Depuis plus d’un mois, l’affaire Clearstream 2 secoue la France. Pour bien comprendre le contexte à l’origine de la bouffée de fièvre médiatique actuelle, un détour par l’affaire Clearstream 1 est nécessaire. C’est ce que je vous propose de faire avec le journaliste Denis Robert dans la longue interview ci-dessous. Elle a été réalisée il y a deux ans, pour Imagine, dans le cadre d’un dossier sur la justice fiscale.
Pourquoi la «bombe atomique»
de la finance n’explose pas
Pouvez-vous nous réexpliquer l’enjeu de votre livre Révélation$, paru en 2001?
C’est la découverte au cœur de la planète financière d’une sorte de boîte noire de la finance mondiale, d’une gare de triage de tous les transferts de titres, d’actions, voire de cash, qui circulent dans le commerce interbancaire. C’est la découverte que cet outil, qui s’appelle Clearstream et qui est une chambre internationale de compensation, renferme une sorte de «double fond», c’est-à-dire qu’à côté des transactions officielles, d’autres sont dissimulées. Je peux affirmer cela avec force aujourd’hui, puisque malgré les attaques en diffamation répétées de Clearstream contre moi, le tribunal de grande instance de Paris m’a donné raison début octobre et a débouté la multinationale.
Que signifie ce verdict, pour vous?
Pour moi, ce n’est pas une surprise. Je sais que mon dossier est super solide, qu’il y a trois ans d’enquête derrière, j’ai des témoignages, des documents, etc. C’est surtout une reconnaissance exemplaire de mon travail. Des magistrats indépendants ont pris le temps d’entendre les deux parties, d’examiner toutes les pièces, de réfléchir à tout ça pendant trois mois, de juillet à octobre. Dans un jugement argumenté de 27 pages, ils me donnent raison sur tous les points et condamnent Clearstream à me verser des dommages et intérêts – la somme est symbolique, mais c’est quand même 6.000 €.
Une somme qui n’a rien à voir avec les dommages et intérêts que Clearstream vous réclamait…
C’était de l’intimidation. Ils me réclamaient 300.000 € pour me faire peur et faire peur aux autres journalistes. Et ça marche, puisque mes informations sont très peu reprises par la presse.
Justement, l’affaire Clearstream est une vraie bombe. Pourquoi, après presque trois ans, n’a-t-elle toujours pas éclaté?
C’est assez paradoxal. Si vous allez voir sur Internet, vous verrez qu’il y a des centaines d’articles qui ont été écrits sur cette affaire. Il y a eu une ouverture d’information judiciaire à Luxembourg, une mission d’enquête parlementaire en France, un début d’enquête parlementaire en Belgique. Mais le scandale n’a pas du tout éclaté à la hauteur où il aurait dû éclater. Pour une raison qui tient à l’essence même de mes révélations: reconnaître que ce que j’écris est valable, c’est assurer l’ébranlement du fonctionnement bancaire international. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, le système qui a été mis en place est utile à tout le monde, c’est-à-dire aux banquiers et d’abord aux grosses banques. Les administrateurs de Clearstream, ce sont BNP Paribas, Chase Manhattan, Merrill Lynch, Barclays, Nomura, la Deutsche Bank, etc. Comment voulez-vous que ces gens-là reconnaissent l’inavouable?
Selon vous, pourquoi la presse et le monde politique n’ont-ils pas embrayé?
Quand on touche à la haute finance mondiale, à l’arrière-cuisine de ce paysage bancaire, on touche au vrai pouvoir. Pourquoi les patrons de journaux n’ont-ils pas envoyé leurs meilleurs limiers sur ce genre d’histoire? D’une part, c’est fatigant, les journalistes sont généralement plutôt paresseux. D’autre part, il y a des risques de procès. Quant aux politiques, ce n’est pas très porteur, électoralement.
Pourtant c’est une façon de séduire l’électorat altermondialiste…
Le mouvement altermondialiste est quand même relativement marginal par rapport au combat des députés. Un seul exemple: Vincent Peillon, qui était porte-parole du PS et président de la commission d’enquête parlementaire française sur la délinquance financière et le blanchiment d’argent en Europe. Député de la Somme, une région où il y a beaucoup de chômeurs et de chasseurs, il s’est fait battre aux élections, en 2002, parce que ces thèmes-là ne représentent rien pour les électeurs. Ils préfèrent qu’on leur parle du chômage ou que l’on fasse des lois électoralistes sur la chasse. Et contrairement à certaines idées reçues qui circulent dans les milieux comme Attac – dont je suis proche –, la lutte contre la criminalité financière ne fait pas gagner les élections. Elle ne le fait pas encore, parce que le message véhiculé par l’enquête que j’ai menée n’est pas passé. A cause des journalistes. Avant de mettre en cause les politiques, je mettrais en cause les journalistes. Si eux ne s’intéressent pas à ça, c’est d’une part parce que toutes ces révélations viennent d’une entreprise quasi artisanale, de quelqu’un qui est marginal par rapport à la presse. J’ai quitté Libération, j’ai quitté le milieu alors que j’étais complètement installé, avec un bon salaire. Le fait que je sorte cette affaire a généré une certaine jalousie à mon égard. L’autre problème, et c’est peut-être le problème numéro un, quand on touche à ça, on touche au pouvoir, on touche à l’argent. Beaucoup de journaux sont financés par des banques. Même si ce n’est pas direct, il y a une forme de censure et d’autocensure qui s’opère. Une anecdote: les journaux luxembourgeois les plus virulents à mon égard appartiennent au groupe Editpress, un des actionnaires du journal Le Monde, qui lui-même est actionnaire d’Editpress. Pour réussir sa capitalisation, Le Monde a demandé aux banques de le soutenir. Parmi ces banques il y a BNP Paribas, par exemple.
Pour revenir au procès, est-ce que Clearstream a interjeté appel?
Oui. J’étais un peu surpris. André Roelants, le PDG luxembourgeois de Clearstream avait fait des déclarations allant dans le sens d’un apaisement. Puis un retour de bâton est venu de Francfort, de celui qui aujourd’hui met le couvercle au-dessus de tout ça et qui est responsable de l’étouffement: le docteur Werner Seifert, l’actuel PDG de la Deutsche Börse Clearing, la société qui a racheté Clearstream en 2002. Roelants est une marionnette aux mains de ce puissant banquier allemand.
Alors on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles il fait appel. D’une part, il considère sans doute que je ne suis pas encore suffisamment dangereux pour lui, compte tenu du silence de la presse. D’autre part, je sais que lui-même est obligé de composer avec un personnage qui refait son apparition: André Lussi, l’ex-PDG de Clearstream qui a été viré après la sortie de Révélation$. Seifert et Lussi viennent tous deux de l’Union des banques suisses et entretiennent des rapports réguliers. Je ne comprends pas pourquoi, alors qu’il est mis en cause, que tout lui donne tort aujourd’hui, Lussi n’a toujours pas été interrogé par la justice luxembourgeoise ni mis en examen. Il a touché huit ou neuf millions d’euros comme «parachute doré». J’appelle ça le prix du silence.
D’une manière générale quelles conséquences l’affaire Clearstream a-t-elle eues sur vous et sur votre vie?
Ça a changé ma vie. D’abord, je ne suis pas un journaliste d’investigation. J’écris des livres, je réalise des films. C’est sans doute pourquoi on dit que je suis atypique. Je vis de mes droits d’auteur. Ça fait maintenant cinq ans que je travaille sur cette affaire, quasiment à mi-temps. Leurs attaques en justice et surtout les pressions dont mes témoins ont fait l’objet font que ça me mange la vie. Aujourd’hui, on doit être à 130 visites de huissiers chez moi pour m’amener des plaintes d’un peu partout. En particulier de la Menatep, la banque russe dont j’avais révélé qu’elle avait un compte non publié chez Clearstream.
Elle vous intente aussi un procès en diffamation?
Non, pas un, plusieurs ! Mais je les gagne. Ce sont uniquement des procès pour m’intimider. Quand je les perds, c’est ridicule. Un de vos concitoyens qui est avocat au barreau de Bruxelles, Wim Hautekiet, était le secrétaire de Cedel (ancien nom de Clearstream) et très proche de Lussi. Je l’ai cité dans mon livre en disant qu’il faisait partie de la «clique» à Lussi. Il m’attaque en diffamation sur ce mot-là, et me réclame 500.000 € de dommages et intérêts. Le tribunal me condamne à un euro symbolique. Donc je ne vais pas faire appel sur un truc comme ça. Encore que je trouve ça anormal.
Idem pour Le Figaro dont la une était encore plus virulente que moi. Il avait qualifié Clearstream de «plus grande lessiveuse d’argent sale du monde». Ils ont été condamnés à un euro symbolique aussi. Mais depuis lors, il n’y a plus une ligne sur notre enquête ou sur moi dans Le Figaro. C’est là où l’on voit aussi le pouvoir de ces gens-là.
Quelles ont été les conclusions de la mission parlementaire française sur le blanchiment? Et, surtout, est-ce qu’il y a eu des suites?
Elle est arrivée aux mêmes conclusions que moi. Personne de chez Clearstream n’a voulu répondre aux accusations des députés. C’était plus accablant encore pour le Luxembourg que pour Clearstream. Les conclusions de la mission ont d’ailleurs causé un incident diplomatique. Trois semaines après, pour laver l’affront des parlementaires, Chirac a remis la Légion d’honneur à Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois. Ensuite, Jean-Pierre Raffarin est arrivé au pouvoir. A gauche, c’était déjà difficile. C’était l’aile gauche du PS – Peillon, Montebourg – qui avait sorti ces choses-là. Ce n’est pourtant pas l’extrême gauche. En face, les soutiens des banquiers de Clearstream, c’était Fabius, Védrine… Aujourd’hui, avec la droite, on oublie. Rideau sur les conclusions de la mission.
Et au Parlement européen?
Des députés français, des travaillistes anglais, une écologiste finlandaise, des Italiens, etc. s’étaient réunis pour essayer de créer une commission d’enquête. Mais le libéral hollandais, Frits Bolkestein, commissaire européen en charge du Marché intérieur et de la Fiscalité, avait les cartes en main pour ouvrir une enquête parlementaire. Mais il a estimé que le Luxembourg était un Etat souverain, donc que c’était à lui de régler ses problèmes intérieurs. Quand on connaît ce pays comme je le connais maintenant, c’est à mourir de rire. C’est une dictature financière, une démocratie d’opérette où 90% du personnel politique est complice de ces systèmes. Tout ça fonctionne sur du mensonge et de la duperie. Sa justice est une pseudo justice. Heureusement, les choses sont en train de changer. Le monde bouge autour du Luxembourg, qui est aujourd’hui obligé de réfléchir à sa mutation.
Votre regard sur les relations entre le personnel politique et le monde de la finance, et pas seulement au Luxembourg, a-t-il changé depuis votre enquête?
Non, parce que je ne suis pas naïf non plus. Si je suis un peu amer, c’est par rapport à la presse. C’est-à-dire que je savais que j’allais me heurter à des huissiers, à des avocats, à des banquiers, voire à des magistrats luxembourgeois, mais je ne pensais pas du tout que j’aurais contre moi Le Monde, Charlie Hebdo et le silence des autres.
Charlie Hebdo?
Oui, parce que l’avocat de Clearstream et l’avocat de Charlie Hebdo, c’est la même personne: Richard Malka. Il y a eu un édito de Philippe Val assez méchant à mon égard. Comme il ne connaît rien à cette affaire, il a repris ce que lui disait son avocat. Ça montre le niveau…
En 2002, des parlementaires belges ont essayé, sans succès, de créer une mission d’enquête sur les pratiques d’Euroclear et de Clearstream. Fin 2002, notre Premier ministre, Guy Verhofstadt, a reçu le «Vision for Europe Award», un prix décerné par Clearstream. Vous faites un lien entre les deux événements?
Oui, absolument. Le prix n’avait pas été délivré en 2001, à cause de l’enquête en cours au Luxembourg. Pourquoi ont-ils choisi Verhofstadt en 2002? Bon, c’est un prix bidon, mais le fait qu’il se soit déplacé pour y faire son numéro… Moi, j’y suis allé et on ne nous a pas laissés entrer. Ils avaient peur qu’on ne fasse un scandale. Alors de deux choses l’une: soit il s’est fait avoir, il est complètement dupe et à la limite il est excusable – c’est sans doute quelqu’un de très occupé, qui n’est pas forcément informé de tout ou qui est mal informé –, soit il est complice, il sait très bien que le système fonctionne de cette manière et il décide de jouer le jeu, aux côtés des Luxembourgeois et des banquiers.
Quel message adresseriez-vous aux personnes qui pourraient être tentées un peu vite de penser, en lisant vos ouvrages, que le monde de la finance internationale est «pourri»?
C’est un peu court de dire ça. Si vous allez voir le banquier au coin de votre rue, il n’est pas au courant de ce système là. C’est une affaire d’une grande complexité. Dans cette histoire, la fonction a créé l’organe. On n’a pas créé délibérément un outil servant à la fraude. Au départ, les chambres de compensation, le clearing, c’est un système magnifique qui révolutionne les transferts transfrontaliers, qui les rend plus rapides, plus sûrs. Mais il faut que ça se passe dans la transparence, avec des contrôles. C’est tout le problème d’ailleurs du libéralisme. En tant que pensée politique, c’est une pensée noble à laquelle moi, qui suis plutôt à gauche, je peux souscrire. Mais s’il n’y a pas de contrôle public – et c’est le cas dans une boîte comme Clearstream – et si on crée un «double fond», comme c’est le cas chez Clearstream, on en arrive à des situations qui sont catastrophiques. J’ai montré dans mes films et dans mes livres que si Clearstream avait fonctionné convenablement, l’Argentine ne serait pas tombée en faillite en 2001. Et je défie n’importe quel banquier ou financier de démontrer le contraire.
Mais finalement, que répondez-vous à ces personnes?
De lire mes livres, de regarder mes films, d’en parler à leur entourage, d’exercer des pressions au niveau local ou national auprès de leur banque, par exemple, en boycottant celles qui ont des comptes ou des filiales dans les paradis fiscaux. De faire pression également sur les politiques pour qu’on mène une véritable enquête européenne sur Clearstream. Le seul moyen de freiner aujourd’hui le capitalisme sauvage et la dilapidation des fonds publics et des entreprises – puisqu’au départ, l’argent résulte du travail des hommes –, c’est de créer des outils de contrôle pour surveiller les chambres internationales de compensation que sont Clearstream et Euroclear, et les systèmes de routage comme Swift. C’est le même principe que les morts sur les autoroutes. S’il y a plus de contrôles, les morts diminuent. Et c’est assez facile de contrôler ces outils. Mais ça doit passer par le politique, qui est le seul capable de voter des lois. On a trop longtemps laissé aux banquiers le soin de se contrôler eux-mêmes. Ce sont des individus actuellement hors droit. Aujourd’hui l’enjeu c’est d’avoir des organismes publics de contrôle réellement efficaces. C’est de donner la possibilité à des super informaticiens d’aller dans ces systèmes et de visualiser les flux financiers, de localiser qui se cache derrière les comptes établis dans les paradis fiscaux. Parce que ce n’est pas dans les paradis fiscaux que l’on trouve les clés de cette affaire. Dans les échanges financiers internationaux, les seuls endroits où il y a une vulnérabilité, ce sont les tuyaux où l’argent passe. Ces tuyaux, ce sont Clearstream, Euroclear et Swift. Clearstream est le plus important en termes de titres et de valeurs stockées. C’est une banque des banques, comme Euroclear. Elles conservent des valeurs dans leurs coffres-forts électroniques, Swift ne le fait pas. Swift envoie des ordres de paiement, c’est du routage financier.
Euroclear, une chambre de compensation, et Swift, une société de routage, sont basées à Bruxelles. Au cours de votre enquête, qu’avez-vous appris sur ces deux sociétés de clearing?
J’ai lu le règlement intérieur de Swift. Ils autorisent certains clients à ouvrir des comptes non publiés chez eux, ce que je trouve incroyable. C’est paradoxal. Quand on est dans Swift, c’est pour apparaître, c’est pour pouvoir mieux transférer des valeurs et des titres.
Ils répondent que c’est pour ne pas dévoiler une stratégie monétaire que pourrait poursuivre une grosse banque…
Oui, ils peuvent rétorquer ça. Mais quand on a des comptes non publiés, le ver est dans le fruit. De la même manière, Euroclear en a aussi. D’ailleurs, après notre enquête, je crois savoir que le ménage a été fait chez Euroclear. Mais je pense qu’il y a beaucoup moins de clients pourris chez Euroclear que chez Clearstream. A la fin de La boîte noire – ces documents-là non plus, n’ont pas été attaqués –, je n’en ai mis que trois ou quatre cents et c’est parmi les clients ou les banques les plus pourris de la planète. On retrouve Rivunion, la banque noire d’Elf. On retrouve des banques proches d’Al Qaida. On retrouve des corrupteurs, des trafiquants d’armes. Puis les dirigeants costumés de Clearstream prétendent qu’ils n’acceptent que des clients ayant une bonne réputation. Et ça, je démontre que c’est faux. Il y a vraiment un double langage.
Après la sortie de Révélation$, une société de consultants en informatique est intervenue chez Clearstream pour pratiquer des «nettoyages» informatiques, sans doute pour effacer certaines traces pensez-vous. Le siège social de cette multinationale se trouve à Clearwater, en Floride, la capitale mondiale de la scientologie…
Je vais être assez succinct sur la scientologie. J’ai déjà eu suffisamment d’ennuis avec Clearstream. Quand les scientologues vous coincent, ils ne vous lâchent plus. Simplement, relisez le jugement. Primo, vous verrez que la société qui a fait le nettoyage informatique a son siège à Clearwater, la capitale mondiale de la scientologie. Secundo, la sœur d’André Lussi, l’ex-patron de Clearstream, était responsable de l’Eglise de scientologie en Suisse, fin des années 80. Tertio, le paquebot acheté au début des années 70 par le gourou, Ron Hubbard, l’a été grâce à Cedel. Quarto, des stages bizarres pour des informaticiens de Clearstream ont été organisés dans un château à Johannesburg. La scientologie possède justement une «Faculté» dans un château de Johannesburg. C’est troublant... D’autant que dans le règlement de la secte il y a sept règles. Première règle: «Pour avoir le pouvoir, il faut pénétrer les outils financiers internationaux, les infiltrer et les contrôler.» C’est pas moi qui l’invente, c’est eux qui le disent.
Vous avez réalisé un documentaire intitulé L’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo. Quel est le rapport entre les téléviseurs de Daewoo et les dollars de Clearstream?
J’ai essayé de montrer comment les affaires de blanchiment jouaient sur le quotidien. L’argent dont on parle n’est pas virtuel, il naît du travail des hommes. Pendant que je réfléchissais à ça, les usines Daewoo en Lorraine ont fermé. Mon frère a été licencié et mis au chômage, alors que c’étaient des usines rentables, qui fonctionnaient bien. Puis en mettant le nez dans les comptes de Clearstream, j’ai trouvé 13 comptes non publiés appartenant à Daewoo. Et quand on a des comptes non publiés chez Clearstream, on les utilise. C’est très difficile à démontrer, parce qu’il faut rentrer dans ces comptes non publiés et moi je n’en ai pas la possibilité, mais on peut imaginer que l’argent du travail des hommes est allé enrichir certains comptes dans des paradis fiscaux via les tuyaux de Clearstream. Daewoo appartient à la Banque nationale de Corée et à ses créanciers, des banques françaises et étrangères. Quand on donne les clés d’une entreprise industrielle à des financiers, ils ne font plus de l’industrie. Ils font de la finance. Pour faire plaisir aux actionnaires, leur donner les fameux 15% de rendement, ils vont vendre, démanteler, pour spéculer. C’est plus rentable que l’industrie. La finance, c’est la mort de l’économie.
J’ai regardé votre documentaire sur un téléviseur Daewoo, l’association Attac publie des livres aux éditions Mille et une nuits qui appartiennent à Matra-Hachette-Lagardère, marchand d’armes et grand groupe de presse et d’édition. Ne sommes-nous pas tous piégés, malgré nous, par la haute finance et sa mondialisation?
Non, parce qu’à l’intérieur de tous ces systèmes, il y a des hommes. Il faut faire confiance aux hommes. Pas aux systèmes. Moi aussi mes premiers livres ont été édités dans les multinationales, mais j’avais un éditeur qui a cru en ce que je faisais. Il y a des hommes dans ces appareils. On n’est pas non plus des robots. Ou quand je fais mes films chez Canal+, c’est parce qu’il y a Alain De Greef, ou il y a un producteur qui croit en ce que je fais. Donc il y a un moment donné, quand on est déterminé, on y arrive. L’économie de mes livres, c’est pas grand-chose, c’est 100.000 balles et vous voyez ce qu’on arrive à faire. Donc il y a de l’espoir.
Entretien: David Leloup
2 commentaires:
"vouloir considérer"ne me parait pas très heureux comme tournure de phrase
un admirateur anonyme !
Effectivement... "(...) bien vouloir envisager" est plus heureux. Merci pour ce souci du détail.
Poster un commentaire