jeudi 9 mars 2006

Presse écrite: muter ou périr?


La Belgique est-elle le laboratoire numérique de la presse écrite de demain? Après l’annonce par le quotidien économique flamand De Tijd du lancement en avril, en collaboration avec Philips, d’une version numérique de son journal sur «papier électronique», c’est au tour du quotidien francophone La Libre Belgique de préparer sa mutation médiatique à l’ère du Web 2.0.

Depuis moins d’un mois, le webmaster du site de La Libre Belgique et de La Dernière Heure (deux quotidiens appartenant au groupe de presse belge IPM), qui est également journaliste, tient un blog sobrement intitulé «La presse et son Web». Renaud Hermal, c’est son nom, y lève progressivement le voile sur ce que nous prépare le quotidien du boulevard Emile Jacqmain sur le front du journalisme multimédia. Car La Libre, qui n’a pas envie que son lectorat s’érode, tente activement de trouver la parade à la désertion qui frappe la presse écrite depuis des années déjà.

Approfondir la convergence

Dans un message sur son blog, Renaud Hermal décrit la récente formation qu’ont suivie certains journalistes du quotidien pour apprendre à publier les mêmes informations sur différents supports et selon différents formats (journal papier, site Web, audiocast et videocast). La semaine dernière, «une équipe de télévision a accompagné quelques journalistes dans leurs déplacements afin de monter un sujet vidéo en complément de l’article paru dans le journal papier», nous explique-t-il. Tout cela pour «approfondir encore plus ce thème de la convergence et voir concrètement comment cela peut s’organiser sur le terrain et dans le futur». Car le rêve de beaucoup de patrons de presse, rappelle-t-il sans les nommer, «est que le journaliste puisse écrire, filmer, prendre une photo et enregistrer son interview». Reste à voir comment les journalistes eux-mêmes – et les syndicats qui les défendent! – réagiront face à une telle ambition que certains leur prêtent...
Réaliste, le journaliste-webmaster souligne la difficulté concrète de l’exercice et la créativité formelle qu’il va falloir mettre en œuvre pour ne pas faire «en moins bien» ce que les professionnels de la radio et de la télé font tous les jours. Il insiste également sur la nécessaire révolution interne des structures de fonctionnement des médias traditionnels qu’impose l’essor et la concurrence des «médias des masses»: «Nous devons trouver l’organisation pour arriver à produire du multiple média: une organisation structurelle, revoir le fonctionnement des rédactions, organiser un partage des connaissances et surtout être conscient que notre métier de journaliste est en train de changer fondamentalement. Et il ajoute: Ne pas vouloir l’admettre est une grave erreur...»

Le papier pour les papys

Le développement actuel du Web 2.0, avec son cortège de blogs , vlogs, wikis, etc., et la création d’AgoraVox, cet espèce d’Indymedia centralisé et pluraliste dont une version anglophone verra bientôt le jour, sont au cœur de la révolution pronétarienne – et donc médiatique – en cours. «La presse écrite quotidienne (...) n’est définitivement plus un média qui peut s’adresser à tout le monde», analyse Jeff Mignon, un consultant médias basé à New York, en commentant une toute récente enquête de la société californienne Outsell sur les sources d’information de 2800 Etasuniens selon leur âge. «La presse écrite en général (quotidiens et magazines) est la source d’infos, en priorité, des plus de 65 ans, et parfois des 18-30 ans (pour les infos nationales et internationales, le cinéma et les loisirs). La télévision touche également un public de plus en plus vieux, majoritairement les plus de 65 ans. Internet est utilisé par toutes les générations, sauf les plus de 65 ans.»

Le Web, seul média «mass-market»

Comme ses lecteurs – plutôt âgés –, la presse écrite quotidienne est-elle en voie de disparition? Il est sans doute un peu naïf de le penser (elle n’a pas dit son dernier mot) et de toutes façons beaucoup trop tôt pour l’affirmer. Que révélerait en effet une telle enquête si elle était réalisée en Europe, où le taux de pénétration d’Internet dans la population est presque deux fois moindre qu’en Amérique du Nord? Ce qui est clair en tout cas pour Mignon, «c’est que seul Internet est en train de devenir un média mass-market. Les autres devront faire des choix ou prendre le risque de ne satisfaire personne.»
En octobre dernier, dans un entretien accordé au Figaro, Bill Gates estimait que «dans cinq ans, on peut penser que 40 à 50% des gens liront la presse en ligne», jugeant «cruciale» pour les journaux la qualité de leur site Internet. Une prédiction qui vaut ce qu’elle vaut, bien sûr. Mais la jeune génération, biberonnée à l’Internet, aux blogs et aux podcast se tournera-t-elle vers le papier quand viendra l’âge de la pension? Seuls ceux qui n’anticipent pas les changements à venir semblent encore y croire.

Mise à jour: cet article a été publié et est disponible en version audio sur AgoraVox. Quelques réactions également sur la même page. Lire également «Quand la convergence divise».

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Bonjour David,

ton interrogation quant à savoir si les jeunes "biberonnés à l'internet" seront demain des consommateurs de presse papier, je crains que la réponse est "NON !". Si j'en crois les études faites sur les produits alimentaires, les comportements de consommation sont décidés avant 20 ans pour le reste de la vie. Un jeune d'aujourd'hui qui ne mange pas de fruits et légumes n'en mangera pas plus dans 45 ans lorsqu'il sera senior. Pourquoi en serait-il autrement de la presse ? La question qui nous concerne tous aujourd'hui, nous journalistes, est bien de savoir comment nous allons aborder et franchir cette révolution. La tâche est immense.