Des ONG belges et européennes lancent une campagne internationale pour inciter les citoyens à porter plainte en masse contre les publicités pour voitures. Objectif: que la consommation de carburant et les émissions de CO2 des véhicules soient enfin mentionnées en grands caractères. Comme le prévoit une directive européenne que personne n’avait remarquée jusqu’ici.
La quasi-totalité des publicités pour voitures diffusées en Belgique et en Europe, dans les journaux, les magazines et sur les panneaux d’affichage, ne respecteraient pas la directive 1999/94/CE relative à la «disponibilité d’informations sur la consommation de carburant et les émissions de CO2». Pierre Ozer, chercheur au Département des sciences et gestion de l’environnement à l’université de Liège, en est convaincu.
Il se réfère à l’arrêté royal du 5 septembre 2001 qui transpose la directive en droit belge, lequel précise que la consommation et les émissions de CO2 d’un véhicule «doivent être facilement lisibles et au moins aussi visibles que la partie principale des informations figurant dans la [publicité]». Or, estime le chercheur, ce n’est pas le cas, les émissions étant systématiquement mentionnées en tout petits caractères. Il a donc porté plainte, à titre privé, contre une quinzaine de pubs auprès du Jury d’éthique publicitaire (JEP), l’organe d’autorégulation belge du secteur, ainsi qu’auprès de la Direction générale Contrôle et Médiation du SPF Economie.
Une ONG en justice?
Mais ces plaintes pourraient bien n’être qu’une mise en bouche avant une véritable action en justice. Le nœud du problème se trouve en effet dans l’interprétation de «facilement lisibles» et de «partie principale des informations», deux notions non définies par le législateur. «Ce serait à un juge de trancher, mais dans la pratique il me semble qu’il y a peu de marge pour l’interprétation, estime Me Alain Lebrun, un des deux seuls avocats spécialisés en droit de l’environnement reconnus par l’Ordre des barreaux francophones de Belgique. Sur une affiche, c’est facile: l’information principale, c’est le slogan. Et donc les émissions de CO2 devraient être mises sur le même pied graphique que celui-ci. Elles devraient “sauter aux yeux”, en quelque sorte.»
Me Jean-Marc Rigaux, lui aussi spécialisé en droit de l’environnement, estime «jouable» une action en justice fondée sur l’argumentation de M. Ozer. Mais selon les deux experts, un citoyen lambda ne pourrait pas faire respecter cet arrêté devant un tribunal. «Il faudrait qu’il démontre qu’il subit un préjudice direct à cause des émissions de CO2 émises spécifiquement par les voitures», explique Me Rigaux. Ce qui est impossible.
Par contre, une ONG pourrait facilement invoquer la loi du 12 janvier 1993, estiment les avocats. «Cette loi permet à une ASBL environnementale d’intenter une “action en cessation” contre l’auteur d’une violation d’une législation visant à protéger l’environnement, explique Me Lebrun. C’est le cas ici: on peut considérer que l’affichage obligatoire des émissions de CO2 est une norme de police économique à portée environnementale.»
L’Etat en ligne de mire
L’action en cessation s’entreprend devant le tribunal des référés. Elle est rapide (trois à huit jours) et expose le contrevenant à des astreintes s’il ne met pas fin au comportement délictueux. En cas de condamnation, un constructeur pourrait être contraint de retirer toutes ses affiches ou de coller sur chacune d’elles un «complément» précisant les émissions de CO2 en plus grands caractères…
Une ONG pourrait également décider de poursuivre l’Etat belge. L’article 11 de l’AR du 5 septembre 2001 précise en effet que «les fonctionnaires et agents désignés par le Ministre qui a les Affaires économiques dans ses attributions sont désignés pour rechercher et constater les infractions». Or, en six ans, aucun procès-verbal n’a jamais été dressé…
Ce même laxisme pourrait aussi valoir à l’Etat une plainte auprès de la Commission, ajoute Me Rigaux. «Là, un citoyen seul ou une ONG pourrait agir contre n’importe quel Etat membre. Si la Commission estime la plainte recevable, elle la transmettra à la Cour de justice des communautés européennes à Luxembourg.»
Porter plainte en cinq minutes
Pour l’heure, une coalition d’associations européennes vient de lancer une campagne invitant un maximum de citoyens à emboîter le pas au chercheur liégeois. «Sa démarche est simple et reproductible “à l’infini” puisque presque 100% des publicités pour autos seraient en infraction», explique Jeroen Verhoeven des Amis de la Terre Europe.
«Il suffit de prendre une photo de chaque pub parue dans la presse ou affichée dans la rue, puis d’envoyer la plainte via le site web de la campagne, ajoute Sophie Bronchart d’Inter-environnement Wallonie. L’argumentation juridique est fournie, cela ne coûte rien et peut se faire en quelques minutes.»
Les ONG s’engagent de leur côté à assurer à ces plaintes des suites politiques voire judiciaires, tant à l’échelle belge qu’européenne...
David Leloup
Article exclusif publié dans le numéro de mars du magazine belge Imagine demain le monde. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner. La presse indépendante ne vit que grâce à ceux qui la soutiennent.
UPDATE 06/03:
Le quotidien belge La Libre Belgique de ce jeudi 6 mars reprend l’information en manchette.
1 commentaire:
Salut,
Bravo pour ce blog et ces excellentes notes sur les pubs pour voiture, que je vais m'empresser de reprendre sur mon blog.
Je viens de consacrer une petite série de notes style "revue de presse" au Salon de l'Auto à Genève que vous pouvez consulter ici :
http://sandrominimo.blog.tdg.ch
Comme vous pouvez le voir, les réactions haineuses montrent la dépendance quasi toxicomane des genevois à leur bagnole.
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