mercredi 29 mars 2006

Des résultats à méditer...


«Méditez, méditez, il en restera toujours quelque chose!» Telle pourrait être la maxime commune du Dalaï-lama et des meilleurs spécialistes du cerveau. Car la pratique régulière de la méditation semble bien modifier durablement la structure et le fonctionnement de notre précieux organe...

Lentement, mais sûrement, les résultats scientifiques s’accumulent. La première étude expérimentale vraiment sérieuse à scruter la nature des états méditatifs a été publiée à l’automne 2004 dans les prestigieux Proceedings of the National Academy of Science (PNAS) (1). Téléchargé plus de 150 000 fois, l’article signé par l’équipe de Richard Davidson de l’université du Wisconsin à Madison, figurait un an plus tard à la cinquième place des articles les plus lus sur le site Internet de la revue.
«Jusque-là, les scientifiques qui s’intéressaient à ces questions étaient un peu marginaux et leurs études souvent bancales sur le plan méthodologique», explique Matthieu Ricard, docteur en biologie moléculaire, moine bouddhiste depuis 1978 et cosignataire de l’article. De plus, le type de méditation étudiée dégageait un fort parfum «New Age» pas très en odeur de sainteté auprès des éminences tant scientifiques que bouddhistes... «Aujourd’hui le vent a tourné, poursuit Matthieu Ricard. Les meilleurs spécialistes des neurosciences travaillent avec les meilleurs méditants – des lamas tibétains qui ont entre 10 000 et 50 000 heures de méditation derrière eux –, en utilisant des outils d’investigation à la pointe de la technologie.»

Ondes gamma

Ce regain d’intérêt pour l’étude scientifique des états méditatifs n’aurait sans doute pas vu le jour sans les rencontres «science et bouddhisme» organisées depuis 1987 par le Mind & Life Institute, une structure fondée par feu le neurobiologiste Francisco Varela et l’homme d’affaires Adam Engle. Très discrètes au début, rassemblant la crème des spécialistes mondiaux en neurosciences, ces rencontres ont été créées précisément pour que le Dalaï-lama puisse approfondir ses connaissances scientifiques et pour initier le dialogue avec lui. Les connaissances bouddhistes sur le fonctionnement de l’esprit, acquises par l’introspection depuis 2500 ans, se confrontent ainsi aux résultats les plus récents de la recherche sur le cerveau. Signe que les mentalités ont bel et bien changé, le chef spirituel des bouddhistes a prononcé à Washington, le 12 novembre dernier, le discours inaugural du congrès annuel de la Société étasunienne de neurosciences, où quelque 30 000 participants étaient attendus.
Dans ce contexte d’ouverture réciproque, l’étude publiée dans les PNAS n’est assurément que la première d’une longue série. Mais que révèle-t-elle au fait? Que le cerveau de méditants expérimentés émet des ondes gamma très puissantes au cours d’une méditation sur la compassion universelle. «Cet exercice mental consiste à imprégner son esprit de compassion et d’amour inconditionnels pour tous les êtres, proches, étrangers ou ennemis, humains et non humains, explique Matthieu Ricard. Il ne s’exerce pas sur un sujet précis, ce qui permet d’éviter la stimulation de la mémoire et de l’imagination.» Les oscillations gamma, détectées par un électroencéphalographe à 256 électrodes, sont des ondes de haute fréquence (25 à 42 Hz) qui témoigneraient d’une activation neuronale exceptionnelle, telle qu’on la rencontre dans des processus d’attention et de perception.

Le bonheur? Un «savoir-faire»

Les scientifiques ont en outre observé que l’activité électrique à la surface du scalp, qui reflète l’activité neuronale des méditants, indique que leurs neurones semblent vibrer en réseau et de manière plus synchronisée, contrairement à ceux des méditants novices du groupe contrôle (2). Enfin, et c’est sans doute là un des résultats les plus intéressants, les méditants qui ont la plus longue pratique de la méditation sont aussi ceux qui génèrent les plus hauts niveaux d’ondes gamma. Et cela pendant la méditation comme au repos. A l’instar de l’exercice physique qui sculpte les muscles, l’entraînement mental semble donc en mesure de façonner durablement notre matière grise... Pour Davidson et ses collaborateurs, le bonheur, la compassion ou les capacités attentionnelles seraient, tout comme les compétences sportives, des «savoir-faire» (skills) qui résulteraient de plusieurs années d’entraînement et d’apprentissage. «Les experts en méditation que nous avons étudiés pourraient avoir développé un savoir-faire particulier, à savoir celui de réguler et de transformer leurs émotions, en particulier les émotions négatives», suggère Antoine Lutz, principal auteur de l’article publié dans les PNAS.
Avant d’en avoir la certitude absolue, cependant, il faudra étudier comment le cerveau des méditants évolue sur la durée. Bref, réaliser une étude longitudinale sur plusieurs milliers de sujets pendant au moins 20 ans. «C’est le travail d’une carrière, estime Paul Ekman, un des meilleurs spécialistes mondiaux de la psychophysiologie des émotions, qui participe aux rencontres du Mind & Life Institute. Et je pense que des personnes influencées par le bouddhisme seraient plus disposées à y consacrer le temps nécessaire, car elles sont moins préoccupées par leur propre soif de gloire et de reconnaissance immédiate (3)

La compassion au scanner

Comme on ne fait pas se déplacer des lamas tibétains de leur retraite monastique pour un simple électroencéphalogramme, fût-il sophistiqué, l’équipe de Davidson a profité de leur présence pour les faire «mijoter» quelques heures au scanner. Objectif, cette fois: tenter de voir concrètement, grâce à l’imagerie par résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (IRMf), ce qui se passe à l’intérieur de leur cerveau pendant la méditation. Les résultats de ce second volet viennent d’être décryptés. Ils révèlent que l’activité cérébrale des méditants concentrés sur la compassion est particulièrement élevée dans le lobe préfrontal gauche, une région du cerveau liée aux émotions positives. De plus, la zone impliquée dans la planification des mouvements et l’amour maternel est aussi fortement stimulée. Bizarre? Pas pour Matthieu Ricard: «La compassion suscite une totale disponibilité à l’autre: celle-ci peut donc être utilisée pour agir.» Ces résultats, jamais observés jusqu’ici, ont été soumis pour publication à des revues scientifiques de tout premier plan.
Mais d’autres études sont déjà «dans le tube». A l’université de Princeton, Jonathan Cohen et Brent Field s’intéressent aux capacités attentionnelles des méditants expérimentés. Deux d’entre eux, tout juste sortis d’une retraite de trois ans, se sont révélés capables, au cours d’un test classique de vigilance, de maintenir intacte la qualité de leur attention pendant 10 minutes. Des performances exceptionnelles puisque le commun des mortels connaît lui une baisse de régime importante à ce test après 5 minutes...

Contrôler un réflexe incontrôlable

A l’université de Californie à San Francisco, Paul Ekman et Robert Levenson se sont «amusés», eux, à faire sursauter des moines tibétains. Le sursaut est un réflexe primitif déclenché chez tous les êtres humains par un bruit soudain, par exemple. Instantanément, une réaction physiologique se produit et cinq muscles faciaux se contractent, notamment autour des yeux. Le phénomène, très fugace (environ 1/3 de seconde), est incontrôlable: même des tireurs d’élite qui s’entraînent quotidiennement n’arrivent pas à l’inhiber. Matthieu Ricard, lui, y est partiellement parvenu. Dans un état méditatif de «présence éveillée» – «un état d’esprit parfaitement clair, ouvert, vaste et alerte, libre d’enchaînements de pensée et dépourvu de toute activité mentale intentionnelle» –, il a été soumis à une série de fortes détonations (coups de feu, pétards...) précédées à chaque fois d’un compte à rebours. Si ses paramètres physiologiques (pouls, sudation, pression artérielle) ont montré les pics classiquement observés lors d’un sursaut, aucun de ses muscles faciaux n’a par contre tressailli. Du jamais vu pour Ekman en 35 ans de carrière. «Ces résultats préliminaires, obtenus tant à Princeton qu’à San Francisco, n’ont cependant pas de réelle valeur scientifique, tempère Matthieu Ricard. Pour cela, ils devront être reproduits sur un plus grand nombre de sujets et résister ensuite aux critiques méthodologiques formulées par les relecteurs d’une revue scientifique.»

Après l’hôpital, l’école?

Les résultats publiés, par contre, ouvrent déjà des perspectives d’application clinique pour les problèmes de déficit d’attention, d’anxiété, voire de vieillissement neuronal. «Un programme de gestion du stress basé sur l’entraînement à l’attention est appliqué quotidiennement dans des dizaines d’hôpitaux aux Etats-Unis, explique Antoine Lutz, afin d’aider les personnes souffrant d’anxiété, de dépression ou de douleurs chroniques comme dans les phases terminales du cancer.» Car point n’est besoin d’être un lama tibétain surentraîné pour bénéficier des effets de la méditation. En 2003 déjà, le labo de Davidson avait montré un effet bénéfique de celle-ci sur le système immunitaire. Après 8 semaines de pratique régulière, 25 employés d’une société de biotechnologies de Madison avaient été vaccinés contre la grippe. Quatre mois plus tard, ils avaient développé significativement plus d’anticorps contre le virus que les sujets d’un groupe témoin.
Si tous ces résultats se confirment dans les mois et les années à venir, la méditation pourrait acquérir en Occident les lettres de noblesse dont elle jouit depuis des millénaires dans la culture bouddhiste. Validées scientifiquement et sécularisées, ces techniques ancestrales seront-elles demain inscrites au programme de nos écoles, sorte de pendant «mental» au cours d’éducation physique? En Dordogne, en tout cas, un instituteur pratique déjà l’«entraînement laïc à l’attention» avec ses élèves: 10 minutes de méditation le matin, 10 minutes en fin de journée (4). Et ce, avec la «bénédiction» des autorités éducatives. Les enfants adorent ça, paraît-il...
David Leloup

(1) «Long-term meditators self-induce high-amplitude gamma synchrony during mental practice».
(2) Qui ont reçu un cours de méditation et qui se sont entraînés chaque jour pendant une semaine.
(3) «Two sciences of mind»,
Shambhala Sun, septembre 2005.
(4) «Nouveau karma scientifique»,
Sciences & Avenir, août 2005.


En savoir +
Plaidoyer pour le bonheur, Matthieu Ricard, NiL, 2003 (en particulier le chapitre 21).
Surmonter les émotions destructrices, Daniel Goleman, Robert Laffont, 2003.
Mind & Life Institute: www.mindandlife.org (en anglais).

Légende photo:
Science et bouddhisme sur la même longueur d’ondes: Choegyal Rinpoche, 54 ans de pratique méditative, s’est déplacé du Népal pour participer aux recherches de Richie Davidson à l’université du Wisconsin. Pas moins de 256 électrodes (contre 32 habituellement) ont enregistré les ondes électromagnétiques émises par son cerveau pendant la méditation.



Ce texte a été initialement publié dans le bimestriel belge Imagine. S’il vous a plu, merci de bien vouloir envisager d’acheter le magazine en version papier ou électronique (PDF), voire de vous y abonner.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

bonjour,
j'ai 22 ans, je ne suis pas moine tibétain et je produit quand je le souhaite des ondes dans mon cerveau !! Ou cela est peut être le controle du réflexe stapédien
(muscle de l'étrier de l'oreille) car il m'est difficile de faire cela plus de 7 secondes.Le fait est que j'entend comme un bourdonement dans la tête ce qui me fait peut être croire à tord, je ne sais pas, que cela bouge dans mon cerveau.Si quelqu'un connait ce phénome j'aimerais en savoir plus oû, si un neureulogue souhaiterait m'éxaminer à l'encéphalogramme pour vérifier si il y a une activité électrique je serais très heureux que vous me contactiez.

Cordialement