mardi 23 janvier 2007

Téléphonie mobile: trafic d’influence à l’OMS?

Un haut-fonctionnaire suspecté d’avoir pédalé pendant 10 ans pour l’industrie

Opérateurs, fabricants de téléphones portables, pouvoirs publics: tout le monde, sans exception, se réfugie derrière les sacro-saintes recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de rayonnement électromagnétique. Mais l’OMS est-elle vraiment si neutre et objective que cela?


Noyautage, lobbying intensif, trafic d’influence, financement intéressé... : en juillet 2000, un comité d’experts indépendants mandaté par l’OMS publiait une bombe de 260 pages détaillant par le menu les sombres tactiques utilisées par les cigarettiers pour miner les campagnes antitabac de l’OMS. Au même moment, pour désamorcer le scandale, l’agence onusienne émettait 15 pages de recommandations afin qu’à l’avenir son travail ne soit plus jamais sapé de la sorte par des intérêts industriels. Mais aujourd'hui, l’OMS a-t-elle réellement tiré les leçons du passé? De plus en plus de monde en doute.

Ces dernières années, l’étau de la suspicion s’est notamment resserré autour d’un homme qui, jusqu’il y a peu, détenait un pouvoir considérable. Si le nom de Mike Repacholi n’évoque rien pour le commun des mortels, il donne par contre de l’urticaire à de nombreux scientifiques ainsi qu’aux associations militant pour l’instauration de normes d’émissions électromagnétiques plus sévères.

Pétition et lettres ouvertes

Physicien et docteur en biologie, Mike Repacholi a été ces dix dernières années le coordinateur du Projet international pour l’étude des champs électromagnétiques (ou «projet CEM»), lancé par l’OMS en 1996. Son rôle? Celui de «supersecrétaire» chargé de coordonner des programmes de recherche dans le monde entier afin d’évaluer les éventuels risques sanitaires liés aux lignes à haute tension, antennes relais et autres GSM. Sur la base des résultats scientifiques obtenus, l’OMS émet alors des recommandations mondiales de santé publique.

Or les détracteurs de M. Repacholi lui reprochent d’avoir systématiquement évacué ou minimisé les études «dérangeantes» pour l’industrie, impliqué celle-ci dans le processus de décision, écarté des scientifiques de renom des groupes d’experts réunis par ses soins à l’OMS, mais aussi d’avoir été très timoré dans ses recommandations de santé publique et d’avoir fait financer «son» projet CEM en grande partie par les industriels de la téléphonie mobile. En caricaturant à peine, l’homme est accusé, ni plus ni moins, d’avoir pédalé pendant dix ans pour l’industrie.

Une pétition internationale a circulé pour réclamer sa tête. Sans résultat. En juillet dernier, sauvé par l’âge légal de la retraite, M. Repacholi a quitté l’agence onusienne par la petite porte. Ce qui n’a pas empêché six ONG françaises d’adresser, en octobre et en décembre derniers, deux lettres ouvertes à la direction générale de l’OMS pour qu’elle diligente au plus vite une enquête sur les agissements suspects de M. Repacholi durant son mandat.

Expert judiciaire pour l’industrie

«Le projet CEM était corrompu dès le départ, estime Andrew Marino, professeur de biologie cellulaire au Centre des sciences de la santé de l’université de Louisiane (Etats-Unis). Michael Repacholi était connu depuis plus de six ans comme consultant rémunéré et porte-voix des compagnies responsables de générer de la pollution électromagnétique.» Ce qui est sûr, c’est que M. Repacholi a été embauché par une compagnie d’électricité australienne, en 1990, pour témoigner comme expert en sa faveur dans un procès intenté par des fermiers de Nouvelle-Galles du Sud opposés à l’installation d’une ligne à haute tension sur leurs terres. Fin 1995, quelques mois avant de prendre la tête du projet CEM à l’OMS, M. Repacholi s’est à nouveau complaisamment prêté à ce petit jeu. Pour le compte de l’opérateur de téléphonie mobile néo-zélandais BellSouth, cette fois. Il s’agissait alors d’argumenter en faveur de l’opérateur contre des riverains de Christchurch opposés à l’implantation d’une antenne relais à 70 mètres d’une crèche...

Deux ans plus tard, M. Repacholi «a également tout fait pour minimiser et étouffer les résultats fracassants d’une étude réalisée sur des souris transgéniques en Australie, se souvient Etienne Cendrier de l’association Robin des toits. Cette étude, réalisée en double aveugle, montrait un risque de tumeur doublé lorsque les souris étaient exposées deux heures par jour, durant 18 mois, au rayonnement d’un GSM.» Ces souris, génétiquement modifiées pour développer facilement des tumeurs, sont couramment utilisées en recherche pour «gagner du temps», afin d’anticiper les effets d’un médicament ou d’un facteur environnemental qui, normalement, n’apparaîtraient qu’après de nombreuses années. Coordonnée par M. Repacholi dès 1993, cette recherche menée à l’Hôpital royal d’Adelaïde fut à l’époque financée par l’opérateur australien Telstra.

Selon le journaliste scientifique Stewart Fist, qui a suivi cette affaire de très près pour le quotidien The Australian, les coauteurs de cette étude explosive lui ont assuré à l’époque qu’elle avait été refusée par les prestigieuses revues scientifiques Nature et Science pour des raisons «politiques»Science justifiant son refus en arguant qu’une telle publication «créerait la panique». D’après M. Fist, ces revues de premier plan auraient toutes utilisé l’argument selon lequel les résultats devaient d’abord être répliqués. Le protocole de recherche était pourtant solidement ficelé et les résultats hautement significatifs sur le plan statistique (p < 0.01). Ce qui n’a pas empêché M. Repacholi de qualifier à plusieurs reprises ces résultats de «non concluants et insignifiants».

De curieux revirements

Louis Slesin, chimiste physicien, docteur en sciences environnementales du MIT et rédacteur en chef de la lettre spécialisée Microwave News, blâme quant à lui M. Repacholi pour ses nombreux revirements au cours de son mandat. «En février 2003, à Luxembourg, le coordinateur du projet CEM a annoncé qu’il existait désormais “suffisamment de preuves” pour préconiser des politiques préventives notamment en matière de rayonnements radiofréquence et micro-ondes [ceux de la téléphonie mobile, NDLR]. Or, quelques semaines plus tard, il est revenu sur cette position sans la moindre justification.»

Autre exemple? A Ottawa, en juillet 2005, M. Repacholi déclare à la presse que «l’OMS recommande que les enfants utilisent des kits mains libres». Mais peu après, il réaffirme une position antérieure de l’OMS selon laquelle «les données scientifiques actuelles ne montrent aucun besoin de prendre la moindre précaution particulière en matière d’utilisation des téléphones portables».

Louis Slesin reproche également à M. Repacholi d’avoir favorisé l’industrie, en impliquant celle-ci dans la prise de décision au sein même de l’OMS. Le 3 octobre 2005, un groupe d’experts s’est réuni à Genève pour finaliser un document établissant des Critères de santé environnementale pour les champs électromagnétiques d’extrêmement basse fréquence. Louis Slesin a révélé que l’industrie avait «joué un rôle majeur à chaque étape du développement» de ce texte.

«Des documents montrent que Leeka Kheifets [alors collaboratrice de M. Repacholi, NDLR] a joué un rôle central dans la rédaction de l’avant-projet.» Or Mme Kheifets, professeure d’épidémiologie à l’université de Californie de Los Angeles, travaille depuis longtemps pour l’Institut de recherche de l’industrie électrique étasunienne (EPRI), même si son curriculum vitæ académique se garde bien de le mentionner. Il indique juste qu’en 1995 et 1996, elle a reçu le Performance Recognition Award décerné par l’EPRI. En 2005 pourtant, l’année même où Mme Kheifets a contribué à l’avant-projet de texte pour l’OMS, elle a dévoilé au journal Environmental Health Perspectives que l’EPRI avait financé ses travaux, et au British Medical Journal qu’elle travaille pour l’EPRI et qu’elle est consultante pour l’industrie électrique.

Selon Louis Slesin, Mme Kheifets a préparé l’avant-projet avec l’aide, entre autres, de trois représentants de cette même industrie. L’avant-projet a ensuite été envoyé à un grand nombre d’experts, comme cela se fait habituellement, afin de recueillir leurs commentaires. Parmi eux, cinq représentants de l’industrie électrique ont eu tout le loisir de remettre en question les passages gênants pour les intérêts du secteur qui les emploie.

Pas d’observateurs indépendants

Par ailleurs, le 3 octobre 2005 à Genève, lors de cette fameuse réunion du groupe d’experts (indépendants) chargés de finaliser les Critères de santé environnementale, huit représentants de l’industrie électrique ont été invités par M. Repacholi en tant qu’«observateurs».

Aucun autre observateur (syndicat, association de consommateurs ou ONG écologiste, par exemple) n’a par contre été convié à cette réunion. «Grâce à Repacholi, concluait Slesin en octobre 2005, l’industrie électrique a été et continue d’être un partenaire à part entière dans la rédaction de ce document – un texte qui sera la position officielle de l’OMS sur les champs électromagnétiques pour les années à venir. Le plus déconcertant, c’est que personne à l’OMS ne pense qu’il fait quoi que ce soit de mal.»

Mais peut-être est-ce parce que l’OMS ne finance pas le projet CEM. En effet, M. Repacholi était contraint de réunir lui-même son budget de fonctionnement (tout comme Mme van Deventer aujourd’hui). Comme il l’a expliqué lors d’une réunion à Istanbul, en 2004, «le projet CEM peut recevoir des fonds de n’importe quelle origine via l’Hôpital royal d’Adelaïde, un intermédiaire établi avec l’accord du département juridique de l’OMS en vue de rassembler les fonds pour le projet». Peut-on dès lors légitimement lui en vouloir d’être allé chercher l’argent là où il le trouvait, c’est-à-dire en grande partie chez les industriels du portable? Une question à retourner à l’administration centrale de l’OMS et à son service juridique, qui ont autorisé ce curieux mécanisme de financement que Slesin n’hésite pas à assimiler à du «“blanchiment”» d’argent industriel.

Plus de 40% du budget financé par l’industrie du portable

Si officiellement le projet CEM «est financé uniquement par des contributions extra-budgétaires venant des pays et agences participantes», il est établi qu’il reçoit chaque année – depuis 2005 en tout cas – plus de 150.000 $ du Mobile Manufacturers Forum (MMF), le lobby des fabricants de portables basé boulevard Reyers à Bruxelles. Contacté par le magazine belge Imagine, Michael Milligan, secrétaire général du MMF, se borne à rappeler que les versements se font «en accord avec les demandes de l’OMS et via la procédure agréée et mise en place par celle-ci». Il se félicite par ailleurs de «l’expertise de l’OMS, particulièrement en ce qui concerne l’information qu’elle produit et qui repose sur une science d’excellente facture».

La GSM Association (GSMA), l’autre lobby de l’industrie, qui regroupe près de 700 opérateurs dans 213 pays, contribue également au budget constitué par M. Repacholi et, aujourd’hui, par Mme van Deventer. «La GSMA fournit 50.000 € par an depuis la fin des années 1990, précise son porte-parole David Pringle. Cette somme s’est élevée à 150.000 € en 2005 et 2006. Nous revoyons le montant chaque année, mais nous prévoyons de continuer à soutenir cet important travail au même niveau de financement dans le futur.» Pringle précise en outre que la GSMA «ne joue aucun rôle au sein du Comité consultatif indépendant qui fait le point sur les activités du projet CEM de l’OMS».

D’autres groupes d’intérêts financent également le projet CEM. Ainsi, la FGF, une association «indépendante» largement financée par l’industrie de la téléphonie mobile allemande, subventionne le projet à concurrence de 15.000 € par an. Au total, il s’avère que l’industrie du mobile a financé, à elle seule, plus de 40% du budget du projet CEM de l’année fiscale 2005-2006 – lequel s’élevait à 725.000 $. Cette proportion de financement industriel ne tient évidemment pas compte du possible soutien financier de l’industrie électrique.

«Si ce n’est pas une violation des règles de l’OMS, c’est certainement une violation de l’esprit des règles», s’indigne Louis Slesin, qui s’interroge comme beaucoup de monde sur l’indépendance réelle de M. Repacholi durant son mandat à la tête du projet CEM. Slesin souligne d’ailleurs que les seuils d’exposition prônés par l’OMS ne sont pas suivis par plusieurs pays. «Mike veut nous faire croire qu’il est la voix de la raison, mais en réalité ce sont ses positions qui sont déphasées par rapport à celles de nombreux gouvernements nationaux. La Chine, l’Italie, la Suisse, la Russie et le Luxembourg ont tous adopté des limites d’exposition préventives – rejetant directement les appels de Mike pour harmoniser les standards de rayonnement. De plus, des commissions d’experts en Angleterre, France, Allemagne, Belgique, Irlande, Suède, Autriche, Russie et Taiwan ont toutes émis des avis décourageant les enfants d’utiliser des téléphones mobiles.»

Un retraité très actif

Depuis sa retraite française d’Aix-les-Bains, au bord du Lac du Bourget, Mike Repacholi se contente de discréditer son principal détracteur. «Je ne me préoccupe pas des commentaires de Slesin car il ne me contacte jamais pour valider ses informations, nous écrit-il. Ses articles n’ont donc aucune crédibilité. Il a publié tellement d’informations erronées. Assurément, les scientifiques dont l’opinion m’importe n’accordent aucune foi à ses écrits. Il a eu l’occasion de se montrer utile dans le domaine des champs électromagnétiques mais a échoué lamentablement.»

Présidente du Centre de recherche et d’information indépendantes sur les rayonnements électromagnétiques (CRIIREM) et cosignatrice de la lettre ouverte à la direction générale de l’OMS, Michèle Rivasi estime au contraire que Louis Slesin est un «lanceur d’alerte» susceptible de secouer le cocotier genevois. «J’espère vraiment qu’Emilie van Deventer, qui remplace Repacholi, témoignera de plus de vigilance dans le choix des experts et qu’elle associera à l’avenir la société civile dans la prise de décision. Ayant effectué de nombreuses mesures dans des habitations exposées aux antennes relais, je suis convaincue – et je suis loin d’être la seule – que nous sommes à l’aube d’importants problèmes de santé publique.»

Depuis sa mise à la retraite, M. Repacholi n’est pas resté inactif. Bien au contraire. Renouant avec un vieil atavisme, il ne s’est pas privé de «consulter» pour l’industrie électrique étasunienne. Le 26 octobre 2006, soit moins de quatre mois après son départ de l’OMS, l’homme témoignait pour le compte de la Connecticut Light and Power Co. et de la United Illuminating Co. afin d’influencer le Conseil chargé du choix des implantations des lignes à haute tension dans l’Etat du Connecticut. Cette instance publique est actuellement en train d’harmoniser les normes d’exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les lignes à haute tension.

L’exposé de M. Repacholi visait à montrer que les normes en vigueur sont trop strictes et qu’il serait scientifiquement fondé de les assouplir, minimisant au passage les nombreux résultats d’études montrant que le risque de leucémie infantile est accru à proximité des lignes à haute tension. Pour appuyer son audition, M. Repacholi n’a pas hésité à exploiter de façon douteuse des documents de travail de l’OMS non encore finalisés. En effet, pas moins de six coauteurs de ces textes lui ont reproché d’avoir déformé certaines conclusions ou d’en avoir présenté des extraits de façon partiale et trompeuse.

Nul ne sait combien d’argent M. Repacholi a touché pour réaliser son rapport d’expertise de 56 pages. Deux autres consultants ayant récemment travaillé pour les deux mêmes compagnies électriques ont tous deux été rémunérés au tarif de 400 $/heure.

Un rapport de l’OMS «appauvri»

Quelques jours après cette «pige» pour l’industrie électrique, l’ex-haut fonctionnaire de l’OMS se retrouvait au centre d’une polémique médiatique. En Angleterre, cette fois, dans une enquête sur les armes à uranium appauvri (UA) réalisée par Angus Stickler, journaliste à la BBC. Sur les ondes de Radio Four, le Dr. Keith Baverstock, professeur en sciences de l’environnement de l’université de Kuopio (Finlande) et ex-directeur du service de radioprotection du Bureau européen de l’OMS, accusait son ancien supérieur hiérarchique, Mike Repacholi, d’avoir minimisé les dangers de l’UA pour les populations vivant à proximité de sites bombardés.

Des projectiles conventionnels contenant de l’UA ont été utilisés en 1991 pendant la guerre du Golfe, en 2003 contre l’Irak, mais aussi en Bosnie, en Serbie, au Kosovo et, selon des sources non-officielles, en Afghanistan. Très dur et très dense, l’UA est principalement utilisé dans les armes anti-char. Quand un obus explose, il génère un nuage de poussières contenant des oxydes d’uranium. Inhalées ou ingérées, ces particules toxiques et radioactives peuvent, à long terme, causer des cancers et des malformations chez les nouveaus-nés. Dans le monde, plusieurs initiatives visent aujourd’hui à interdire ces armes. En Belgique, une récente proposition de loi allant dans ce sens a été déposée par le député socialiste Dirk Van der Maelen.

Un rapport de synthèse de l’OMS, coordonné par M. Repacholi et publié en 2001, a notamment conclu que «[d]ans les zones de conflit où l’uranium appauvri a été utilisé, il n’est pas nécessaire de soumettre les populations à un dépistage ou à un contrôle généralisé des effets éventuels sur leur santé». Pour M. Repacholi, il faut que «l’exposition soit importante pour observer des effets sur la santé». A ses yeux, «l’uranium apauvri est fondamentalement sain». Il faudrait en ingérer «une grande quantité» pour observer des effets sanitaires négatifs. Or Baverstock lui reproche précisément d’avoir écarté, lors de la réalisation de ce rapport, pas moins de huit études faisant état d’effets génotoxiques de l’UA, sans qu’une exposition importante soit nécessaire.

«Quand on inhale la poussière, plus elle va se nicher profondémment dans les poumons, plus il est difficile de s’en débarrasser, explique Baverstock. Les particules qui se dissolvent présentent un risque - dû à la radioactivité et à la chimiotoxicité - pour le poumon même et, par la suite, lorsque ce matériaux se diffuse dans le reste du corps et dans le sang, on observe un risque potentiel de leucémie dans des zones comme la moëlle osseuse, le système lymphatique et le foie.» Ces huit études ont pourtant toutes été publiées dans des revues à comité de lecture et auraient logiquement dû être prises en compte dans la synthèse, estime Baverstock. Les jugeant «spéculatives», M. Repacholi a décidé de les écarter.

Un «testament scientifique» sans surprise

Enfin, toujours en novembre dernier, un article scientifique cosigné par Mike Repacholi, Emilie van Deventer et un certain Peter A. Valberg, est paru dans la revue étasunienne Environment Health Perspectives. Portant sur les effets sanitaires possibles des rayonnements électromagnétiques de la téléphonie mobile, l’article concluait – sans surprise – que «l’exposition du public aux niveaux de radiofréquence autorisés pour la téléphonie mobile et les antennes relais n’est pas susceptible d’affecter la santé humaine de façon négative».

Pour Louis Slesin, une chose est claire: les auteurs ont été sélectifs dans le choix des résultats d’étude présentés. «Par exemple, dans une revue des résultats de l’étude Interphone en cours concernant les risques possibles de cancer associés à l’utilisation des téléphones portables, ils omettent de mentionner ce qui est peut-être le résultat le plus inquiétant à ce jour: un risque statistiquement significatif de neurinome acoustique chez les personnes ayant utilisé des téléphones portables pendant plus de dix ans. La question ouverte des risques possibles à long terme est tout simplement ignorée.»

L’auteur principal de cet article, Peter A. Valberg, est un expert de l’évaluation des risques pour la santé humaine. Après vingt années de carrière académique à l’Ecole de santé publique de Harvard, M. Valberg s’est reconverti dans le privé. Il travaille actuellement pour Gradient, une société de consultance en environnement. Sur son site Internet, Gradient explique que ses clients font appel à elle «pour les éclairer sur les questions environnementales qui affectent directement leurs objectifs en affaires et leurs résultats financiers. (...) Nous sommes sollicités pour le sérieux de nos analyses techniques et notre capacité à produire des déclarations claires et à mener des négociations persuasives pour aider nos clients à atteindre leurs objectifs et respecter les lois et les réglementations environnementales.»

Pas étonnant, dès lors, que M. Valberg soit un consultant régulier pour l’industrie électrique étasunienne – ce que son curriculum vitæ se garde pourtant bien de préciser. Afin d’obtenir les permis nécessaires auprès des autorités publiques, de nombreuses compagnies ont fait appel à ses services pour minimiser au maximum les risques sanitaires liés à l’installation de nouvelles lignes à haute tension. M. Valberg a ainsi témoigné pour la Appalachian Power Company (Virginie Occidentale) en 1998, pour Xcel Energy (Minnesota) en 2001, pour la Commonwealth Electric Co. (Massachusetts) en 2003, pour la Vermont Electric Power Co. (Vermont) en 2004, pour la Boston Edison Co. (Massachusetts) en 2005, et pour ITC Transmission (Michigan) en 2006.

Les compétences de M. Valberg ne se limitent cependant pas au domaine des champs électromagnétiques émis par les lignes à haute tension. En 1997, lorsque le Bureau d’évaluation des risques sanitaires environnementaux de Californie a souhaité classer les particules fines émises par les moteurs diesels dans la catégorie des polluants toxiques, M. Valberg a témoigné en faveur de la Engine Manufacturers Association, le lobby des motoristes étasuniens, pour minimiser les risques sanitaires liés à l’inhalation de ces particules. Et à l’automne dernier, M. Valberg est intervenu en faveur des cigarettiers étasuniens dans le cadre d’un procès qui les oppose à un groupe de fumeurs de cigarettes light estimant avoir été dupés par des publicités qui présentaient ces cigarettes comme plus saines que les autres.

On connaît les campagnes antitabac de l’OMS et son combat contre leur sabotage par les cigarettiers. Le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’OMS, considère depuis 2001 que les rayonnements électromagnétiques émis par les lignes à haute tension sont «peut-être cancérogènes pour l'homme». L’OMS a également tiré la sonnette d’alarme à propos des particules fines en rappelant avec force qu’elles constituent un grave problème de santé publique. Qu’un ex-haut fonctionnaire de l’OMS, institution publique internationale censée défendre l’intérêt sanitaire général, cosigne son «testament scientifique» avec un consultant pour l’industrie ayant à de nombreuses reprises défendu des intérêts radicalement opposés aux missions mêmes de l’OMS, n’a visiblement ému personne. Mais qui s’est jamais soucié de M. Repacholi, de son parcours professionnel et de ses conditions de travail?

David Leloup


Cet article est une version actualisée et enrichie d’une enquête publiée dans le bimestriel belge indépendant Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

Il a fait la une de Rezo.net du mercredi 24 au samedi 27 midi.

Il est également publié sur AgoraVox.

18 commentaires:

Anonyme a dit...

Remarquable enquête bien documentée et digne de foi sur le cas Repacholi, à l'origine du lamentable statu-quo dans lequel se meuvent depuis tant d'années les recommandations de l'OMS en matière de radiations non ionisantes. Excellent ex-cursus sur le problème inouï de l'uranium appauvri qui se déploie sous nos yeux incrédules "trop distraits par tant de distractions". Ouvrons les yeux et... maintenons-les ouverts. C'est de la vie dont on parle et de son plus élémentaire respect.

Anonyme a dit...

superbe papier David ! et vachement documenté. N'empêche, quand on vois comment l'OMS se fait "tuyauter" sur les ondes, ça fout froid dans le dos en imaginant ce que ça peut donner sur le H5N1 ... brrr

David Leloup a dit...

Merci. Effectivement, il y a de quoi s'interroger sérieusement sur le fonctionnement de l'OMS. Il y a dix ans déjà sortait le seul bouquin en langue française consacré aux dérives de ce que les auteurs appelaient déjà Le bateau ivre de la santé publique, "naviguant sans maître à bord ni objectif clair sur un océan de corruption et d'inefficacité". Une telle enquête sur l'OMS, dix ans plus tard, déboucherait-elle sur un constat similaire?

Anonyme a dit...

"Ce n’est pas en tant que ministre de la Santé d’un petit pays comme la Belgique que je me permettrai de critiquer les méthodes de l’OMS qui sont par ailleurs en train d’être réévaluées. Il ne faut pas arguer du principe de précaution pour adopter une défiance trop absolue face au progrès technologique. Sinon on ne doit plus manger ni respirer."
Rudy DEMOTTE, ministre fédéral des Affaires sociales et de la Santé publique, en réponse à une question parlementaire en mai 2005.

Anonyme a dit...

Selon une étude suisse, les résultats des recherches sur l'effet biologique des téléphones portables sont biaisés par leurs financements.


Les publications scientifiques les plus rigoureuses sur l'impact sanitaire des téléphones portables sont celles qui sont conduites par des équipes associant des experts travaillant pour l'industrie et des experts rattachés à des organismes publics. Celles qui ont une source unique de financement - privé ou public - ont tendance à avoir des biais qui conduisent à minimiser les risques, ou au contraire à les aggraver.

C'est la conclusion d'une enquête conduite par une équipe de chercheurs suisses de l'université de Berne (1). Matthias Egger et ses associés insistent en conséquence sur la nécessité de déclarer de manière très détaillée les sources de financement des études.

L'enquête porte sur les études expérimentales cherchant à mesurer les effets biologiques de l'utilisation du téléphone portable (maux de tête, difficultés d'attention, mesures de bien-être, capacités cognitives, etc.). Les chercheurs suisses ont préféré écarter les études épidémiologiques, la plupart étant financées par des fonds publics et l'utilisation massive de ces petits appareils étant trop récente pour que celles-ci soient suffisamment pertinentes.

Effets des portables sur la santé : les études au crible

Anonyme a dit...

Par les temps qui courent, on ne plus faire confiance. Le mieux c'est de faire preuve de bon sens… Quand on entend les interférences des ondes issues des mobiles, sur le matériel grand public et sur le matériel professionnel (comme à la télévision par ex.) ! Il faut être idiot pour ne pas imaginer que ça ne fait pas la même chose sur nos cellules ! Et puis, les kits piéton… et les assurances (qui ne veulent même pas assurer contre les effets des ondes des mobiles)… Il faudrait être le dernier des idiots pour croire que ce n'est pas dangereux. Surtout si c'est plaqué contre le corps, ou même le cerveau !

David Leloup a dit...

@DG:
L'étude que le Figaro relate est disponible en ligne depuis le 15 septembre 2006. La présentation que le Figaro en fait est pour le moins biaisée: le quotidien "salit" la recherche publique en sous-entendant qu'elle est autant biaisée que la recherche financée exclusivement par l'industrie, ce que les résultats de l'étude ne disent absolument pas.

Au contraire, les résultats sont sans appel: seuls 33% des études financées par l’industrie rapportent au moins un effet biologique statistiquement significatif, contre 82% des recherches bénéficiant de fonds publics ou caritatifs, 71% des études à financement mixte et 77% des recherches au financement non précisé.

Prudents, les auteurs suggèrent que l’influence du sponsoring sur les résultats pourrait s’exercer dans les deux sens: «Si des chercheurs ont un agenda environnemental, écrivent-ils, ils sont plus susceptibles d’être financés par des agences publiques ou des ONG; leur parti pris pourrait dès lors les conduire à une surestimation des effets.»

Les auteurs suggèrent cela pour avancer une hypothèse explicative à la différence observée entre la proportion d'études publiques et d'études à financement mixte qui trouvent un résultat significatif (respectivement 82% contre 71%).

Comme les chercheurs ont par ailleurs constaté que les études à financement mixte étaient les mieux "ficelées" méthodologiquement parlant, ils considèrent implicitement que les 71% sont les plus proches de la réalité.

Il convient donc de comparer les 82% (recherche publique pure ou (co)financée par des fondations d'intérêt public) et les 33% (recherche financée exclusivement par l'industrie des télécoms) avec cette "norme" implicite de 71% (financement mixte).

Si la recherche publique surestime les résultats, c'est de 15,5% (82*100/71). Un "biais positif" potentiel à comparer avec le "biais négatif" de 53,5% de la recherche financée par l'industrie (100-[33*100/71]). Vu sous cet angle, on constate que la recherche financée par l'industrie serait 3,5 fois plus biaisée que la recherche publique.

David Leloup a dit...

Notez que le principal résultat de l'étude de Huss, repris en septembre par l'AFP lorsque l'article a été présenté publiquement, à savoir:
- 33% seulement des études financées par l’industrie rapportent au moins un effet biologique statistiquement significatif, contre
- 82% des recherches bénéficiant de fonds publics ou caritatifs,
- 71% des études à financement mixte et
- 77% des recherches au financement non précisé;
...n'est même pas communiqué par Le Figaro. Il fallait le faire.

Anonyme a dit...

l’OMS est-elle vraiment si neutre et objective que cela?
Mais aujourd'hui, l’OMS a-t-elle réellement tiré les leçons du passé?
Bonnes questions. Voilà un autre cas d'école, objectivement criminel, qui concerne le nucléaire en général et les populations contaminées autour de Tchernobyl d'autre part. Voir
http://agirvite.free.fr/Negationnisme_de_Tchernobyl--Collusion_OMS-AIEA.pdf

Anonyme a dit...

pour information, un p>à 0.001 ne permet pas de conclure à une significativité, contrairement à ce que l'article veut laisser croire...

David Leloup a dit...

@ Anonyme:
Bien vu, il fallait évidemment lire p<0.01 et non pas p>0.01. Rectifié dans le texte. Pour être encore plus précis, voici ce que dit exactement l'abstract:
"Lymphoma risk was found to be significantly higher in the exposed mice than in the controls (OR = 2.4. P = 0.006, 95% CI = 1.3-4.5)."

@Freddy:
Merci pour le lien vers ce texte très intéressant du Prof. Michel Fernex (qui a rencontré Mike Repacholi en 2002) Cet accord de 1959 liant l'OMS et l'AIEA est évoqué explicitement dans Uranium appauvri, la guerre invisible de Martin Meissonnier, Frédéric Loore et Roger Trilling (Robert Laffont, 2001; p.339-340)

Anonyme a dit...

@ David :
Le film Controverses Nucléaires de Wladimir Tcherkoff présente les liens entre l'OMS et l'AIEA, on y voit fort logiquement le professeur Michel Fernex.
Une présence à Genêve du 26 avril au 31 mai 2007 dénoncera ces liens.

Anonyme a dit...

Excellente enquête. Ca fait froid dans le dos. Mais que fait la presse?

Anonyme a dit...

Comment faire encore confiance en l'OMS?
Ceux qui suivent les travaux de l'OMS dans le détail savent depuis longtemps que cette organisation est inflitrée depuis très longtemps par l'industrie (quasi depuis la fin de la dernière guerre),mais encore plus depuis l'élection de Reagan à la Maison Blanche. Les premiers à lancer l'alarme furent des directeurs de départements de l'Etat fédéral aux USA.Même les nominations y sont téléguidées par les groupes industriels de niveau international,que ce soit en chimie,en nucléaire,en pétrole,en électricité, en agroalimentaire, en télécommunication, etc.
Pourquoi s'étonner que Le Figaro tente de démolir une étude qui soit défavorable aux industriels ? Il suffit de savoir qui soutient financièrement le journal ! Pourquoi croyez-vous que des industriels placent des capitaux dans la presse ? Pour défendre la liberté de la presse croyez-vous? Allons ! Allons ! Il y a d'autres placements bien plus rentables et bien connus par eux ! Pas besoin de leur indiquer où aller ! Lorsque vous contrôlez (dans ce cas, indirectement) la presse vous pouver influencer l'opinion public, c'est tout !

Anonyme a dit...

Il est grand temps de demander des comptes aux tricheurs. Levons des fonds au niveau internationnal, pour les juger et permettre la survie de notre espèce...

Anonyme a dit...

Pollution électromagnétique : l'asbl GRAPPE lance une action en justice contre l’État belge

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Anonyme a dit...

Superbe article, merci. Et Ca me donne un autre genre de nausée que celle que j'ai ici quand j'approche le domicile et ses 13 antennes relais associées. Il faut ne ne plus cesser de lutter contre les décisions qui font de nous des rats de laboratoires. Les normes sont 50 fois trop élevées d'après les études et les avertissements répétés en 2001 et 2005 du Conseil National de la Santé en Belgique. Comment peut-on à ce point mépriser la vérité ? Nous vivons un suicide civilisationnel sans précédent.

automobile a dit...
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