Eric Le Moyne de Sérigny, le discret conseiller d’Eric Woerth «pour les relations avec le monde économique», l’«ami» de Nicolas Sarkozy et courroie de transmission entre le monde des affaires et l’UMP, serait actuellement directeur de trois obscures sociétés panaméennes créées il y a plus de vingt ans par la Chase Bank and Trust Ltd. à Jersey — une filiale de la Chase Manhattan Bank (aujourd’hui JP Morgan Chase) spécialisée dans la création et la gestion de trusts et sociétés off-shore pour une clientèle privée étrangère fortunée. C’est en tout cas ce qu’indique le registre officiel des compagnies du Panama. Sociétés anonymes au capital de 10.000 dollars et aux statuts identiques, les triplées Lorcha Overseas Inc., Magma Enterprises Inc. et Caliban Holdings Inc. ont été créées le 5 août 1987 devant notaire à Panama City, et sont toujours «vigente» (vivantes) aujourd’hui, selon le registre. Dans leurs statuts (voir ceux de Lorcha Inc., par exemple), le domicile attribué à l’administrateur Eric de Sérigny est la Chase House, Grenville Street, Saint-Hélier, Jersey — soit l’adresse, à l’époque, de la Chase Bank and Trust Ltd. En 1987, pourtant, Eric de Sérigny n’était pas en poste sur l’île anglo-normande: entre 1984 et 1988, il fut vice-président et country manager de la Chase à Paris, au 41 rue Cambon. Le conseiller du ministre du Travail affirme aujourd’hui que ces documents officiels, dont nous lui avons transmis copie à sa demande, sont des faux. Il déclare, dans un e-mail du 2 septembre, n’avoir «aucun lien» avec l’une ou l’autre de ces sociétés, «ignorant même leur existence», et considère que ces documents «mettent gravement en cause [s]on honneur et [s]on honnêteté». Pourtant, administrer une société au Panama est tout à fait légal. Si, par contre, le bénéficiaire économique d’une compagnie étrangère ne déclare pas au fisc les éventuels revenus générés par celle-ci, cela constitue une infraction au code général des impôts et est passible de poursuites pénales (sanctions pénales en cas de fraude fiscale et, si le contribuable est français, le capital doit en outre être déclaré au titre de l’impôt sur la fortune). De même, les éventuels complices de fraude fiscale, en servant de prête-nom par exemple, sont passibles d’amendes ou de peines d’emprisonnement. Mais Eric de Sérigny est formel: «Je n’ai jamais dirigé ni en droit ni en fait ces sociétés, et ni en qualité de prête-nom ou nominee», nous écrit-il. Son avocat, Me Baratelli, nous a indiqué par courrier que son client, «à la suite de l’apparition usurpée de son nom dans différents documents que vous avez bien voulu lui transmettre», venait de déposer une plainte pénale contre X auprès du parquet de Paris. Cette plainte vise des qualifications de «faux et usage de faux, faux commis dans une écriture publique ou authentique, et usurpation d’identité», selon l’avocat. D’après leurs statuts, ces off-shore comptent deux autres directeurs: Keith R. Bish et Jean-Claude Schaeffer. Le premier, un Anglais domicilié aux îles Vierges britanniques, était directeur du département «trusts» de la Chase Bank and Trust Ltd. à Jersey, à l’époque où les trois panaméennes ont été créées. Keith Bish est par ailleurs impliqué dans la faillite retentissante des fonds Kingate (Global et Euro), deux importants fonds «rabatteurs» qui, à partir de 1994, ont investi 3,5 milliards de dollars dans la société d’investissements de Bernard Madoff. Directeur du Kingate Global Fund Ltd. de 1995 à 2002, Bish est actuellement poursuivi aux Etats-Unis dans le cadre de plusieurs procédures collectives initiées par des investisseurs floués. Eric de Sérigny tient sa ligne. Il nous écrit: «Je n’ai jamais rencontré et j’ignorais jusqu’à ce jour l’existence de MM. Keith R. Bish et Jean-Claude Schaeffer.» Pourtant, un témoin clé de ses «années Chase», ainsi qu’une série de nouveaux documents que nous nous sommes procurés, mettent sérieusement à mal la ligne de défense du financier. Ex-numéro deux de la Chase Manhattan Bank à Luxembourg, où il officia de 1974 à 1991, Jean-Claude Schaeffer a administré plus de cinquante panaméennes pour la Chase. Dont une dizaine avec Keith Bish et Eric de Sérigny, quand ce dernier était vice-président de la Chase Manhattan Bank à Paris. L’ex-banquier luxembourgeois dément donc le financier français et confirme que c’est bien l’actuel conseiller d’Eric Woerth, et non un éventuel homonyme, qu’il a côtoyé dans ces off-shore. Aujourd’hui à la retraite, Schaeffer lève un coin du voile -sans violer le secret bancaire- sur le «système» d’évasion fiscale mis en place à l’époque par la banque pour sa clientèle haut de gamme. Schaeffer explique: «Ces coquilles panaméennes ont été créées pour des clients privés très fortunés. Elles détenaient pour la plupart un portefeuille de valeurs mobilières: compte cash, actions, obligations, etc. Leur but principal: transmettre des patrimoines en évitant les droits de succession.» L’ex-banquier ajoute: «Ces off-shore étaient détenues par des trusts administrés depuis Jersey. Ces trusts étaient domiciliés aux Bahamas, aux Caïmans, aux îles Vierges britanniques ou à Jersey. L’identité réelle des bénéficiaires n’était connue que de la Chase Bank and Trust Ltd. à Saint-Hélier.» Jean-Claude Schaeffer poursuit: «La loi panaméenne exige de nommer trois administrateurs par société. Comme ces off-shore étaient pilotées en sous-main depuis Jersey, il ne fallait pas qu’il y ait plus d’une personne de Jersey au conseil d’administration. Car en cas de fuites, le fisc de Jersey aurait pu considérer ces sociétés sous sa tutelle, et les taxer comme sociétés locales [à l’époque au taux de 20% d’impôt sur le revenu des sociétés actives sur l’île (contrairement aux sociétés off-shore), ndlr]. Les administrateurs étaient donc toujours trois ressortissants fiscaux différents: M. Bish ou un collègue de Jersey, moi-même à Luxembourg, et un représentant de la Chase à Paris ou Genève.» Et selon Schaeffer, qui confirme les documents officiels, ce représentant de la Chase Paris pour Magma, Lorcha et Caliban n’était autre qu’Eric de Sérigny, qui dirigea la filiale parisienne de la banque de 1984 à 1988: «On se rencontrait à Luxembourg, Genève ou Paris, lors de séminaires organisés par la banque. Il était très rare qu’on se déplace spécifiquement pour des conseils d’administration de sociétés off-shore. Je me souviens aussi avoir croisé M. de Sérigny à Boca Raton, en Floride, lors d’un symposium sur le private banking en 86 ou 87. Nous faisions partie de la même famille.» Outre le témoignage de Jean-Claude Schaeffer, un second lot de documents notariés que nous nous sommes procurés confirment qu’Eric de Sérigny a bel et bien participé, comme administrateur «prête-nom», à ce système orchestré par la Chase à Jersey. En sus de Lorcha, Magma et Caliban, il a administré à la fin des années 80, avec Bish et Schaeffer, pas moins de huit autres coquilles panaméennes qui portent les noms exotiques de Falloon, Harold Hill, Gavsym, Hayward, Bellini, Annulet, Highbury et Samares. D’après le registre des sociétés, seule Falloon est toujours vivante aujourd’hui. Ces nouveaux documents sont très précis. Certains mentionnent à la fois le nom et la véritable adresse professionnelle d’Eric de Sérigny à l’époque, rue Cambon à Paris. C’est là, par exemple, qu’un conseil d’administration d’Annulet s’est tenu le 26 février 1987. Le duc Thierry de Looz Corswarem, de la Chase Paris, démissionne de ses fonctions d’administrateur d’Annulet. Eric de Sérigny est illico nommé à sa place. Il dirigera la panaméenne jusqu’au 17 mai 1988, date à laquelle il se fait remplacer par Francis J. Vassallo, un cadre de la Chase qui officia à Luxembourg, Jersey et Madrid, et devint gouverneur de la Banque centrale de Malte en 1993. Eric de Sérigny confirme avoir professionnellement côtoyé le duc de Looz Corswarem: «Celui-ci a été recruté via un chasseur de têtes vers 1986 pour me seconder au sein de la Chase Bank. La banque a toutefois dû s’en séparer au bout d’un an environ pour incompatibilité professionnelle.» D’autres comptes-rendus indiquent qu’Eric de Sérigny a signé des procurations à une certaine Esther Aeberli de la Chase Manhattan Private Bank à Genève, pour le représenter lors des conseils d’administration d’Annulet et Gavsym les 17 mai et 15 juillet 1988 au siège genevois de la banque. Mais le principal intéressé ne se souvient pas de son ex-collègue suisse, comme l’indique Me Baratelli: «M. Eric de Sérigny m’indique ignorer totalement qui serait Mme Esther Aeberli, dont il entend pour la première fois prononcer [sic] le nom dans votre mail.» Enfin, le 24 novembre 1988 au QG luxembourgeois de la Chase, Jean-Claude Schaeffer préside, à la chaîne, pas moins de cinq conseils d’administration en compagnie d’une représentante de Keith Bish. Il s’agit notamment d’entériner officiellement le fait qu’Eric de Sérigny a été administrateur de Falloon, Bellini, Harold Hill, Hayward et Highbury du 26 février 1987 au 17 mai 1988. Reste un point à élucider: pourquoi Schaeffer, Bish et Sérigny, alors qu’ils ont tous quitté la Chase, sont-ils toujours renseignés aujourd’hui comme administrateurs de Magma, Lorcha et Caliban? Jean-Claude Schaeffer déclare l’ignorer et affirme n’avoir «rien signé pour ces sociétés depuis le 15 mai 1991», date de son départ de la banque. Reste que les frais annuels «d’entretien» de ces trois panaméennes — 300 dollars de taxe gouvernementale et 250 dollars d’honoraires pour le cabinet d’avocats local [chiffres fournis par le cabinet d’avocats panaméen Gray & Co] — semblent bien avoir été réglés. Car au Panama, le non-paiement de la taxe est synonyme de dissolution automatique. «Généralement, les sociétés sont radiées dans les deux ans», précise le SCF Group, un cabinet britannique d’avocats fiscalistes. Plus de 31.000 dollars auraient ainsi été dépensés, depuis 1991, rien que pour maintenir ces trois off-shore en vie… David Leloup Placé sur la liste «grise» des paradis fiscaux de l’OCDE à l’issue du G20 de Londres, en avril 2009, le Panama ne semble pas être la juridiction la plus empressée de ratifier les douze accords d’échange d’informations fiscales nécessaires pour être rayé de cette liste. En dix-sept mois, ce petit Etat de 3,3 millions d’habitants situé entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique n’a ratifié que trois accords, selon l’OCDE. Le Panama figure en outre sur la liste noire des dix-huit «Etats et territoires non coopératifs sur le plan fiscal» publiée par Bercy le 12 février dernier, lorsqu’Eric Woerth était ministre du Budget et Eric de Sérigny son conseiller. En octobre 2009, les banques françaises se sont engagées à fermer toutes leurs filiales et succursales dans les paradis fiscaux présents sur la liste grise de l’OCDE — dont le Panama. Il faut dire que ce pays est considéré comme l’un des paradis fiscaux, bancaires et judiciaires les plus opaques de la planète. Son «score d’opacité financière», un indice calculé par le Tax Justice Network (réseau qui regroupe des associations luttant contre les effets négatifs de la finance offshore), atteint 92%. Contrairement aux listes «politiques» de l’OCDE, cet indice est calculé sur la base de douze critères objectifs de non-transparence: secret bancaire en vigueur, absence d’accès public aux comptes annuels des sociétés, registre des actionnaires inexistant, possibilité de redomicilier une société rapidement, etc. D.L. Eric de Sérigny, 64 ans, fait office d’importante courroie de transmission entre le monde des affaires et l’UMP. En juin 2006, dans un grand hôtel parisien, il organise une rencontre entre celui qui se prépare à devenir candidat à la présidentielle — Nicolas Sarkozy — et 70 de ses amis, grands patrons du CAC 40 ou d’importantes PME. Ce financier qui a fait carrière dans la banque (Rothschild, Crédit commercial de France, Chase, Lloyds…) s’est constitué un très joli carnet d’adresses dont il fait en réalité profiter Nicolas Sarkozy depuis 1998: «C’est un ami, le seul homme politique que j’ai soutenu dans ma vie », déclare-t-il à Paris Match. Durant la campagne présidentielle, M. de Sérigny donne du souffle au «Premier Cercle», cette association de grands donateurs de l’UMP créée par le trésorier du parti présidentiel, Eric Woerth. Le financier participe à plusieurs réunions et aide Eric Woerth à développer la plateforme. En juin 2007, Eric de Sérigny devient conseiller d’Eric Woerth en charge des «relations avec le monde économique» — une activité «complètement bénévole» qui ne lui a «jamais pris plus de deux à trois heures de [s]on temps quotidien», précise-t-il. Conseiller de l’ombre, en tout cas: son nom n’apparaît sur aucun organigramme officiel... M. de Sérigny a par ailleurs fondé le «W19», un club très sélect où se côtoient les mécènes et soutiens de la carrière politique du maire de Chantilly (Oise), Eric Woerth. Homme de réseaux, Eric de Sérigny aurait proposé en mars 2007 à son vieil ami Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la milliardaire Liliane Bettencourt, de réactiver auprès d’Eric Woerth son dossier pour l’obtention de la Légion d’honneur. Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke a par ailleurs convoqué M. de Maistre fin septembre comme témoin dans l’enquête ouverte en France sur l’escroquerie Madoff. Le magistrat a envoyé des commissions rogatoires au Luxembourg et aux Etats-Unis, où il souhaite des investigations à la... Chase Manhattan Bank. D.L.
Eric Le Moyne de Sérigny, discret conseiller d’Eric Woerth «pour les relations avec le monde économique», ami de Nicolas Sarkozy depuis plus de 20 ans et courroie de transmission entre le monde des affaires et l’UMP, a été administrateur, à la fin des années 80, d’au moins onze sociétés panaméennes détenues par des trusts aux Bahamas, Iles Caïmans, Iles Vierges Britanniques ou Jersey, selon des documents officiels et le témoignage d’un ex-banquier luxembourgeois. Sérigny, qui dément, serait toujours administrateur de trois off-shore aujourd’hui.
Plainte pour usage de faux
Rabatteur de fonds pour Madoff
Un «système» quasi-industriel
La même «famille»
Falloon, Bellini, Annulet et les autres…
Réunions à la chaîneLe Panama, une oasis d’opacité Sérigny, l’«ami» de Sarkozy et Woerth
Une enquête publiée par
mardi 28 septembre 2010
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Quand Eric de Sérigny, ami de Sarkozy, était «prête-nom» au Panama |
lundi 14 juin 2010
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Quand le lobby du tabac recrutait des profs d’unif en sous-main |
Dans les années 1990, les cigarettiers ont orchestré en sous-main des campagnes de presse internationales vantant les vertus sanitaires du plaisir de fumer. Une cinquantaine de professeurs d’université dans le monde ont servi de relais médiatiques, contre rémunération, pour cautionner les messages pro-tabac de l’industrie. Parmi eux, deux Belges: le sociologue Claude Javeau (ULB) et le philosophe Frank van Dun (UGent).
Mais que viennent donc faire Claude Javeau (professeur émérite de sociologie à l’université libre de Bruxelles) et Frank van Dun (professeur de philosophie à l’université de Gand) dans cette galère? Parmi les millions de pages d’archives de l’industrie du tabac publiées dans la foulée des grands procès collectifs de la fin des années 1990 contre les cigarettiers aux Etats-Unis, les noms des deux universitaires belges apparaissent chacun dans une quinzaine de documents.
Des fragments d’une histoire oubliée qui révèlent en tout cas que les deux hommes ont noué, entre 1993 et 1996 au moins, une relation pour le moins ambiguë avec une association internationale créée et financée quasi-exclusivement par l’industrie du tabac: ARISE, pour Associates for Research into the Science of Enjoyment (Association pour la recherche en science du plaisir).
Très active durant les années 1990, cette association cornaquée par David Warburton de l’université de Reading (Royaume-Uni) a organisé des colloques internationaux (à Florence, Venise, Bruxelles, Amsterdam, Kyoto...), commandité plusieurs sondages d’opinion, organisé des tables rondes aux quatre coins du monde et publié trois livres (dont un best-seller), avant de disparaître subitement au tournant du siècle (lire encadré).ARISE: casser le lien entre nicotine et drogues dures
ARISE est la réponse de l’industrie, en 1988, à un rapport retentissant du Surgeon General, la plus haute autorité en matière de santé publique aux Etats-Unis. Pour la première fois, ce rapport affirmait que la nicotine peut créer une dépendance aussi forte que l’héroïne et la cocaïne.
Illico, et en toute discrétion, Philip Morris et Rothmans mettent sur pied un groupe international de sociologues, psychologues, éthiciens et scientifiques. Sa mission: casser ce lien entre nicotine et drogues dures, et faire oublier les chaînes physiologiques de la cigarette. Pour ce faire, les industriels ont une idée diabolique: positionner la clope sur le même plan que d’autres «petits plaisirs» légaux, tels le chocolat, le café, le verre de bière ou les sucreries. Ce sera le leitmotiv d’ARISE.
Au début, l’argent afflue directement à l’université de Reading dans le service de David Warburton, professeur de psychopharmacologie humaine et consultant de longue date pour l’industrie du tabac. En 1994, ARISE dispose de son propre secrétariat piloté par une agence de relations publiques londonienne.
Financée par Philip Morris, British American Tobacco, R.J. Reynolds, Rothmans et Gallaher, l’association se présentait pourtant comme «apolitique» et «indépendante». Son budget pour l’année fiscale 1994-95 dépassait les 770.000 dollars. D.L.
Les deux membres belges de ARISE ont notamment participé à des conférences de presse visant à promouvoir les conclusions biaisées de sondages financés par les cigarettiers. Et ils ne sont pas les seuls: entre 1988 et 2000, une cinquantaine de professeurs d’université de 13 pays ont été membres de cette étrange association.
Séculariser la médecine
Selon les documents, la relation de Claude Javeau avec ARISE débute en novembre 1994. Il intervient aux côtés de Warburton lors d’une conférence de presse à Bruxelles pour promouvoir un sondage sur le stress au travail… et les moyens de le soulager. Comment? Via les «petits plaisirs» de la vie, dont… la cigarette. Dans son speech, le sociologue fustige le «néo-puritanisme» qui frappe nos sociétés et «menace la démocratie», via notamment la «chasse aux buveurs, aux amateurs de sucreries ou encore aux fumeurs». Selon lui, «le respect scrupuleux des conseils de santé (…) peut engendrer davantage de stress encore et en renforcer l’effet nuisible sur l’organisme».
En avril 1995, le sociologue est invité à parler dans un colloque international de trois jours à Amsterdam, dans un hôtel cinq étoiles. Au menu: discussions sérieuses mais aussi agapes et visites touristiques en bateau-mouche, le tout aux frais de la princesse. L’exposé de Claude Javeau, titré «Choix des plaisirs de vivre et défense de la démocratie», est le même qu’à Bruxelles cinq mois plus tôt, mais cette fois prononcé en anglais.
Au printemps 1996, rebelote: Javeau participe à une table ronde internationale, à Bruxelles, au cours de laquelle il déclare qu’«il est temps de séculariser la médecine et de mettre l’accent sur les côtés agréables de la vie plutôt que sur la santé». Une conférence de presse, à laquelle il participe, est organisée dans la foulée.
Quelques mois plus tard, Pleasure and quality of life, un livre collectif rédigé par des membres de ARISE, sort de presse. Javeau et van Dun y signent un chapitre. Une lettre de Warburton à British American Tobacco montre que les frais d’édition du livre précédent de ARISE, sorti en 1994, avaient été couverts par l’industrie – à l’instar des colloques et sondages.
Des milliers d’articles
Grâce au prestige académique de ses membres, à une communication bien orchestrée et à un discours «sexy» et déculpabilisant sur le plaisir, ARISE a généré des milliers d’articles de presse en Europe, aux Etats-Unis, en Australie et même à Hong Kong. Ses plus gros «coups», l’association les doit à ses sondages d’opinion conçus par de grands instituts anglo-saxons en étroite collaboration avec l’industrie.
«J’ai le plaisir de joindre l’ensemble de la couverture médiatique qui a résulté du lancement de la recherche internationale d’ARISE dans 16 pays l’an dernier. Avec plus de 560 articles de presse, près de 200 reportages radio et 70 à la TV, j’espère que vous conviendrez que les résultats sont extrêmement positifs. ARISE et ses messages scientifiques n’ont jamais atteint un public aussi large dans autant de pays», écrivait David Warburton, en février 1995, à un cadre de British American Tobacco en guise de bilan du sondage sur le stress au travail.
«Avoir été membre de ARISE ne fait pas partie de mon passé glorieux, commente aujourd’hui Claude Javeau. Je ne m’en suis jamais vanté, ça ne figure pas dans mon CV. Ca fait partie des nombreuses choses que l’on fait comme ça, peut-être parce que ça me faisait voyager un peu, ça me changeait les idées. Peut-être m’avait-on appâté pour le colloque d’Amsterdam en me faisant miroiter un bel hôtel. Je ne me souviens plus...»
Trous de mémoire
Le sociologue ne se rappelle pas non plus comment il a été recruté, ni la façon dont sa relation avec ARISE s’est terminée. A-t-il été rémunéré pour ses prestations? «Je ne me souviens pas avoir gagné beaucoup d’argent. Pour moi c’était normal: si l’on donne une conférence, on est payé. C’est logique. Si j’ai touché de l’argent, il a été versé à l’ASBL que je gérais pour l’ULB.» Un document interne de Philip Morris détaillant un budget type pour une conférence ARISE mentionne un poste spécifique pour rémunérer les orateurs et couvrir leurs dépenses.
Naïveté sincère ou aveuglement intéressé? Dès sa première prestation pour ARISE, en novembre 1994 à Bruxelles, Claude Javeau savait que l’association qu’il venait de rejoindre était sponsorisée par les cigarettiers. Mais il ne pensait pas que cela pouvait avoir un impact sur les sondages commandités par ARISE.
Frank van Dun, lui, se souvient avoir été contacté par Warburton. «J’avais publié en 1991 une tribune dans le journal De Standaard à propos de l’intrusion du politique dans la sphère privée. M. Warburton ne m’a jamais parlé du financement de ARISE et je ne me suis pas posé la question. Pour moi, c’était une affaire purement académique. J’ai été invité à deux colloques, à Bruxelles et Amsterdam, et j’ai participé à des conférences de presse. Je ne me souviens pas si j’ai été rémunéré. Je n’ai plus de nouvelles de M. Warburton depuis dix ans.»
«Messager» de l’industrie à son insu?
Le nom du sociologue ulbiste apparaît également dans un document stratégique de Philip Morris concernant une campagne internationale de lobbying de plusieurs millions de dollars. Son but? Discréditer le Centre international de recherche sur le cancer (IARC). En 1994, l’industrie redoute que cette agence de l’OMS basée à Lyon ne publie les résultats préliminaires d’une vaste étude épidémiologique sur le lien entre tabagisme passif et cancer du poumon.
Ces résultats allaient inéluctablement avoir des répercussions politiques négatives pour l’industrie. Il s’agissait donc de tout mettre en œuvre pour retarder au maximum le vote de nouvelles lois interdisant de fumer sur le lieu de travail et dans les lieux publics. Le sondage publié par ARISE en novembre 1994 ne portait pas sur le «stress au travail» pour rien...
Dans le volet belge du plan d’action contre l’IARC, Claude Javeau est identifié par l’industrie comme un «messager» chargé de relayer dans les médias les notions de plaisir et de liberté de choix des fumeurs. Des messages destinés à influencer le monde politique dans le but d’inciter le gouvernement à privilégier l’autorégulation des fumeurs (via des chartes) plutôt que de voter des lois contraignantes.
Selon le document, une conférence programmée à l’ULB en 1996 a pour seul but de faire passer deux messages aux politiques: primo, fondez vos nouvelles lois sur de la science de qualité car la méthodologie de l’IARC est biaisée; secundo, les médias risquent d’être très critiques à votre égard si vous votez des lois anti-tabac impopulaires.
Participation active du sociologue ou instrumentalisation machiavélique de son discours à son insu? «Je n’ai jamais eu le moindre lien avec Philip Morris, affirme Claude Javeau. Que mon nom se retrouve dans ces documents ne me réjouit évidemment pas. Mais je n’ai rien fait de mal. Je n’ai pas fait l’apologie de la drogue, comme certains.»
Selon l’OMS, le tabac tue 5,4 millions de personnes chaque année dont 600.000 décès prématurés dus au tabagisme passif.
David LeloupElizabeth E. Smith:
«Une corruption industrielle de la science»
Vous êtes professeure au département des sciences sociales et comportementales de l’université de Californie à San Francisco, et auteure d’une étude sur l’impact médiatique de ARISE. Qu’avez-vous découvert?
Nous avons analysé un corpus de 846 articles de presse générés par les activités de ARISE entre 1989 et 2005 aux Etats-Unis, en Europe et dans la région Asie/Pacifique. Ce n’est qu’une partie de ce qui a été publié. La plupart de ces articles relayaient deux idées. La première: le tabagisme est un plaisir sain car éprouver du plaisir est bon pour l’organisme. La seconde: les campagnes recommandant un mode de vie sain – donc y compris celles prônant d’arrêter de fumer – sont stressantes et donc mauvaises pour la santé, car le stress diminue l’immunité. Par ailleurs, peu d’articles ont donné la parole à des défenseurs de la santé, et seulement 18 [soit 2%, NDLR] ont révélé la vraie nature de ARISE: une façade de l’industrie du tabac.
Pourquoi était-il important pour l’industrie de cibler les médias de masse via ARISE?
Injecter des messages pro-tabac dans les médias de masse permet de semer le doute dans les esprits. Une étude réalisée sur la période 1950-1990 aux Etats-Unis montre que davantage de gens arrêtent de fumer quand les médias mettent l’accent sur le consensus scientifique à propos des dangers du tabac. Par contre, quand les médias présentent les risques sanitaires de la cigarette comme étant “controversés”, les taux de cessation tabagique chutent.
Que reprochez-vous aux membres de ARISE?
Principalement d’avoir donné leur caution académique à des conclusions erronées, tirées de sondages élaborés par l’industrie. ARISE est une forme de corruption industrielle de la science. Les sondeurs demandaient par exemple aux sondés s’ils fumaient pour se relaxer ou évacuer le stress. Le fait que certains répondaient “oui” était considéré comme une preuve que fumer était bon pour la santé – une conclusion clairement fausse et injustifiée, indépendamment du fait que techniquement le sondage avait été bien réalisé. Vu que ces “résultats” étaient largement médiatisés comme provenant de ARISE, ses membres auraient dû être au minimum suspicieux, ou prendre leurs distances avec l’organisation. Mais rien n’indique qu’ils aient adopté l’une ou l’autre de ces attitudes. Propos recueillis par D.L.
TEXTO
«Le fumeur trouble les autres – enfin ça reste encore à démontrer...»
«Une démocratie repose sur le sens de la responsabilité des individus. Il ne faut pas mettre trop d’obstacles (…) Je crois que là, en voulant toujours resserrer davantage au nom de principes de santé, de bon comportement, d’attitudes positives, on crée des zones de plus en plus grandes d’anomie, et je crois que c’est l’effet pervers de la chose. Je crois qu’il vaut mieux laisser un espace à ce que j’appelle, après d’autres plus éminents que moi, les “libertés négatives”. Un espace dans lequel après tout, s’ils ont envie de manger du chocolat et d’être gros, s’ils ont envie, je ne sais pas moi, de boire un peu de bière parce que j’aime bien ça, s’ils ont envie de boire trois tasses de café, si on ne créée pas de graves troubles aux autres… Et, vous me direz, le fumeur trouble les autres – enfin, ça reste encore à démontrer –, même, à supposer, on peut effectivement respecter des codes d’éthique. Si les gens ne fument pas, mais si c’est mon envie à moi, pourquoi toujours vouloir me brimer au nom d’une espèce de performativité du corps? (…)»
Claude Javeau, interrogé sur les ondes de la RTBF au journal de 17h30 le 15 novembre 1994.
L’«idéologie de la santé» impose une culture «totalitaire»
«Cette vision de la prévention repose sur l’idée qu’il existe une “valeur santé”, sur une idéologie de la santé qui nous permet de penser qu’il est légitime ou non d’intervenir pour modifier les modes de vie de nos contemporains. La “valeur santé” régit notre société, elle est au même plan que la charité, la justice, le courage... Cette valeur-là imprime à toute notre société des styles de vie, des modes de vie, des légitimités, des illégitimités d’interventions. Ce qui pose problème avec cette vision, c’est l’introduction d’une forme de culture totalitaire, l’introduction de notions de “mauvais”, d’“anti” quelque chose... La problématique du tabac se dessine alors autour d’un discours idéologique qui actuellement est “le tabac c’est mauvais”, niant toute la dimension du plaisir. L’individu qui fume est disqualifié... Des gens ont bonne conscience pour autrui et rejettent les autres, les fumeurs, d’une manière formidablement dédaigneuse... (…) Méfiez-vous des gens qui n’éprouvent pas des plaisirs comme les autres et qui veulent faire le bien de l’humanité...»
Intervention de Claude Javeau le 19 mai 2001, devant une centaine de mandataires communaux et d’intervenants en promotion de la santé qui s’étaient réunis à Namur pour débattre de la prévention du tabagisme.
Enquête parue dans Le Soir du mardi 8 juin 2010
Résumé et commentaires, article, PDF
mardi 11 mai 2010
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Vaccin H1N1: le contrat secret de l’Etat belge avec GSK |
Photo: Pharma Marketing Blog
Nous nous sommes procurés une copie du contrat confidentiel entre GlaxoSmithKline (GSK) et l’Etat belge concernant l’achat de 12,6 millions de doses de Pandemrix, le vaccin contre la grippe A/H1N1. Un contrat signé dans l’urgence, fin juillet 2009, par la ministre fédérale de la Santé Laurette Onkelinx, sans appel d’offre public, et pour lequel la firme pharmaceutique, en position de force (dizaines de gouvernements au portillon, 7.000 emplois en Belgique et 2 milliards d’investissements prévus…), s’est taillée la part du lion. C’est du moins ce qui ressort de la lecture attentive des 62 pages de la «convention» rédigée par les avocats britanniques de GSK et déposée sur la table du gouvernement peu après le 11 juin 2009 – date à laquelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré l’état de pandémie grippale.
Une des clauses controversées de ce contrat stipule qu’en l’absence de défaut de fabrication, GSK rejette toute la responsabilité sur le gouvernement en cas de décès et d’effets secondaires graves liés à son vaccin expérimental. C’est donc l’Etat qui serait chargé d’indemniser les éventuelles victimes du produit. Or au moment de la signature du contrat, le vaccin n’avait pas encore reçu d’autorisation de mise sur le marché européen. Plusieurs études cliniques étaient en cours, mais aucun résultat n’était encore connu. L’Agence européenne des médicaments (EMA) n’a d’ailleurs donné son feu vert définitif au vaccin que le 23 avril 2010. Il y a 15 jours, donc.
Le Pandemrix contient du AS03, un adjuvant controversé à base de squalène (huile extraite du foie des requins) et de thiomersal (un conservateur au mercure). Avant les campagnes de vaccination contre la grippe A/H1N1, l’AS03 n’avait jamais été testé à grande échelle sur des publics à risque. En raison des incertitudes planant sur ce produit, la Suisse a interdit le Pandemrix aux femmes enceintes et aux personnes de plus de 60 ans. D’autres pays, comme la France, l’Espagne ou le Canada, ont choisi de commander des vaccins non adjuvantés précisément pour offrir aux femmes enceintes une alternative au Pandemrix. La Belgique n’a pas fait ce choix.
La Pologne, elle, a carrément refusé de signer le texte proposé par GSK. «Notre département juridique a trouvé au moins vingt points douteux dans le contrat», déclarait en novembre dernier devant le parlement la ministre polonaise de la santé Ewa Kopacz – qui est médecin et a pratiqué la médecine durant 20 ans. «Nous savons que les sociétés qui offrent les vaccins contre la grippe H1N1 ne veulent pas prendre la responsabilité des effets secondaires», avait renchérit le premier ministre Donald Tusk, justifiant ainsi le refus de la Pologne d’acquérir le moindre vaccin.
Moins de morts en Pologne sans vaccin qu’en France avec vaccin
Varsovie a-t-elle eu tort? Selon les chiffres officiels les plus récents, 181 personnes sont décédées à cause du virus A/H1N1 en Pologne (38,5 millions d’habitants), contre 312 en France métropolitaine (62,2 millions d’habitants). Or les taux de mortalité sont quasi identiques. Et même légèrement à l’avantage de la Pologne: 4,7 décès par million d’habitant contre 5 en France. Où 5,5 millions de personnes se sont pourtant faites vacciner alors que Varsovie s’est contentée de mesures de prévention classiques (se laver les mains, porter un masque, etc.).
En exclusivité, Le Soir publie sur son site internet le contrat intégral, dont il n’existe que quatre exemplaires signés. Afin de préserver le secret des sources, les paraphes, signatures et autres traces manuscrites ont été effacées.
Selon les estimations de GSK, la firme a assuré plus de 50% des commandes mondiales de vaccins dans 60 pays, et plus des deux tiers des commandes en Europe. De la Suède au Portugal en passant par l’Algérie et le Canada, 60 gouvernements ont signé avec le géant britannique des contrats pour l’essentiel identiques au contrat belge. L’article 11.5 de ce contrat précise d’ailleurs que tous les clients ayant déjà signé avec GSK «ont été traités de façon équivalente» en ce qui concerne le prix des vaccins, la limitation de la responsabilité de GSK et l’indemnisation de la firme par l’acheteur en cas de décès ou de préjudice physique suite à l’administration du vaccin.
La grippe H1N1 a généré 1 milliard d’euros pour GSK Biologicals en 2009, et le groupe prévoit de réaliser à nouveau 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2010 grâce aux ventes de Pandemrix.
Nous avons analysé le contrat et sollicité les réactions d’un juriste et d’une parlementaire. Le premier, Me Philippe Vanlangendonck, est expert en droit de la santé. Il a travaillé au ministère de la Santé de 1998 à 2004. Aujourd’hui avocat au barreau de Bruxelles, il a défendu en novembre dernier plusieurs femmes enceintes qui avaient assigné l’Etat belge en référé pour obtenir un vaccin sans adjuvant. La seconde, Thérèse Snoy (Ecolo), est la présidente de la commission Santé de la chambre. La ministre de la Santé Laurette Onkelinx, qui a signé le contrat avec GSK au nom du gouvernement, répond ensuite à nos questions.
David Leloup
1 Le prix: 110,2 millions et 9 euros la dose
Le prix d’une dose de Pandemrix se décompose comme suit: 1 euro pour l’antigène (qui immunise contre le virus) et 6 euros pour l’adjuvant (qui amplifie la réaction immunitaire). A cela il convient d’ajouter un «droit de mise à disposition» de 1,5 euros par dose pour les 10,5 premiers millions de vaccins livrés – un forfait correspondant au coût de la «réservation de capacité de production et la fourniture» des vaccins.
En ajoutant la TVA qui s’applique aux produits pharmaceutiques (6%), les vaccins utilisés en Belgique ont coûté 9,01 euros pièce, hors injection. Le montant total du contrat se chiffrerait lui, selon nos calculs, à 110.187.000 euros TVA comprise.
La valeur de ce contrat aurait été ramenée à 74,9 millions d’euros suite à la signature, fin janvier, d’un avenant réduisant sans compensation la commande à 68% du volume initial.
Le contrat est valable 5 ans, l’adjuvant est garanti 36 mois et l’antigène 18 mois. Une fois l’adjuvant périmé, l’Etat a la possibilité de le remplacer au prix de 3 euros la dose. Un droit qui ne peut être exercé qu’une seule fois.
2 Un nombre de doses non renégociable a priori
Le nombre de doses commandées (12,6 millions) se fonde sur les recommandations du Groupe consultatif stratégique d’experts (SAGE) de l’OMS. Dans l’incertitude, et par mesure de prudence, celui-ci avait préconisé deux doses par personne à l’issue de sa réunion du 7 juillet 2009 – soit deux semaines avant la signature du contrat par la ministre de la Santé. Mais le SAGE précisait toutefois que «le nombre de doses nécessaires sera ajusté à mesure que l’on disposera de nouveaux éléments».
Or il n’y a aucune clause dans le contrat signé fin juillet qui permette de revoir à la baisse la commande initiale. «Le contrat s’avère non renégociable à des conditions clairement définies en cas de nouvelles données scientifiques concernant le nombre de doses nécessaires pour immuniser correctement les patients. C’est très étrange, car ce genre de clause suspensive est tout à fait classique dans ce type de contrat», s’étonne Me Vanlangendonck. Dès septembre 2009, les premiers résultats d’études scientifiques montraient qu’une seule dose de Pandemrix provoquait une réaction immunitaire suffisante. L’OMS a pourtant attendu le 30 octobre avant d’officialiser la chose, ce qui provoqua une certaine pagaille dans les rangs des vaccinateurs.
3 Une culture du secret poussée à l’extrême
A ce jour, aucun élu n’a pu consulter le contrat en vue d’exercer son pouvoir de contrôle de l’exécutif. Suite à des demandes parlementaires et citoyennes, une version «light» du texte a finalement été publiée fin novembre sur le site web du Commissariat interministériel Influenza. En comparant cette version allégée et le contrat intégral, il apparaît que seuls 4% du texte, hors annexes, ont été rendus publics par le gouvernement (565 mots sur 13.570).
«Il est évident que ce caviardage ne se justifie pas au regard du secret commercial, mais pour des raisons purement politiques dont la légitimité me pose problème», tonne Thérèse Snoy (Ecolo), présidente de la commission Santé de la chambre. «Madame Onkelinx a toujours dit faire preuve de transparence. Mais quand je vois certaines clauses, je pense qu’elle a au contraire tout fait pour qu’elles ne soient pas révélées.»
Cette «culture du secret» transpire tout au long du texte. Comme dans l’article 13.1 où, sous couvert de propriété intellectuelle, il est stipulé que le ministère de la Santé ne peut procéder – hors contrôles de routine – à aucun test de l’adjuvant. Ou encore dans l’article 16.12, qui précise que les avocats du ministère de la Santé ne pourront transmettre à leur client des informations confidentielles que GSK leur aurait fournies.
De même, en cas de litige entre l’Etat et GSK, «aucune partie ne pourra recourir à une juridiction judiciaire, sauf pour demander des mesures conservatoires ou provisoires». Tout devra se régler «à huis clos et de manière confidentielle» devant un tribunal arbitral de la Chambre de commerce internationale, l’organisation mondiale des entreprises (article 16.13). Un scénario inimaginable si le marché avait été public. «Dans ce cas, les tribunaux belges auraient été souverains et leurs décisions publiques», souligne Me Vanlangendonck.
4 Aucune garantie de fourniture, d’efficacité et de sécurité
Le contrat permet tout simplement à GSK de ne pas fournir les vaccins commandés, sans que la firme ait à dédommager le gouvernement d’une quelconque manière pour le préjudice subi. De plus, GSK ne garantit ni l’efficacité, ni la sécurité de son vaccin pandémique. Qui, à la lumière de cette clause, n’aura jamais paru aussi expérimental.
«Il est tout simplement incroyable que le ministère ait pu accepter une telle clause. L’urgence a visiblement fait œuvre d’aveuglement», fulmine la présidente de la commission Santé de la chambre.
5 L’Etat responsable en cas de décès et complications
En cas de décès ou de complication post-vaccinale, l’Etat devra indemniser les victimes qui se retourneront contre GSK. Il devra même prendre en charge les frais d’avocat de la firme pharmaceutique pour le traitement et la contestation des plaintes. GSK n’indemnisera les victimes que «lorsqu’il est démontré que [le] décès ou [le] préjudice physique est directement causé par des défauts de fabrication» résultant soit d’une faute intentionnelle, soit du non respect par GSK des «bonnes pratiques de fabrication» imposées par la législation européenne. Resterait toutefois à l’Etat à démontrer que la complication est directement due à un défaut de fabrication. Ce qui, en pratique, est «quasi impossible», selon Me Vanlangendonck.
«Jamais je n’aurais accepté de signer une telle clause, nous confie cette experte en santé publique et chercheuse en vaccinologie souhaitant garder l’anonymat. Vu la nouveauté d’un tel vaccin et le manque de données scientifiques disponibles au moment de la signature du contrat, j’aurais négocié la coresponsabilité financière de GSK pour les éventuels effets secondaires graves.»
Même son de cloche chez la présidente de la commission Santé de la chambre: «On peut admettre que la responsabilité soit partagée entre l’Etat et GSK, dans la mesure où le vaccin a été agréé par le ministère sur base de tests de non toxicité et d’une procédure d’autorisation. Mais en aucun cas que la responsabilité incombe totalement à l’autorité publique. C’est inouï», estime Thérèse Snoy.
Outre Rhin, le tabloïd Bild avait révélé, en novembre dernier, une disposition similaire dans le contrat liant GSK et Berlin. Quelques jours plus tôt, le premier ministre polonais Donald Tusk avait dénoncé des clauses identiques dans les contrats des sociétés pharmaceutiques qui l’avaient approché, justifiant ainsi le refus de la Pologne d’acheter un vaccin expérimental pour sa population. Enfin, interpellée le 20 octobre en commission Santé de la chambre, Laurette Onkelinx avait subtilement laissé entendre que l’Etat serait finalement responsable en cas d’effets secondaires graves. Au terme d’une longue réponse sur les responsabilités en jeu dans la campagne belge de vaccination, la ministre de la Santé évoquait furtivement la possibilité, pour des victimes de «dommages exceptionnels consécutifs à des vaccinations», de réclamer des indemnités au gouvernement devant «la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat».
6 Même condamné, GSK empoche 50% du contrat
En cas de litige entre les parties, si GSK venait à être sanctionnée par un tribunal arbitral à verser des indemnités à l’Etat, celles-ci seraient «par dérogation au droit commun» plafonnées à 50% du prix du contrat. «C’est le comble de l’hérésie juridique, l’exemple type d’une clause abusive», estime Me Vanlangendonck. «Cet article limite la responsabilité de GSK même en présence d’atteinte à la loi, de faute propre ou de toute autre action – donc y compris en cas de fraude et d’escroquerie. En clair, si GSK avait livré des fioles remplies d’eau plutôt que d’antigène et d’adjuvant, que l’Etat avait porté l’affaire devant la Chambre de commerce internationale, et que celle-ci avait sanctionné GSK, la firme n’aurait dédommagé l’Etat qu’à hauteur de 50% maximum du prix du contrat.»
Cette clause s’appliquerait également en cas de condamnation de GSK au civil par d’éventuelles victimes du Pandemrix dont le préjudice subi ne serait pas dû à un défaut de fabrication du vaccin, précise encore le juriste. Une clause qui fait également s’étrangler Thérèse Snoy.
7 L’Etat juge et partie en cas d’indemnisation
Le contrat stipule que les avocats de GSK traiteront toutes les plaintes adressées à la firme par les éventuelles victimes du vaccin, factureront leurs services à GSK, laquelle redirigera immédiatement ces factures vers l’Etat. Celui-ci recevra en outre copie de chaque plainte et sera consulté avant toute décision d’indemnisation – décision nécessitant la double signature de GSK et de l’Etat.
«Il y a dans cet article 16.12 un ensemble de dispositions qui suggère une protection des intérêts mutuels de GSK et du ministère de la Santé, ce qui implique que l’éventuel réclamant – une victime d’effets secondaires par exemple – devient “l’indésirable” dont chacun se protège avec la complicité de l’autre, commente Thérèse Snoy. Dans le chef du ministère public, cela est tout simplement choquant.»
Ainsi le ministère ne peut-il rien communiquer qui aurait «un impact défavorable sur les intérêts commerciaux, la réputation de GSK ou du vaccin», dit le texte. «Que devient le devoir de l’Etat de protéger le consommateur et le citoyen? Que devient le droit à l’information, le droit à la vérité?», s’interroge la députée.
Par ailleurs, s’il peut à la fois gérer les réclamations des victimes et les indemniser, le ministère de la Santé se retrouve à la fois juge et partie, poursuit Snoy. L’Etat a-t-il intérêt à reconnaître une responsabilité qui risque de lui coûter cher ? Les effets secondaires graves des vaccins, bien que très rares, peuvent en effet concerner des maladies chroniques ou dégénératives qui engendrent des coûts à vie pour la victime (sclérose en plaques…).
8 Des cocontractants «indépendants», mais si proches...
La proximité entre l’Etat et la firme pharmaceutique transparaît à plusieurs reprises dans le texte. Derrière le devoir d’afficher une indépendance de façade, le ministère et GSK entretiennent en fait une grande proximité en coulisses. Ainsi l’Etat doit-il mettre en œuvre «ses meilleurs efforts» pour aider GSK à obtenir toutes les autorisations administratives et règlementaires nécessaires pour livrer le vaccin (articles 8.1, 10 et 11.4.3). Les parties doivent échanger «immédiatement» toute information relative à d’éventuelles menaces de retrait du vaccin par une autorité réglementaire (art. 9). En cas de désaccord sur la qualité des vaccins, les parties «s’apporteront mutuellement l’assistance nécessaire» pour faire trancher leur différend» (art. 3.1 et 3.6.1). De plus, GSK doit pouvoir relire les communiqués de presse de l’Etat avant publication, et réciproquement (annexe D.2). Pourtant, l’article 16.3 stipule noir sur blanc que chaque partie «s’abstiendra de se comporter d'une manière qui implique ou exprime une relation autre que celle d’un cocontractant indépendant» (art. 16.3).
Le dossier complet en PDF (Le Soir, 6 mai 2010)
Le contrat intégral
mercredi 30 décembre 2009
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Climate Business |
Bruxelles, mercredi 28 octobre 2009. Au départ, l’idée était simple: aller à la rencontre du «big business» européen lors de la conférence annuelle de son principal lobby, BusinessEurope. Prendre la température de la communauté des affaires à six semaines du rendez-vous crucial de Copenhague, où les Etats-Unis ont lamentablement provoqué l'avortement du petit frère du protocole de Kyoto. Réaliser ensuite un sujet d’ambiance d’une dizaine de minutes pour CEO TV, un nouveau webmédia auquel j’ai le plaisir de contribuer.
Raté.
A peine avions-nous notre badge d’accréditation autour du cou qu’une trentaine de manifestants prenaient d’assaut le Charlemagne, ce building de la Commission à l’imposant manteau de verre situé en contre-bas du Berlaymont. Très vite, les accès au bâtiment furent bloqués.
Suspendues à des ballons d’hélium dans le hall d’entrée, des alarmes stridentes se mirent à hurler l’alerte climatique pendant que des membres du collectif informel «Climate Alarm!» distribuaient des tracts, sur le trottoir et à l’intérieur du Charlemagne, aux technocrates et conférenciers ébahis voire irrités par tant d’outrecuidance.
Ce blocus non violent, qui a duré une heure trente, a fortement amputé les rangs de l’amphithéâtre jusqu’en milieu de matinée. Les forces de l’ordre ont fait usage de lacrymos pour déloger les manifestants qui bloquaient, avec de simples cales en bois, les deux portes tambour donnant accès au bâtiment. Bilan: 23 arrestations administratives, deux blessés et un joyeux bordel.
Au grand dam de BusinessEurope, plusieurs «taupes» s’étaient inscrites à la conférence. Et l’ont perturbée de façon non violente via chants, numéros de clowns ou questions de fond adressées aux orateurs — genre: «Est-il bien rationnel de laisser les entreprises — des entités gouvernées par le profit à court terme — influencer les négociations de Copenhague, qui impliquent fondamentalement une prise en compte du très long terme?».
Invité à participer à un panel en matinée, l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (Verts-ALE) a exprimé son vif soutien aux manifestants, et fustigé le manque d’ambition de BusinessEurope sur la question climatique. Une absence d’appétence dont la confirmation éclatante est sortie fin d’après-midi de la bouche même du directeur général du lobby patronal. Perché à la tribune, le baron Philippe de Buck van Overstraeten demanda instamment à un José Manuel Barroso fraîchement arrivé et assis en hâte au deuxième rang, «de ne pas aller trop vite vers l’objectif de moins 30%» d’émissions de gaz à effet de serre adopté par la Commission en janvier 2009.
Pour rappel, les Etats membres se sont engagés à réduire leurs émissions de 20% d’ici à 2020 (par rapport à 1990) – un chiffre qui pourrait grimper à -30% en cas d’accord international ambitieux et contraignant. Entériné à Mexico fin 2010?
Climate Business (29’). Avec: Philippe de Buck van Overstraeten (directeur général, BusinessEurope), José Manuel Barroso (président de la Commission européenne), Stavros Dimas (commissaire européen pour l’Environnement), Karl Falkenberg (directeur général, DG Environnement), Claude Turmes (Eurodéputé, Verts-ALE), Graeme Sweeney (Shell), Dominique Mockly (Areva), Jason Anderson (WWF), Roland Verstappen (ArcelorMittal), Philippe de Casabianca (CEFIC), Wolfgang Weber (BASF), Eric De Ruest (Climate Alarm!)...
samedi 19 décembre 2009
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Coup d’Etat raté (de peu) à Copenhague |
COPENHAGUE — Les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud, soit cinq poids lourds des 194 juridictions signataires de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques (UNFCCC), se sont mis d’accord vendredi peu après 22 heures sur une simple feuille de route jetant les bases d’un éventuel futur accord international sur le climat fin 2010. Ce que l’on sait moins, c’est que faute de consensus la plénière n’a pas adopté formellement ce texte.
Le document, intitulé abusivement «Copenhagen Accord», «reconnait le point de vue scientifique» selon lequel il est nécessaire de limiter le réchauffement planétaire à 2 degrés en 2100 par rapport aux niveaux pré-industriels. Mais il ne s’engage pas formellement en ce sens, ni ne fixe le moindre objectif de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés à l’horizon 2020.
L’«accord des Cinq» prévoit en outre de débloquer une enveloppe de 30 milliards de dollars au cours des trois prochaines années afin d’aider les pays en développement à lutter contre le réchauffement. Cette enveloppe devrait gonfler pour atteindre 100 milliards par an à partir de 2020.
La France s’est immédiatement alignée sur les Cinq, suivie quelques heures plus tard par une Union européenne pourtant humiliée par un deal dont elle a délibérément été exclue (son leadership international sur la question climatique agace les autres grandes puissances).
Conférences de presse sans journalistes
La nouvelle d’un «accord» à peine tombée sur le fil d’Associated Press, le président français Nicolas Sarkozy donnait une conférence de presse organisée à la hâte à l’hôtel Crowne Plaza semble-t-il, à quelques encablures du Bella Center qui abrite la conférence depuis deux semaines. Le président étasunien Barack Obama s’est également fendu d’un «briefing presse» dans un endroit indéterminé (la Maison Blanche indique qu’il s’agit du Bella Center bien que la presse internationale présente sur place n’ait pas été conviée et que le décor neutre d’arrière-plan ne corresponde pas à celui du COP15) devant au moins trois journalistes étasuniens (Jeff Mason de Reuters, Jennifer Loven d’Associated Press et Helene Cooper du New York Times sont mentionnés dans le compte-rendu; lors de la diffusion sur le réseau télé interne du Bella Center, aucun contre-champ n’a montré à qui Obama parlait).
En choisissant de ne s’adresser qu’à quelques journalistes nationaux triés sur le volet, les deux leaders politiques ont habilement échappé aux questions potentiellement féroces de la meute de journalistes internationaux parqués au Bella Center.
Chose importante, l’«accord des Cinq» n’a pas été formellement adopté en séance plénière par les délégués des 194 signataires de l’UNFCCC, faute de consensus. La conférence des parties a «pris acte» («takes note», en anglais et en italiques dans le texte) du document samedi matin vers 10h45, après une nuit de négociations tendues, agrémentées de plusieurs (longues) interruptions de séance et un changement de présidence.
Un «holocauste» pour l’Afrique
Tuvalu, Cuba, le Venezuela, la Bolivie et le Soudan ont mené la fronde en attaquant sévèrement le texte, tant sur le fond (trop vague, peu ambitieux et non contraignant) que sur le processus qui l’a engendré (la plénière n’a jamais donné mandat à la présidence danoise de déléguer à un petit groupe de nations le soin de rédiger les bases d’un accord pour tout le monde).
Le Soudan en a choqué plus d’un en comparant les conséquences de l’accord des Cinq à un futur holocauste pour l’Afrique, demandant illico à l’ONU d’«incinérer ce document [de son] système».
Sous la pression, Tuvalu s’est rétracté vers 7h30 du matin, mais les autres frondeurs ont campé sur leurs positions, empêchant ainsi la plénière d’atteindre un consensus pour adopter formellement le texte.
Le site officiel de l’UNFCCC mis à jour samedi après-midi confirme bien que la plénière n’a pas entériné l’accord des Cinq. Un tableau reprend les différentes décisions formellement adoptées par la Conférence des parties. L’«Accord de Copenhague» ne figure pas dans ce tableau mais est publié isolément sous celui-ci.
Dans les faits, les travaux de la Conférence des parties vont se poursuivre normalement. Ils pourraient se cristalliser sous la forme d’un accord contraignant lors de la COP 16 (la conférence annuelle des signataires de l’UNFCCC) qui se tiendra à Mexico en novembre 2010. Mais absolument rien n’est joué.
dimanche 13 septembre 2009
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Trois listings Clearstream sur Internet |
A une semaine du procès Clearstream, l’internaute lambda qui «google» judicieusement la toile peut tomber sur trois listings originaux de la très privée chambre de compensation internationale. Clearstream est-elle l’institution financière luxembourgeoise la plus «fuitée» de la planète?
Le fameux listing Clearstream de 2001, celui-là même qui fut par la suite trafiqué pour mouiller Nicolas Sarkozy dans l’affaire des frégates de Taïwan, est librement accessible dans un recoin perdu d’Internet. Tout comme le listing de 1995 à l’origine de l’enquête de Denis Robert. Avec le «petit dernier» de 2004, qui mentionne une mystérieuse Bank Madoff, cela fait trois listings Clearstream téléchargeables aujourd’hui par le commun des mortels. Trois documents sensibles que la chambre de compensation internationale basée à Luxembourg et Francfort aurait sûrement préféré garder secrets.
Le plus étonnant, c’est que deux de ces listings – ceux de 1995 et 2001 – sont en ligne depuis plus de trois ans. Ils ont été publiés respectivement en mai et juin 2006 par le New-Yorkais John Young sur son site Cryptome – qualifié à l’époque de «site Internet le plus dangereux du monde» par le magazine Radar. Le troisième listing, daté de 2004, a quant à lui été «fuité» il y a quelques mois sur le portail étasunien Wikileaks.
Dans une lettre datée du 11 juillet 2006, l’avocat new-yorkais de Clearstream menaçait Young de poursuites judiciaires s’il ne retirait pas illico de son site les deux listings de 1995 et 2001. «Ces documents sont des tableaux Excel contenant des informations confidentielles sur nos clients, obtenues de Clearstream par des voies détournées», précisait Paul Hessler du cabinet Linklaters – authentifiant par là même les deux documents. Mais voilà, si les fichiers litigieux ont bien été ôtés des serveurs new-yorkais pilotés par Young, des copies figurent toujours sur un obscur serveur «miroir» situé en Autriche...
Prolifération des comptes non publiés
Le listing de 1995, qui est à l’origine de l’enquête fleuve — trois livres — du journaliste Denis Robert, contient 4.146 comptes clients ouverts directement auprès de la chambre de compensation. Outre les noms, numéros et statuts des comptes (publié/non publié), il renseigne également les noms et adresses des gestionnaires officiels des comptes.
Sur ces 4.146 comptes, 2.215 (53%) sont «publiés» (c’est-à-dire qu’ils figuraient à l’époque dans la liste de comptes mise à disposition des utilisateurs du réseau Clearstream), 1.926 comptes sont «non publiés» (hors liste officielle, donc connus des seuls initiés) et cinq ont un statut indéterminé (dû à des erreurs d’encodage).
En avril 2006, à titre de comparaison, Clearstream indiquait au journal Le Monde disposer de 5.542 comptes ouverts, dont 3.239 non publiés. Ce qui fait 42% de comptes publiés. Par rapport aux 53% de 1995, la baisse est significative. En fait, sur les 1.396 nouveaux comptes ouverts en 11 ans, l’immense majorité — 1.308 comptes, soit 94% — sont des comptes non publiés.
Pour rappel, les comptes non publiés sont soit des «sous-comptes» de comptes officiels (publiés) visant à faciliter les transferts entre filiales d’une banque et de sa maison mère, soit des comptes qui ne se rapportent à aucun compte officiel. Une banque peu scrupuleuse pourrait ainsi ouvrir des comptes non publiés, sous son nom et sa responsabilité, derrière lesquels se dissimuleraient des clients privilégiés. Ceux-ci auraient alors toute latitude de transférer des fonds n’importe où dans le monde, en toute opacité, à d’autres particuliers utilisant le même stratagème...
Recel de vol et d’abus de confiance
Le listing de 2001 (et non de 2002 comme annoncé à tort par Cryptome) est lui beaucoup plus large: il contient 33.340 comptes dont la très grande majorité sont des comptes de «contreparties», c’est-à-dire des comptes non ouverts directement chez Clearstream mais chez un autre dépositaire central avec lequel un client de Clearstream peut effectuer des opérations. C’est le cas par exemple d’Iberclear en Espagne, de la DTCC aux Etats-Unis, de Monte Titoli en Italie, etc.
Cet «annuaire financier» de plus de 33.000 références est en réalité le fameux listing obtenu par Florian Bourges, un ancien stagiaire chez Arthur Andersen qui a participé à l’audit de Clearstream en 2001. Bourges aurait d’abord remis le document à Denis Robert, puis à l’ex-trader Imad Lahoud qui a reconnu l’avoir falsifié en y ajoutant le nom de plusieurs personnalités, dont Nicolas Sarkozy, pour suggérer qu’elles auraient touché des commissions ou rétro-commissions lors de l’achat par Taïwan, en 1991, de six frégates à Thomson CSF.
Le simple fait de posséder une copie de ce listing a valu à Denis Robert une mise en examen en décembre 2006 pour «recel de vol de documents bancaires» et «recel d’abus de confiance». En conservant ce listing, Florian Bourges (lui aussi mis en examen pour les mêmes motifs) aurait en effet «volé» ce document à Clearstream et, ce faisant, «abusé» de la confiance de son employeur d’alors (Arthur Andersen). C’est du moins le point de vue des juges français Jean-Marie d’Huy et Henri Pons en charge de l’affaire Clearstream 2. Le procès, qui verra notamment Dominique de Villepin en «vedette» dans le box des accusés, se déroulera du 21 septembre au 21 octobre prochains devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris.
Le compte 62.619 de l’énigmatique Bank Madoff
Fin 2008, un nouveau listing Clearstream, jusqu’ici inconnu, a fait irruption sur le site étasunien Wikileaks. Publié sous la forme d’un fichier PDF de plus de mille pages, le listing recense quelque 38.838 comptes de contreparties en date du 1er juillet 2004. L’authenticité du document a été confirmée il y a quelques mois par Clearstream.
A la page 712 du listing figure une référence intrigante: le compte 62.619 ouvert au nom d’une énigmatique «Bank Madoff» à New York. Contacté par Médiattitudes, l’administrateur judiciaire Irving Picard se refuse à tout commentaire sur le rôle éventuel de cette mystérieuse banque dans l’escroquerie pyramidale fomentée par l’ex-star de Wall Street.
L’éventualité de mettre les autoroutes de la finance globalisée sous tutelle publique internationale n’a pas du tout été envisagée par le G20 lors de sa réunion «historique» du 2 avril dernier, pas plus qu’elle ne figure à l’agenda de sa prochaine réunion à Pittsburgh les 24 et 25 septembre prochains.
Les trois listings Clearstream disponibles en ligne:
dimanche 26 juillet 2009
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Des subsides à gogo, mais surtout pas d’impôts... |
Côté cour, Philippe Stoclet, petit-fils du commanditaire du palais Stoclet, fait du lobbying politique et médiatique pour que les pouvoirs publics rachètent l’immeuble et son mobilier pour 100 millions d’euros, et restaurent le tout. Côté jardin, cet ancien financier a caché pendant 15 ans des millions de dollars au fisc dans un trust aux îles Caïman.
Dix millions. En euros, ce serait le coût global estimé de la restauration complète du palais Stoclet, ce joyaux architectural de l’avenue de Tervueren que l’Unesco vient d’inscrire au patrimoine mondial de l’humanité. En dollars, c’est la coquette somme que Philippe Stoclet, 78 ans, petit-fils du premier propriétaire du palais, avait placée en 1999 dans un trust des îles Caïman, selon les documents d’un ex-banquier suisse.
Philippe Stoclet et ses fils sont les derniers descendants mâles à porter le patronyme de leur grand-père et arrière-grand-père Adolphe Stoclet, l’ingénieur et banquier belge qui fit construire le palais éponyme en 1905 avec un budget illimité. Mais ils ne sont pas pour autant héritiers de cet immeuble prestigieux : en 1951, la branche de Philippe Stoclet a revendu ses parts – meubles et argenterie compris – à son oncle Jacques, le père des quatre héritières.
Mais Philippe, unique petit-fils, aîné de sa génération, se considère l’héritier «moral» du palais. Il y a vécu ses quinze premiers printemps et a toujours été très attaché à sauvegarder ce chef-d’œuvre architectural irrévocablement lié à son nom et à la mémoire de ses grands-parents. Quitte à se muer en lobbyiste. «J’ai rendu visite à plusieurs occasions au ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, Charles Picqué, pour le pousser à introduire le dossier à l’Unesco, et à l’activer», explique-t-il.
(...)
Version intégrale (sans commentaires)
Version Belga (avec commentaires)
Version PDF
mardi 2 juin 2009
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Quand des supporters wallons entonnent les slogans de l’extrême-droite flamande |
On se souvient des chants footballistiques très fins «les Wallons c’est du caca» et «les Wallons sont pédophiles», scandés il y a quelques mois par des supporters flamands fort «inspirés» lors des matches Tubize-Genk et Virton-Antwerp.
Cette fois, ce sont des supporters wallons qui s’illustrent en versant une nouvelle louche d’huile sur le feu communautaire.
En déplacement à Tienen (Tirlemont) le 26 avril dernier, les supporters du RFC Liégeois ont entonné en chœur «Les Wallons ne travaillent pas (...), et les Flamands travaillent pour nous!». Mettant en «musique» le fond de commerce anti-wallon du Vlaams Belang ou de la N-VA — laquelle soutenait déjà les premiers dérapages à connotations racistes des cops flamingants.
Est-ce parce qu’ils furent battus 4-1? Toujours est-il que les supporters du RFC Liégeois sont passés maîtres dans la provocation vicieuse («OK, tu gagnes aujourd’hui, mais je te rappelle mon gars que c’est toi qui paie mon chômage et mes factures, et je t’emm...»). Provocation minable qui en dit long sur l’état de l’orgueil wallon en 2009.
Selon la Banque nationale de Belgique, la Wallonie reçoit 5,8 milliards d’euros par an de la Flandre grâce aux transferts financiers entre Régions. Une solidarité nord-sud qui répond à celle — sud-nord — qui prévalût des décennies durant jusqu’aux années 80.
mardi 26 mai 2009
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Bourse CO2: 1,2 milliard de bonus pour ArcelorMittal grâce au chantage à l’emploi |
C’est le monde à l’envers. Alors que les émissions de CO2 d’ArcelorMittal sont en hausse depuis 2005 (+7,5%), le système européen d’échange de quotas d’émissions, censé pénaliser les gros pollueurs, aurait rapporté plus de 1,2 milliard d’euros, en cash et en titres, au numéro un mondial de l’acier ces quatre dernières années. Décryptage d’un hold-up environnemental qui carbonise le principe du «pollueur-payeur».
A lire sur
lundi 18 mai 2009
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Non-interview exclusive de Benoît Lutgen |
Cela fait maintenant près d’un mois que j’essaye d’obtenir une réaction du cabinet du ministre wallon de l’Environnement (le social-chrétien Benoît Lutgen) à une réalité sociale et environnementale de premier plan pour la Wallonie.
Le pitch: le géant de la sidérurgie ArcelorMittal va fermer «temporairement» de nombreuses installations industrielles pour lesquelles la multinationale a reçu gratuitement, pour couvrir ses besoins, des millions de permis d’émission de CO2 de la Région wallonne et du gouvernement fédéral. Des permis que le sidérurgiste avait exigés en contrepartie de la réouverture, en février 2008, du haut-fourneau n°6 à Seraing – l’un des 12.000 sites industriels les plus polluants de l’Union européenne forcés de participer au système d’échange de quotas d’émissions mis en place par Bruxelles en 2005.
Un permis permet d’émettre une tonne de CO2. Si ces permis alloués gratuitement ne sont pas utilisés (diminution subite de la demande d’acier, délocalisation économique délibérée, etc.), ils peuvent être revendus au prix du marché. La valeur moyenne d’un permis est estimée à 29 euros au cours de la période 2009-2012, mais beaucoup plus au-delà (à commencer par 42 euros en 2013).
In fine, ces permis sont payés par les consommateurs d’électricité – vous, moi, les entreprises. En effet, ce sont les centrales électriques au charbon et au gaz qui sont les principales acheteuses de permis. Résultat, elles en répercutent directement le coût aux consommateurs. D’où ces questions à cinquante centimes: le numéro un mondial de la sidérurgie remboursera-t-il les 25% de permis du HF6 qu’il a reçus en 2008 mais n’a pas utilisés en janvier et février (avant la réouverture) et en décembre (après la refermeture)? Remboursera-t-il une partie des permis des installations qu’il s’apprête à fermer en 2009?
Ces questions apparaissent d’autant plus brûlantes que, dans les prochains jours, le sidérurgiste fermera – entre autres – le deuxième haut-fourneau liégeois (le HFB d’Ougrée) et sa chaîne d’agglomération, l’aciérie et le laminoir à chaud de Chertal, et que, par ailleurs, le site hennuyer de Châtelet est menacé à moyen terme.
Une dizaine de courriels et autant de coups de fils – pourtant très courtois – adressés à son cabinet, son attachée de presse et son administration n’y feront rien: le «Daniel Ducruet» de la politique wallonne, comme l’a surnommé le journal satyrique Pan, reste muet dans toutes les langues. Et ce malgré plusieurs promesses fermes de réponse de son attachée de presse Audrey Jacquiez. Apparemment, c’est lui qui décide quand il parle et de quoi il parle, même en campagne électorale (Benoît Lutgen est tête de liste aux régionales dans la circonscription d’Arlon-Marche-en-Famenne).
Que les syndicats belges FGTB et CSC aient manifesté en front commun le 11 mai à Namur, le 12 mai à Luxembourg devant le «château» d’ArcelorMittal et le 15 mai à Bruxelles, ne l’a guère incité à sortir du bois.
J’avais entre autres promis au ministre Lutgen et à son attachée de presse de publier l’intégralité de son interview sur ce blog. Fidèle à mes engagements, la voici:Question 1: La quantité de quotas attribuée à chaque installation émettrice de CO2 a été déterminée pour la période quinquennale 2008-2012 dans l’Arrêté du Gouvernement wallon du 11 septembre 2008 dont vous êtes chargé de l’exécution:
http://environnement.wallonie.be/LEGIS/air/air023.htm
Comment sont distribués concrètement les quotas aux installations (en une fois? en cinq fois, annuellement?) et à quelle(s) date(s) exactement? [sachant qu’une fois alloués ils ne peuvent être repris]
Benoît Lutgen: ...
Q2: Est-ce que l’octroi des permis d’émission de CO2 à ces installations industrielles est conditionné au maintien de l’emploi/de l’activité? Si oui, selon quels critères exactement? Si non, pourquoi?
Benoît Lutgen: ...
Q3: ArcelorMittal a décidé de fermer temporairement, en mai 2009, des installations en Région wallonne:
- le deuxième haut-fourneau liégeois (HFB d’Ougrée) sera arrêté pour la fin mai au plus tard;
- arrêt de la chaîne d’agglomération d’Ougrée,
- arrêt de l’aciérie,
- arrêt du laminoir à chaud de Chertal,
- production de la cokerie réduite de 50%.
On parle à présent d’une fermeture possible du site de Châtelet.
ArcelorMittal va-t-il devoir "rembourser" une partie des quotas perçus en 2008 et 2009 pour ces installations? Si oui, selon quelles modalités? Si non, pourquoi et que comptez-vous faire?
Benoît Lutgen: ...
Q4: Que pensez-vous du fait qu’ArcelorMittal est, depuis 2005, le plus gros bénéficiaire du système européen d’échange de quotas d’émissions (ETS)? Selon les chiffres officiels de la Commission, ces quatre dernières années ArcelorMittal a accumulé un surplus de 78,6 millions de permis (...) [au sein de l’Union européenne; permis qu’il peut revendre au prix du marché]
Benoît Lutgen: ...
Q5: Selon Reuters, ces surplus proviennent essentiellement du lobbying agressif de la compagnie aux niveaux européen et national, l’arme principale de Lakshmi Mittal étant le spectre des délocalisations:
http://www.reuters.com/article/latestCrisis/idUSL9933905
Que peut encore le politique face à une telle situation?
Benoît Lutgen: ...
Q6: Le 27 mars dernier la Commission européenne s’est opposée à l’allocation de quotas au HF6 de Seraing (installation 116, permis WAI011P037):
"The Commission found that the corrections notified for installation No. 116 (Permit no. WAI011P037) are inadmissible because they are not in accordance with the methodologies set out in Belgium’s National Allocation Plan and the 2009 allocation can not be reduced for installations No. 182 (Permit no. WAI098P1 07) and No. 203 (Permit no. VL409) because the allowances were already transferred to the accounts of the installations."
http://ec.europa.eu/environment/climat/emission/pdf/nap2008/be.pdf
La Région wallonne a-t-elle une parade pour quand même attribuer des quotas? Si non, que comptez-vous faire pour en attribuer à ArcelorMittal une fois que la reprise sera là (si vous êtes reconduit dans vos fonctions)?
Benoît Lutgen: ...