jeudi 26 octobre 2006

Les récrés de Denis et Edwy

C’est la guerre entre Denis Robert et l’ex-trotskard en «exil» rue Royale. La vraie! Non seulement les deux hommes sont en concurrence directe pour la reprise de Libération, mais ils se fritent aussi violemment au sujet de l’affaire Clearstream (ceci expliquant sans doute cela et inversément). L’auteur de Révélation$ s’est ainsi donc fendu hier, sur son blog, d’une longue réplique à la chronique cinglante de Plenel parue dans Le Soir du 20 octobre.

«Depuis le début, ce gars-là se sert de son journal pour faire ou faire faire des articles assassins sur moi et personne ne lui dit jamais rien, s’énerve Robert. Ensuite ses papiers servent à l’avocat de Clearstream pour bâtir ses plaintes. Et personne ne dit jamais rien. Normal, il est salarié dans un grand journal et fait peur à tout le monde parce qu’il peut rouler ses petits muscles et écrire des papiers fielleux n’importe quand sur n’importe qui. (...) La moustache de Plenel et ses tirades de joueur de flûte ne m’ont jamais impressionné. Pour tout dire, je pense que Plenel est un usurpateur, un opportuniste, une sorte de kapo sans foi ni loi, très doué pour le baratin et pour monter des coups.» Le ton est donné!

Quand l’ego éclipse le fond

Ce différend passionnel entre les deux hommes est nourri semble-t-il par une vieille rancœur tenace comme une tache de fruit rouge. «Quand j’étais à Libé et que son journal et le mien étaient concurrents sur le terrain des affaires mettant en cause les balladuriens ou les socialistes, nous lui avons mis des dizaines de unes dans la vue, fanfaronne Robert. J’étais en concurrence directe avec lui et Gattegno. Neuf fois sur dix, Libé sortait des scoops avant le Monde

Sur le fond, la chronique de Plenel, nombriliste et déontologiquement douteuse (l’ex-directeur de la rédaction du Monde s’est porté partie civile dans le dossier Clearstream 2, son nom étant cité par le corbeau dans les bénéficiaires de comptes bidons), est à côté de la plaque. La réplique de Robert, si elle est légitime, est sans grand intérêt autre que sociologique. Le vrai sujet, ce «combat du 21e siècle» qui concerne tous les démocrates désireux d’une plus grande justice fiscale, c’est celui du contrôle des transactions financières internationales. Pas cette guéguerre d’ego entre deux journalistes rivaux et narcissiques. Or la question de la fiscalité à l’heure de la mondialisation reste sur le carreau politique. Seule la société civile semble s’en être réellement emparée (via notamment le Réseau mondial pour la justice fiscale), avec les moyens modestes qui sont les siens.

«Européaniser» Clearstream

Pendant ce temps, Robert est obligé de perdre son temps au tribunal ou de se justifier dans les médias. Il est vrai qu’il l’a en partie cherché en étant pour le moins léger dans son interprétation de l’acronyme DGSE. Mais balayer d’un revers de main, pour cinq lignes erronées, des années d’enquête (trois bouquins, deux films), une mission parlementaire sur le blanchiment, des témoignages accablants, etc., ce serait faire une erreur monumentale.

«Clearstream est devenu, dans les faits, un intermédiaire incontournable pour le versement de commissions occultes, l’évasion fiscale et des transactions secrètes portant sur des montants colossaux, lesquelles échappent ainsi au contrôle des banques centrales (qui ne protestent guère!): un vrai trou noir de la finance internationale», résumait Philippe Béchade dans une récente chronique proposant ni plus ni moins de... nationaliser Clearstream. Ce qui ne changerait sans doute pas grand-chose connaissant le nationalisme financier grand-ducal. Transformer Clearstream en institution publique européenne, sous contrôle direct des eurodéputés, voilà ce qu’il conviendrait sans doute de faire. Tout l’enjeu consisterait, dans un premier temps, à rendre ce combat «sexy» aux yeux du politique et de l’électeur. Et il ne l’est a priori pas moins que d’autres.

8 commentaires:

Anonyme a dit...

Gregor Chapelle ne dit pas autre chose: "Sans diaboliser, il est absolument incroyable que le peuple se soit fait confisquer sa souveraineté par les multinationales. Celles-ci ont mis les Etats en concurrence fiscale entre eux. D’où une course vers le bas, avec des taux d’imposition qui ne cessent de baisser pour ceux qui participent de moins en moins à la solidarité, alors qu’ils en ont les moyens."
Interview à lire sur http://www.journaldumardi.be/index.php?option=com_content&task=view&id=979&Itemid=10

David Leloup a dit...

mmmh... il ne parle pas vraiment de Clearstream... Dans son bouquin peut-être?

Anonyme a dit...

"Transformer Clearstream en institution publique européenne, sous contrôle direct des eurodéputés, voilà ce qu’il conviendrait sans doute de faire."

oui, ou mieux encore: Clearstream sous tutelle de l'ONU et contrôlée par un parlement mondial (parce que l'Assemblée générale des Nations Unies, c'est pas vraiment ça...)

Anonyme a dit...

@ Fredouille : commençons déjà par une tutelle de l'Europe...

Excellent papier David ! Et bien d'accord avec toi sur le fond de cette guégerre dérisoire entre egos

David Leloup a dit...

merci Phil. Espérons que Denis Robert, qui est finalement le mieux placé pour contrecarrer ses détracteurs les plus pointilleux, aura un sursaut d'orgueil journalistique (que son ego serve au moins à ça ;-) et poursuivra ses investigations encore plus finement sur cette "boîte noire de la finance mondialisée". Les enjeux sont énormes. Que tout cela parte lamentablement en couille devrait chagriner tout un chacun. Moi le premier en tout cas!

Anonyme a dit...

Il y a une interview de Denis Robert dans le Nouvel obs d'hier:

"J'ai fait un travail utile à la démocratie. En demandant ma mise en examen, on cherche à me nuire et on combat directement la liberté d'écrire sur ces sujets sensibles. Après moi, à qui le tour ? "

http://permanent.nouvelobs.com/societe/20061030.OBS7463.html

@Phil: je me demande franchement laquelle des deux tutelles est la + réaliste: l'UE ou l'ONU...?

Anonyme a dit...

Belle façon de renvoyer Robert et Plenel dos-à-dos, David... Denis Robert a obtenu du "Soir" la publication d'un droit de réponse, dans les éditions de ce vendredi; Plenel y réplique. Il n'y a là-dedans rien de bon à retirer, si ce n'est que ces deux types se détestent copieusement. Pas ça qui fera avancer le schmilblick!

David Leloup a dit...

@ The Mole:

oui, j'ai lu, et quelqu'un a posté la réplique de Plenel sur le blog de Denis Robert pour lui demander une réaction. Robert a répondu ce dimanche.

En fait Plenel cherche à discréditer Robert en le citant et en laissant clairement sous-entendre qu'il a cautionné les lettres bidonnées du corbeau contenant notamment les noms de Sarkozy, Chevènement, Strauss-Kahn, Plenel, etc.

Or il n'en est rien: Robert cautionne les informations techniques fournies par le corbeau, pas les noms. Il a toujours dit que ces noms de personnalités ne figuraient pas dans ses listings.

Plenel est donc un fameux manipulateur qui fera malheureusement illusion auprès du lecteur lambda qui, lui, se dira que Robert n'est qu'un revanchard qui dit blanc en 2004 et noir en 2006. Plenel, sur ce coup là, est intellectuellement malhonnête. Shame on him!