie entre Robert Waseige et International Agency for Marketing (IAM), une société offshore de Luciano D’Onofrio basée au Liechtenstein, stipule que le coach cède son «droit à l’image» à IAM. En échange de la cession de ce droit, Robert Waseige recevra des royalties s’élevant à 200.000 dollars annuels. Ces royalties seront versées sur un compte luxembourgeois, ouvert pour l’occasion par le Liégeois.
Monnayer son «droit à l’image», pour des stars du ballon rond comme Zinedine Zidane, Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi, qui batifolent dans des publicités diffusées dans le monde entier, cela peut se justifier sur le plan fiscal. Mais dans le cas de Robert Waseige, entraîneur discret et peu médiatique du Sporting Clube de Portugal, cela sent le montage fiscal abusif, estiment les enquêteurs liégeois. D’autant que les montants perçus ne sont pas anodins.
Le principal intéressé ne conteste pas cette vision des choses: il n’a jamais déclaré ces revenus complémentaires au fisc, ni portugais, ni belge. Luciano D’Onofrio, lui, rejette l’idée que le montage soit abusif.
En voiture au Luxembourg
Il faut dire qu’il en a profité lui aussi. Lors du transfert de Waseige à Lisbonne, une autre convention est signée. Mais cette fois entre IAM et le Sporting Clube de Portugal. Selon ce contrat, IAM cède à son tour le droit à l’image de Robert Waseige au club pour 300.000 dollars par an, payables en quatre tranches de 75.000 dollars sur un compte ouvert à la Corner Banca de Lugano, en Suisse. En deux temps trois mouvements, Luciano D’Onofrio, via IAM, aurait donc empoché 100.000 dollars de commission grâce à la très lucrative image de Robert Waseige (300.000 dollars reçus du club, moins 200.000 reversés à son poulain).
Mais l’expérience lisboète tournera vite court. A mi-mandat, en décembre 1996, les résultats des Lions sont calamiteux et Robert Waseige est contraint de démissionner. Il convient donc de diviser les sommes précitées par deux, puisque le contrat portait sur un an.
Reste une inconnue. La convention Waseige-IAM est datée de mars 1995. Or le coach a rejoint Lisbonne début juillet 1996. La convention aurait-elle déjà été activée au Standard lors de la saison 1995-1996? Si tel est le cas, Robert Waseige aurait touché 200.000 dollars cette saison-là et 100.000 dollars en 1996 à Lisbonne, soit 300.000 dollars au total.
Quoiqu’il en soit, après son retour en Belgique, le coach liégeois se rendra personnellement au Luxembourg, en voiture, pour clôturer son compte non déclaré.
Un million pour chaque fils
Son épouse Aline, qui l’accompagnait ce jour-là, a déclaré aux enquêteurs qu’il restait un peu plus de trois millions de francs sur le compte, qui ont été «répartis entre nos trois fils». Chacun des fils recevra en fait un million cash (25.000 euros), le solde revenant à leur mère: «Robert m’a donné le reste», a-t-elle déclaré lors de son audition. Robert Waseige était injoignable hier pour réagir à ces informations.
Deux autres joueurs, le gardien d’Anderlecht Filip De Wilde et l’attaquant de Charleroi Jean-Jacques Missé-Missé ont été transférés en même temps que Robert Waseige au Sporting Clube de Portugal par Luciano D’Onofrio. Ils ont également perçu des compléments de salaire occultes via le système du «droit à l’image» orchestré par leur agent. Pour eux aussi, les faits sont prescrits.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce que ces fonds occultes sont devenus – ont-ils été blanchis en Belgique? – n’a fait l’objet d’aucune investigation car ces mouvements financiers se situaient en-dehors du périmètre de l’enquête, focalisée essentiellement sur Luciano D’Onofrio et le Standard...
David Leloup
Le Soir, 18 octobre 2012
mercredi 22 août 2012
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H1N1: Comment GSK a profité du paradis fiscal belge |
En 2009 et 2010, la pandémie de grippe A/H1N1 a permis au groupe britannique GlaxoSmithKline (GSK) de vendre 300 millions de doses de son vaccin Pandemrix dans le monde entier. Soit un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros, dont un milliard est revenu sous forme de royalties à sa filiale belge, GSK Biologicals, basée à Rixensart (Brabant wallon).
Or, en raison de deux mesures fiscales belges controversées – la déduction sur les revenus de brevets et les intérêts notionnels –, ce pactole n’a au mieux été taxé qu’à 3%. Ce qui revient à dire que l’Etat Belge a «perdu» l’équivalent de 320 millions d’euros. Sur les seules ventes du Pandemrix, donc.
Sur l’ensemble de ses revenus imposables enregistrés entre 2008 et 2011, l'addition grimpe à 891,6 millions d’euros d’impôts non perçus par la Belgique. Deux mesures fiscales qui coûtent décidément cher au budget de l'Etat...
L’enquête du Vif/L’Express, publiée ce jeudi, a duré plusieurs mois. Nous avons épluché les comptes annuels de plusieurs filiales du groupe GSK, afin de retracer une partie des flux financiers liés aux ventes du Pandemrix.
Nous révélons également que deux employés belges de GSK, dont le directeur financier et administrateur de GSK Biologicals, Denis Dubru, apparaissent dans un montage fiscal utilisé par le groupe GSK au Luxembourg en vue de minimiser l'impôt au Royaume-Uni sur une partie des revenus du Pandemrix. Un montage jugé abusif par le fisc britannique et démantelé par celui-ci l’an dernier.
Enquête et infographie réalisées avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Communauté française
Le Vif/L'Express, 24 août 2012 - Lire le PDF
mercredi 8 août 2012
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Fadila Laanan doit «retirer les aides à la presse à Sudpresse», estime le syndicat des journalistes |

La une de La Meuse (Sudpresse) que vous ne verrez jamais. En Belgique, quatre pigistes sur 10 gagnent moins de 2.000 € bruts par mois et 13% vivent avec moins de 1.000 €, selon l’AJP (cliquer sur l’image pour l’agrandir). Image: (cc) Mediattitudes.info
Fadila Laanan (PS), ministre en charge de l’aide à la presse à la Fédération Wallonie-Bruxelles, estime qu’il est «sans doute trop tôt pour sanctionner» le groupe Rossel, accusé de bafouer le droit d’auteur de certains journalistes pigistes en republiant leurs productions pour Sudpresse dans Le Soir (et vice versa), sans rémunération complémentaire. Pour l’Association des journalistes professionnels (AJP), la ministre doit «prendre ses responsabilités» et immédiatement «retirer les aides à la presse à Sudpresse» pour stopper ce «pillage», comme le prévoient le décret du 31 mars 2004 sur les aides à la presse et la législation sur le droit d’auteur.
En mars dernier, je rendais publique, via Twitter, la fameuse lettre envoyée par la direction de Sudpresse (La Meuse, La Capitale,…) à ses journalistes pigistes. Une lettre qui en a scandalisé plus d’un: elle exigeait unilatéralement que les journalistes indépendants de Sudpresse cèdent gratuitement leurs droits d’auteurs au cas où leurs articles seraient également publiés dans Le Soir, autre quotidien du groupe Rossel propriétaire de Sudpresse.
Chantage à l’emploi : voici la lettre de Sudpresse envoyée à ses pigistes qui scandalise le landernau is.gd/X5JMfr
— David Leloup (@david_leloup) Mars 28, 2012
La direction n’y allait pas avec le dos de la cuiller: «Ce courrier a pour objectif de vous informer de cette évolution et de veiller à ce que vous ne vous y opposerez pas.» Les collaborateurs qui ne seraient pas d’accord peuvent le faire savoir, «mais nous serons alors au regret de devoir mettre un terme à toute collaboration». Les «synergies» du groupe Rossel, destinées à raboter les budgets «piges» et réaliser des économies d’échelle, justifiées par la direction par un contexte de crise, démarraient sur les chapeaux de roues...
Le 22 juin, le collectif des indépendants du groupe Rossel publiait une «carte noire» pour informer le public de cette situation et réaffirmer ses droits. La soixantaine de pigistes cosignataires rappelait au passage les tarifs pratiqués par Sudpresse: de 0,010 à 0,012 € le signe, «soit environ 25 € l’article “standard”. Celui qui travaille au bureau une journée entière (10h) sera rétribué 100 €. Tous ces tarifs s’entendent brut, cela va sans dire.»
Des journalistes qui bossent pour 10 euros bruts de l’heure? C’est trois fois moins que ce qu’un plombier débutant gagne, cinq fois moins qu’un graphiste, et sept à quinze fois moins qu’un avocat… Un tabou que l’Association des journalistes professionnels (AJP) tente de faire sauter avec sa campagne «Pigiste, pas pigeon», lancée en 2006.

Source: AJP.
Dans son texte, le collectif avance une piste: il demande au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles qu’il «s’interroge sur la pertinence des aides directes qu’il accorde à la presse (1,3 million € pour Le Soir et 1,6 million € pour Sudpresse par an) alors que ces deux titres bafouent délibérément leurs obligations, comme celle de respecter la législation sur le droit d’auteur».
Dans la foulée, j’interpelle Fadila Laanan, la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, puisque c’est elle qui a l’aide à la presse dans ses compétences:
@fadilalaanan Comptez-vous sanctionner les médias qui bafouent le droit d’auteur des journalistes? bit.ly/MosWJr cc @ajpjournalistes
— David Leloup (@david_leloup) Juin 22, 2012
Quatre jours plus tard, après une relance, la ministre socialiste réagit:
@david_leloup Si vous me donnez votre adresse courriel par DM je vous répondrai de manière circonstanciée 140 caract un peu complique.
— Fadila LAANAN (@fadilalaanan) Juin 26, 2012
@david_leloup pas mon genre la langue de bois. Je dirai ce que je peux dans mes prérogatives. Belle soiree
— Fadila LAANAN (@fadilalaanan) Juin 26, 2012
Dans sa réponse, Fadila Laanan se dit «évidemment préoccupée par le statut des personnels, dont les journalistes, sans lesquels les titres de presse ne joueraient pas leur rôle dans une société démocratique». Et souligne un enjeu important à ses yeux: «Créer des situations précaires, c’est mettre les journalistes à la merci de personnes qui pourraient tenter de les influencer en échange d’avantages économiques.»
Mais sur la question des sanctions à appliquer aux éditeurs qui bafouent le droit d’auteur des journalistes, et qui donc contribuent précisément à créer ces «situations précaires» que Fadila Laanan dénonce, la ministre nous adresse une réponse pour le moins… surprenante: «Le décret “aide à la presse” ne soumet pas l’attribution des aides au paiement effectif des droits d’auteur au personnel journalistique.»
Ce que dément… le décret lui-même: «Pour qu’une entreprise de presse puisse percevoir […] des aides […] l’entreprise de presse doit […] respecter la législation sur les droits d’auteur» (cliquer sur l’image ci-dessous pour l'agrandir).

Fadila Laanan ajoute que la question du respect des droits d’auteur par les éditeurs a été abordée lors des Etats généraux des médias d’information (EGMI) initiés par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et qu’il conviendrait d’«attendre le suivi qui sera donné aux EGMI». Conclusion ministérielle: «Il est sans doute trop tôt pour sanctionner [Sudpresse].»
«Il n’est pas "trop tôt" pour sanctionner, il est grand temps!», rétorque Martine Simonis, secrétaire générale de l’AJP. «Le décret du 31 mars 2004 sur les aides à la presse prévoit (art. 7 §1er, 2°) que pour percevoir des aides, les entreprises de presse doivent notamment “respecter la législation sur les droits d’auteur”. Il est évident que Sudpresse ne respecte en rien cette législation. Il n’y a pas en effet dans cette loi de permission de reproduction sauvage de contenus pour les éditeurs. Il y a au contraire l’obligation d’obtenir l’accord de l’auteur pour chaque exploitation.»
Quant aux débats initiés aux EGMI, c’est une autre histoire: «La question précise du pillage par les éditeurs des productions des journalistes a bien été abordée aux Etats généraux, mais la législation sur le droit d’auteur comme celle sur les aides à la presse suffisent amplement à prendre déjà ses responsabilités et à retirer les aides à la presse à Sudpresse.»
Et Martine Simonis de conclure: «Pourquoi faudrait-il attendre une hypothétique réforme de la loi sur les droits d’auteur avant de sanctionner ses violations actuelles?»
David Leloup