vendredi 19 novembre 2010

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Ces encombrants conflits d’intérêts des experts de la grippe


En Belgique, la transparence sur les intérêts des experts qui orientent les décisions publiques fait défaut. Le Comité scientifique Influenza et le Conseil supérieur de la santé refusent de dévoiler la liste exacte et les déclarations d’intérêts des experts qui ont recommandé au gouvernement le choix exclusif du vaccin anti-H1N1 de GlaxoSmithKline, alors que tous nos voisins ont systématiquement sollicité plusieurs labos. Enquête.


Choix du vaccin: cinq experts liés à GSK

Cinq membres du Comité scientifique Influenza présentaient des conflits d’intérêts, selon la définition du Conseil supérieur de la santé, quand ils ont recommandé le vaccin anti-H1N1 de GlaxoSmithKline au gouvernement.

Dans un rapport publié en juin 2007 par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) sur l’opportunité de vacciner les nourrissons contre la gastro-entérite à rotavirus, l’un des auteurs, le Prof. Marc Van Ranst, président du Commissariat interministériel influenza et virologue à l’Institut Rega pour la recherche médicale (KUL), déclare un conflit d’intérêts: «avoir reçu une rémunération pour des présentations sur le rotavirus lors de réunions de médecins généralistes». De qui? Le KCE ne le précise pas. Mais à l’époque de la rédaction du rapport, un seul vaccin était disponible en Belgique: le Rotarix de GlaxoSmithKline (1).

Deux autres membres du Comité scientifique Influenza ont également contribué à ce rapport et déclaré un conflit d’intérêts: Pierre Van Damme, directeur du Centre pour l’évaluation des vaccinations de l’Université d’Anvers, et Marc Raes, pédiatre à l’hôpital Virga Jesse à Hasselt.


Le service du Prof. Van Damme a touché des fonds de GSK pour de la recherche clinique et des conférences données par Van Damme pour le compte de GSK. Ce service, également Centre collaborateur de l’OMS pour les hépatites virales, est très largement financé par les fabricants de vaccinsdont GSK depuis 2003 au moins.

Quant au Dr. Marc Raes, il était déjà, à l’époque de la rédaction du rapport, consultant rémunéré par GSK pour le vaccin Rotarix dont il vante depuis l’efficacité dans des colloques internationaux.

Source: Book of Abstracts, 3rd European Rotavirus Biology Meeting, 13-16 septembre 2009.

En mars 2008, le président du Commissariat interministériel influenza Marc Van Ranst cosigne, avec notamment Patrick Goubau, virologue à l’UCL et membre du Comité scientifique Influenza, un article cofinancé par GSK. L’unité du Prof. Goubau avait par ailleurs déjà bénéficié d’une bourse de GSK pour une étude publiée en avril 2004.

Source: J. Virol. Methods, 117:67-74, avril 2004 (via Google).

Quant à l’actuel président du Comité scientifique Influenza, le Dr Yves Van Laethem, il ne fait aucun mystère de ses nombreux conflits d’intérêts. Lors d’une présentation à l’INAMI en mai dernier, ce chef de clinique au service des maladies infectieuses du CHU Saint-Pierre a reconnu être un consultant rémunéré par GSK, mais aussi Sanofi, Crucell, Wyeth et Pfizer. D.L.

Source: présentation PowerPoint du Dr Yves Van Laethem à l’INAMI, Bruxelles, 6 mai 2010.

(1) Le Rotarix de GSK est commercialisé en Belgique depuis le 1er juin 2006, le RotaTeq de Sanofi depuis le 1er juin 2007. Au moment de l’écriture du rapport, publié en juin 2007, seul le Rotarix était disponible sur le marché belge.




Manque de transparence et conflits d’intérêts, deux maux qui grippent l’OMS

Les liaisons dangereuses de certains experts avec l’industrie pharmaceutique et le manque de transparence des institutions publiques à cet égard ne sont pas des spécialités belges. Elles seraient également au cœur de la gestion de la «pandémie» grippale par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Début juin, la commission santé de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe publiait un rapport fustigeant le «manque de transparence» de l’OMS et des institutions publiques de santé dans leur gestion de la pandémie de grippe A/H1N1, les accusant d’avoir «dilapidé une partie de la confiance que le public européen a dans ces organisations hautement réputées», ce qui «pourrait représenter un risque dans le futur».

Le même jour paraissait une longue enquête menée par le British Medical Journal (BMJ) et le Bureau of Investigative Journalism de Londres, révélant que plusieurs experts ayant participé à la rédaction des directives de l’OMS pour faire face à une pandémie grippale ont reçu des rémunérations de Roche et GlaxoSmithKline, deux firmes impliquées dans la fabrication de médicaments ou de vaccins contre la grippe.

Parmi ces experts, un Belge – et non des moindres – y est cité à neuf reprises, photo à l’appui: René Snacken, chef du département d’épidémiologie de l’Institut de santé publique jusqu’en 2008, et auteur du plan d’action belge en cas de pandémie.

Snacken est épinglé par le BMJ pour avoir corédigé en 1999 un plan similaire pour l’OMS, alors qu’il présidait le Groupe de travail scientifique européen sur l’Influenza (ESWI) – en réalité un lobby financé à 100% par Roche, GSK, Baxter, Novartis... Ce que ni l’expert, ni l’OMS n’ont révélé dans le document officiel. De plus, selon le BMJ, Snacken a rédigé un article pour une brochure promotionnelle de Roche, producteur du Tamiflu, diffusée entre 1998 et 2000.

En 2002, René Snacken a été consulté par l’Agence européenne des médicaments (EMEA) sur l’opportunité d’accorder une licence au Tamiflu (dont les effets cliniques à l’époque étaient peu convaincants). L’EMEA n’a pas été en mesure de produire au BMJ la déclaration d’intérêts de René Snacken liée à cette audition. Avait-il dévoilé ses liens avec Roche? Lui avait-on seulement demandé de le faire? Mystère: René Snacken n’a jamais désiré réagir aux questions du BMJ... D.L.



Enquête publiée dans Politique, revue de débats, novembre-décembre 2010 (PDF)


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