lundi 14 mai 2007

Ultra Di Rupo



C’est tout l’art subtil du caméléon politique: lorsqu’il harangue la galaxie «alter», le président du PS Elio Di Rupo troque son légendaire nœud pap’ écarlate pour une tenue jean-baskets-gilet vintage. L’image est rare. Les caméras de télévision n’ont pas l’habitude d’aller se balader dans les débats qui animent les forums sociaux altermondialistes. Dans la vidéo ci-dessus – longue bande d’annonce du documentaire Avanti Popolo! signé Yannick Bovy (journaliste) et Mathieu Sonck (réalisateur) –, on assiste également à quelques fragments d’un échange franc et direct que l’on n’a plus guère l’occasion de voir aujourd’hui à la télévision. Non pas que les protagonistes témoigneraient d’une verve exceptionnellement haute en couleurs – quoique. Mais surtout parce que le débat porte sur les orientations mêmes de la gauche contemporaine, et sur son adhésion au «système capitaliste». Un questionnement qui taraude les deux réalisateurs tout au long des 45 minutes de ce documentaire, qui tombe à point pour relancer le débat politique à gauche en ces temps de défaite électorale française et de campagne législative mollassonne en Belgique.

La scène se passe à Paris, en novembre 2003, lors du Forum social européen. «Elio Di Rupo est-il schizophrène?», s’interroge le syndicaliste italien Piero Bernocchi, franchement remonté contre le fossé qui, à ses yeux, sépare trop souvent le discours et les actes politiques de la gauche européenne (sur la guerre en Irak, la mondialisation, etc.). Une gauche dont notre Elio national porte ici tout le poids sur ses petites épaules... Et dont il est pourtant généralement reconnu comme étant l’un des représentants sociaux-démocrates les plus... à gauche. Mais Bernocchi est très en verve: même la communiste Marie-Georges Buffet passera sous les fourches caudines du bouillonnant transalpin.

Evitant l’écueil de la dénonciation simpliste du discours relativement light d’Elio Di Rupo (qui se fait huer autant qu’applaudir à la fin de son speech), le film a l’intelligence de replacer ses propos en perspective historique et idéologique (les deux étant bien sûr liés). Ainsi Serge Halimi, docteur en sciences politiques, spécialiste de l’histoire de la gauche européenne et journaliste au Monde Diplomatique, souligne-t-il que la défense du capitalisme est devenue pratiquement impossible aujourd’hui pour la gauche de gouvernement. Et a fortiori devant une assemblée «altermondialiste». «D’où cette distance sémantique à l’égard d’un système qu’ils n’ont pourtant pas du tout l’intention de contester et dont ils indiquent très peu, voire pas du tout, comment ils rompraient avec son iniquité».

Au-delà d’une indignation de façade, poursuit Halimi, «ce qui serait intéressant, ce serait une liste de propositions concrètes, précises, qui permettraient de rompre avec une logique dont ils ont été eux-mêmes les artisans. (...) On se demande par exemple pourquoi des forces de gauche n’ont jamais proposé de renationaliser des entreprises ou des services qui avaient été privatisés.»

Pour clore la séquence, le sociologue des médias Alain Accardo, auteur notamment du séminal Journalistes précaires (qui vient tout juste d’être réédité), en remet une fameuse couche: «La gauche européenne est malade de la social-démocratie, tranche-t-il sans concession. Ces partis socialistes qui, officiellement et depuis longtemps, se sont installés à l’intérieur du système capitaliste pour le cogérer, constituent à mon sens aujourd’hui un des principaux obstacles à l’émancipation des peuples européens et plus largement des peuples de la planète.» Excessif? Froidement lucide? D’un autre âge? Ou d’une brûlante actualité? Chacun appréciera selon sa culture et sa sensibilité politiques...


UPDATE 16/05 :
Vu le buzz qui entoure cet extrait vidéo, les deux réalisateurs ont posté un message sur le blog d’Elio Di Rupo ce mercredi pour clarifier leur position. En effet, expliquent-ils, le film «est parfois récupéré par des gens avec lesquels on n’est pas vraiment (ou vraiment pas) d’accord – des gens qui parlent d’hostilité à votre égard par exemple, ou qui prennent appui sur ce film qui veut simplement donner à penser pour décréter ce qu’il faut penser». Les deux de Zogma précisent en outre qu’Avanti popolo!, «un tantinet provocateur, n’est pas une charge ad hominem ou anti-PS» et qu’il faut voir ce film «non pas comme un catalogue de certitudes trempées, mais comme une bouteille à la mer, une invitation au débat citoyen, populaire (...)».

UPDATE 18/05 :
Tous ces remous ont inspiré à Elio Di Rupo un billet sur son blog. Il invite notamment les deux réalisateurs du documentaire Avanti popolo! à «continuer ensemble le débat».
Est-ce une réponse déguisée aux analyses développées par les experts qui dissèquent son discours dans le film? Toujours est-il que le président du PS souligne que «la clairvoyance des analyses et la justesse du discours ne suffisent pas à faire changer les choses. Encore faut-il pouvoir traduire la théorie et la bonne volonté en action politique. Avoir totalement raison, si l’on est seul à le savoir, ne sert à rien, si ce n’est à flatter son ego et à se donner bonne conscience.»
Qu’en pensez-vous?


Le DVD du documentaire (dans lequel on peut voir également Vincent Decroly, François Houtart, Pascal Lamy ou Anne-Marie Lizin) est en vente au prix de 15 euros sur le site Zogma.org.

7 commentaires:

Unknown a dit...

Belle trouvaille. Felicitations. A gauche (quand même) d'Elio sur la tribune c'est marie-georges Buffet du PCF...

David Leloup a dit...

Fabrice, c'est vous qui avez lancé le concours de la vidéo de la semaine. La blogosphère est désormais en émoi en attendant votre surenchère... ;-)
Oui, à gauche d'Elio c'est ce sympathique fossile de Marie-Georges Buffet qui, malgré son étiquette communiste (donc à gauche d'Elio Di Rupo sur l'échiquier politique et sur l'image, mais en dehors de l'écurie "sociale-démocrate"), en prend également pour son grade lors de la diatribe de notre éloquent et impitoyable syndicaliste...

Mateusz a dit...

Je m'incline... j'adore le syndicaliste italien... Je poste chez moi...

Anonyme a dit...

Quel splendide document en effet. Ce syndicaliste a tellement la tchatche que l'empereur rouge rit jaune !

Anonyme a dit...

monsieur Di Rupo noie le poisson, tout simplement. Il ne répond pas sur le fond - sortir du dogme de la croissance, envisager des alternatives au capitalisme - mais se positionne en homme d'action. Il cherche par son "post" sur "son" blog à s'attirer les faveurs du petit électorat altermondialiste. Pas sûr qu'il y parvienne en esquivant de la sorte.

Anonyme a dit...

"On "gère les acquis", on les occupe et on en use sans modération, on gère la part socialisée du salaire global. Mais uniquement sur la défensive, comme chacun a pu le constater. C’est inévitable à partir du moment où la gauche de gouvernement est la même qui sur le plan économique, a promu toutes les avancées libérales mettant à mal lesdits acquis. Par exemple, le grand marché européen qu’elle annonçait, en accord avec la droite, créateur de 5.000.000 d’emplois nouveaux, pour se vouer à un silence radio total une fois ce bel objectif atteint. Ou les aménagements légaux organisant la protectionnisme absolu accordé à la finance. Par exemple encore, l’indépendance sans précédent de la banque centrale européenne par rapport au suffrage universel, et bien sûr la privatisation continue d’un maximum de services publics - Di Rupo lui-même a, en tant que ministre, signé le premier pas vers la privatisation de la poste, avec la libéralisation des colis de plus de 350 grammes."
extrait de Les élections approchent. À quoi sert l’extrême-droite ?

Anonyme a dit...

A LIRE !!!
Quand la gauche de gouvernement raconte son histoire

Serge Halimi - Le Monde Diplomatique, avril 2007

La gauche française, quand elle n’occupe ni Matignon ni l’Elysée, analyse plus volontiers son exercice du pouvoir. Depuis 2002, on ne compte donc plus les acteurs directs des septennats de François Mitterrand ou du gouvernement de M. Lionel Jospin qui ont rédigé des ouvrages de Mémoires et d’analyse. Que nous ont appris MM. Jospin, Pierre Mauroy, Jacques Delors, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Attali, Michel Rocard, Pierre Moscovici, François Hollande, Roland Dumas sur les quinze années de gouvernements socialistes, que nous ne sachions déjà ?